lundi 26 octobre 2009

Remarques afghanes (n°2)

Nous connaissons tous l’action des 26 PRT (Provincial Reconstruction Teams), interfaces entre le monde civil et militaire visant à soutenir l’action de la Coalition et à promouvoir le gouvernement central de Kaboul dans la reconstruction de l'Etat. Pour aller plus loin, le lecteur peut se reporter à cette brève étude écrite par un ancien inséré au sein d’une PRT (les chiffres datent un peu mais l’analyse reste pertinente) qui est aussi l’auteur de l’ouvrage intitulé De la guerre à la paix : Pacification et stabilisation post-conflit (avec entre autres apports, une pertinente analyse sur l’utopie d’un quadrillage complet du territoire). Au sein du haut quartier général de la FIAS, une boutade circule sur ces PRT disant que leur objectif est de fournir in fine à chaque enfant afghan une école. Le nombre d’écoles financées ou construites serait si important, qu’il dépasserait de loin celui des autres structures ayant moins de retour médiatique sur investissement.


Stéphane Taillat a déjà signalé l’article du Washington Post (ils ont souvent souvent de bons reporters) décrivant les progrès accomplis en trois mois dans le district de Nawa (province du Helmand) par des Marines arrivés lors de l'envoi de renforts avant l’été 2009. En passant, cela illustre plus que jamais la nécessité d’analyser précisément la situation avec des "Suds afghans" bien différents entre celui des Britanniques, des Canadiens, des Hollandais ou des Américains (cf. le rapport de l’Institue for the Study of War sur cette province qui la divise en trois : le Sud qui est une zone de transfert, le Centre qui est le centre de gravité régional et le Nord qui est la zone de production d’opium). Cet article est particulièrement instructif sur plusieurs points : une situation toujours fragile et réversible, la stratégie de la tache d’huile (comment relier plusieurs taches d’huile entre elles ?), montrer le drapeau par des sorties (le journaliste parle de deux patrouilles par jour pour chaque équipe, c’est énorme…) ou encore le ratio Marines par habitant (plus intéressant que celui du nombre de Marines par km²). À ce sujet, le LCL Mc Collough qui commande le bataillon répond que « nous avons assez de Marines pour serrer la main de chacun ».

Enfin, Olivier Kempf a déjà parlé de l’article publié dans Le monde par le COL Durieux qui commande actuellement le bataillon français dans le district à l’Est de Kaboul. Sans tomber dans l’angélisme béat et triomphateur, il y aurait donc du mieux en Afghanistan et en particulier dans cette zone où faut-il le rappeler la France perdait 10 soldats en août 2008. Cela fait même dire le 7 octobre au CEMA, le GAL Georgelin lors de son audition devant la Commission de défense et des forces armées :

« À compter du mois de novembre, nous concentrerons nos moyens dans les districts de Surobi et de Kapisa pour y conduire des actions coordonnées de sécurisation des villages et de développement local. Agissant en liaison avec les forces de sécurité et les autorités afghanes, la France estime pouvoir ramener ces districts sur la voie de la stabilité dans les deux prochaines années. Je me suis rendu sur ce théâtre à plusieurs reprises pour apprécier les progrès obtenus par nos troupes dans leurs zones de responsabilité. Je ne retrouve pas toujours sur le terrain les descriptions faites dans la presse, notamment anglo-saxonne ».

Mais comme le disait le COL Durieux, « si référence historique il doit y avoir, nous sommes certainement plus proches de Lyautey [que du bourbier vietnamien] ». On en revient alors souvent à la même conclusion, Lyautey, sa tache d’huile et l'emploi de la force et de la politique sont des guides utiles pour les opérations sur le terrain. Oui, mais au service d’une stratégie que les écrits de Lyautey ne fournissent pas…

Pour finir, je signale la tenue le 23 novembre 2009 d'un colloque intitulé « Des armes et des coeurs : les paradoxes des guerres d'aujourd'hui " organisé par le CDEF et la CEIS. Le programme est disponible.

samedi 24 octobre 2009

Remarques afghanes (n°1)

Commentaires (en plusieurs parties) au sujet de récents billets publiés sur la blogosphère stratégique (lire ici et regarder + lire ici) et analyses de quelques récents événements ayant lieu au « pays des Afghans ».

Chacun son tour…

Le 27 mars 2009, Barack Obama officialise le concept d’Af-Pak montrant que la situation du Pakistan et celle de l’Afghanistan sont liées. Une des clefs pour stabiliser la région est de réduire la porosité de la frontière, véritable gruyère permettant la libre circulation des biens et des personnes pouvant soutenir les insurgés en Afghanistan. Généraux, envoyés spéciaux et ambassadeurs se succèdent pour exhorter Islamabad de lutter contre ses infiltrations. Le gouvernement américain envoie des forces spéciales formées les 50.000 grades frontières pakistanais, le Frontier Corps. Des budgets sont votés pour les équiper avec des lunettes de vision nocturne et des hélicoptères. Leurs soldes sont augmentées pour les rendre plus attractives malgré la dangerosité de leurs missions. Enfin, les tirs de missiles par des drones se poursuivent.

Le 21 octobre, le président de la commission conjointe pakistanaise des chefs d'état-major, le général Tariq Majid, demande à son tour à la FIAS de boucler la frontière afghano-pakistanaise. Sans cela, l’offensive majeure, réclamée de longue date par la FIAS, ayant cours au Sud-Waziristan n’atteindrait pas les effets escomptés. Sous la pression des opérations de l’armée pakistanaise, les Taliban pourraient librement s’échapper vers l’Afghanistan. Dans ces régions, ce sont des Taliban authentiques, ceux qui ont reçu un enseignement dans les écoles coraniques locales. Le général Tariq Majid se plaint du même coup du récent abandon de plusieurs postes frontières disséminés en Afghanistan. Ces retraites sont les corollaires de l’application sur le terrain des nouvelles directives du général Mc Crystal (avalisées d’ailleurs sans surprise par les ministres de la Défense de l’OTAN réunis à Bratislava). Ils sont jugés comme consommateurs inutiles en effectifs alors que les ressources humaines sont comptées et particulièrement intenables proportionnellement aux résultats obtenus.

Ces avant-postes sont des fragiles fortins tenus souvent par une section de Marines perdu en haute-altitude loin de tout. Ce sont de possibles forts Alamo qui ont déjà du faire face dans le passé à d’importantes attaques insurgées. Ainsi, dans la province de Kunar le 13 juillet 2008, 45 Américains et 25 soldats afghans font face à environ 200 insurgés. Plus récemment, le 3 octobre, une attaque similaire a lieu dans la province du Nouristan. Les seuls secours ne peuvent venir que du ciel (appui-feu aérien et hélicoptères de transport) et pour les assiégés, il faut tenir en attendant les renforts malgré l’ampleur des pertes. La tentation est alors forte de s’enfermer derrière des murailles et donc de limiter les patrouilles à l’extérieur. De plus, ces postes sont souvent isolés et les effectifs armant ces bastions ne sont pas au contact de la population. Or pour le général Mc Crystal, « la mission est de protéger la population et le conflit ne sera gagné qu’en persuadant la population et non en détruisant l’ennemi ». Des transferts de troupes ont actuellement lieu pour réorganiser le dispositif afin de les concentrer dans les zones habitées au détriment de zones plus faiblement peuplées.

Décider, c’est choisir. Choisir, c’est renoncer. Ainsi, le commandement de la FIAS est face à un dilemme cornélien qu’il lui faut trancher. Il est vital de rendre hermétique la frontière pour permettre une lutte en « champ clos » par la fermeture de la ligne Durand (dont les caractéristiques géo-physiques sont bien différentes de la ligne Morice). On aide mais on sous-traite aux Pakistanais (qui tentent de reconquérir le Nord puis le Sud-Waziristan). Et pendant ce temps là, les forces de la FIAS se concentrent à l'extrême sur le centre de gravité adverse, l’élément matériel ou immatériel dont l’adversaire tire sa puissance, sa liberté d'action ou sa volonté de combattre: en une expression, le soutien de la population.

jeudi 22 octobre 2009

La frontière orientale russo-chinoise, véritable trait d'union entre deux mondes?

Les relations russo-chinoises

Les deux masses continentales russe et chinoise ont deux sections de frontières en commun. La première de 55 km de long est située entre le Kazakhstan et l’Ouest de la Mongolie. La deuxième de 4.195 km débute à l’Est de la Mongolie, longe le fleuve Amour puis se poursuit vers la Corée du Nord.

Du discours prononcé à Vladivostok en juillet 1986 (qui annonce aussi le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan) à l’accord sur la livraison de gaz signé ce mois entre la Chine et le président de Gazprom, la région de « l’Extrême-Orient russe » est réellement devenue « une fenêtre ouverte sur l’Asie » comme le réclamait Mikhaïl Gorbatchev il y a plus de 20 ans. De la méfiance engendrée par le conflit frontalier entre la Chine et l’URSS en 1969 à l’actuel « partenariat stratégique et de coopération » proclamé au printemps 1996, bien du chemin a été fait.

Historiquement, la Russie oscille entre Orient et Occident. Elle hésite entre ses identités asiatiques et européennes, bien que sa population soit surtout concentrée à l’Ouest de l’Oural. La capitale moscovite demeure un centre qui redistribue le pouvoir (cf. un article analysant les conséquences géopolitiques de l’implantation géographique d’une capitale). Sous l’impulsion des siloviki au pouvoir (membres et vétérans de l’appareil de sécurité russe), la Russie semble aujourd’hui s’orienter vers une relation privilégiée avec l’Europe. Cela ne limite pourtant pas l’affirmation du partenariat avec l’acteur majeur de l’Asie du Nord-Est, dans une région que les analystes définissent comme le futur centre de gravité mondiale.

Des bénéfices tirés d’un rapprochement voulu à la tête de l’État

Au plus haut niveau des deux gouvernements, les initiatives se multiplient pour rapprocher deux géants qui ne peuvent s’ignorer. Le développement et le désenclavement des territoires sibériens ou des provinces chinoises passent par un rapprochement entre les territoires frontaliers. L’ouverture de ces régions permet d’ailleurs à ces deux pays de s’intégrer mutuellement dans leur environnement régional proche. La résolution du contentieux portant sur les îles du fleuve Amour va dans ce sens. Du point de vue des capitales occidentales, ces liens sont analysés comme les moyens de s’unir pour s’affirmer face à l’hégémonie américaine.

Pour la Chine, les livraisons pétrolières et gazières russes permettent de diversifier ses sources énergétiques alors que la rareté de ces dernières est connue pour être une des faiblesses pouvant à terme enrayer l’incroyable croissance économique de ces dix dernières années. La Russie est quant à elle un possible marché d’écoulement pour la production manufacturée chinoise.

L’industrie militaire russe s’en réjouit car cela lui assure la poursuite des commandes engrangées depuis 10 ans. Les 85 % des importations chinoises d’armement depuis le début des années 1990 viennent de Russie (Sukhoï-27 et 30, sous-marins diesels de la classe Kilo, etc.). Les contrats en provenance de la Chine représentent 45% des exportations russes d’armement depuis 1992 (pour plus d'informations, lire cette conséquente étude dirigée par Isabelle Facon: La coopération militaro-technique entre la Russie et la Chine ).

À travers l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) ou des exercices militaires en commun (appelés Missions de paix et joués en 2005, 2007 et 2009), les deux pays développent un partenariat portant sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, l’immigration illégale, la grande criminalité et les trafics de drogue. Même s’il est vrai, que ces accords visent surtout à stabiliser les marges proches de l’Asie Centrale.

Une frontière qui demeure un Janus à deux visages

Si les zones frontières sont des lieux d’échanges et de transits, elles demeurent aussi des lieux de confrontations et de tensions. Les principaux freins à cette politique de rapprochement russo-chinoise trouvent leurs origines surtout au niveau local (comme l'explicite en détails cette étude du CERI de Sciences Po: Le développement des relations frontalières entre la Chine et la Russie) alors que nous l’avons vu, les administrations centrales y sont plutôt favorables.

"En raison de questions territoriales et du problème de l'immigration chinoise, les autorités locales des régions frontalières russes ont bloqué les processus de coopération, contrairement à ce que souhaitaient les deux gouvernements. Si ces derniers sont intervenus pour résoudre ces blocages, qui étaient surtout motivés par des intérêts politiques et économiques, la coopération à l'échelle locale pose encore un certain nombre de problèmes".

Ainsi, des différends persistent entre les 7 millions de Russes de l’Extrême-Orient et les plus de 60 millions de Chinois vivant le long de la frontière orientale. Les plaintes concernent l’immigration chinoise considérée par la population russe comme « une invasion » incontrôlée ou plutôt contrôlée par Pékin alors même que la Russie est en chute démographique.

C’est aussi la contrebande de produits naturels pour la médecine traditionnelle chinoise, des armes, de la drogue, des métaux ou encore de la pêche dans les eaux fluviales du fleuve Amour. Cette contrebande apporte ses inévitables corollaires que sont la criminalité violente, la corruption des élus locaux et des forces de police ou de douane.

Entre revendications régionalistes (« ne pas rétrocéder à la Chine, une partie même infime du territoire russe »), récriminations contre les droits de douane jugés exorbitants et dénonciations de la mauvaise qualité des marchandises, les sujets d’exacerbations sont nombreux.

Vers un monde pas plus dangereux mais plus incertain

En conclusion, les relations entre la Chine et la Russie sont pleines de pragmatisme : pendant que chacun y trouve des intérêts, elles se poursuivent. Ensuite, nul n’est à l’abri d’un retournement d’alliance. Ainsi dans son essai de prospective asiatique pour 2025, Bruno Tertrais de la FRS n’hésite pas à proposer « un scénario mandchou inversé » pouvant engendrer un possible conflit Russie/Chine de prédation envers la Russie ou alors de réaction face à la menace du dynamisme chinois : « c’est plutôt l’affaiblissement de l’un ou l’autre des deux pays – voire des deux simultanément – qui pourrait déboucher sur un conflit ».

Article également publié sur l'Alliance géostratégique.

Crédits photographiques: www.french.xinhuanet.com

jeudi 15 octobre 2009

La bataille des derniers centimètres


Les opérations réseaux-centrées permettant de gérer et déclencher à distance des feux de précision (artillerie sol-sol, missiles mer-terre, frappes aériennes, etc.) ont rendu caduques l’importance du choc d’hommes à hommes pour l’obtention de la décision. Il est possible de l’emporter de loin sans jamais voir à l’œil nu sa cible. Le « combat indirect » prime alors sur la fonction opérationnelle « contact ». « La bataille des 300 derniers mètres » semble faire partie de l’Histoire passée à l’époque des antiques charges et assauts. Pourtant, les opérations militaires en phase de stabilisation redonnent la prééminence à l’infanterie. La période est au contact direct (en particulier la composante « combat débarqué ») au sein de la population qu’il faut convaincre et contre l’adversaire qu’il faut parfois détruire. Le modèle très irakien des embuscades en zone urbaine consacre « la bataille des 10 derniers mètres » rendue primordiale dans ce milieu clos.

La contre-rébellion étant composée de phases de haute ou de basse intensité, les militaires agissant aujourd’hui en Afghanistan font face à des situations très diverses : des tirs d’harcèlement à plus de 300 mètres par un adversaire tenant les crêtes et invisibles derrière les rochers, des embuscades où l’ennemi tente de s’imbriquer dans les dispositifs amis pour empêcher l’appui aérien lors des désengagements afin de ne pas risquer les tirs fratricides, etc. La ligne de front n’est plus face à soi, mais la menace est multi-directionnelle, pouvant venir des 360°, au près comme au loin.

Les fondamentaux tactiques enseignés aux combattants intègrent ces caractéristiques. Ainsi, les Britanniques font un effort particulier sur les transmissions lors des mises en condition avant une projection dans le Helmand. À la maxime « chaque soldat est un capteur » montrant l’importance de la collecte de renseignements en contre-insurrection, ils ajoutent que « chaque soldat est aussi un transmetteur ». Ils multiplient donc les compétences de base afin qu’un maximum de soldats puisse guider un tir d’artillerie ou une frappe aérienne en cas de contact avec l’ennemi. Agissant dans une zone en partie couverte par une végétation dense (surtout dans la « Green zone » humide le long du fleuve), les Britanniques prennent des mesures adaptées pour des opérations où la visibilité est réduite, les champs de tirs non dégagés et les possibilités de sa cacher nombreuses. Ainsi, l’ensemble des patrouilles à pieds se font avec la sélection « rafale » est enclenchée sur les fusils d’assaut. Ceci est nécessaire pour pouvoir répliquer par réflexe avec un tir saturant la zone de départs de coups et qui fait immédiatement baisser la tête à l’adversaire.

De plus, si les combats au corps à corps ne sont pas fréquents, ils ne sont pas non plus inexistants. « La bataille des derniers centimètres » (pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu cf. l’étude du colonel Goya) est une réalité vécue. Ainsi, il n’est pas rare que les patrouilles se fassent la baïonnette au canon comme en témoigne les nombreuses photos des correspondants de guerre. Un lieutenant du Royal Regiment of Scotland a récemment reçu la Military Cross pour avoir tué à la baïonnette en juillet 2008 un insurgé qui fonçait sur lui avec sa mitrailleuse. Il explique lucidement sa réaction et son geste, montrant l’impact du drill et des « forces morales » du combattant.

Depuis la bataille des Faklands en 1982, les forces terrestres britanniques ont plusieurs fois eu recours à la baïonnette lors de combats au corps-à-corps. Le centre d’analyse américain sur la guerre urbaine (UWAC) revient sur un épisode se déroulant en mai 2004 en Irak. Une patrouille d’une vingtaine de Britanniques est prise en embuscade par une centaine de miliciens chiites de l’armée du Mahdi. Quand les munitions commencent à manquer et que les secours tardent, ils décident de charger pour se désengager, tuant 20 à 35 insurgés sans aucune perte du côté britannique. L’UWAC relève que cette démonstration de force fut couronnée de succès malgré le déséquilibre des forces car la surprise fut totale chez l’adversaire peu habitué à ces méthodes non-conventionnelles de combat et croyant les Occidentaux lâches et incapables de mener un combat au corps-à-corps.

Si les Français cherchent dans leur doctrine plutôt à se protéger d’une mauvaise surprise adverse qu’à la créer, la culture militaire britannique consacre la surprise comme un élément de l’art de la guerre qui permet de gêner l’adversaire et de contourner ses attentes. Contournement, règle éternelle de la guerre…

PS : pour alimenter l’actuel débat créé par l’article du Times (n’apportant rien de nouveau pour ceux qui se sont penchés sur cette tragique embuscade…), je conseille la lecture de l’étude et du manuel du Center of Army for Lessons Learned sur « l’argent comme une arme en COIN ».

jeudi 8 octobre 2009

En Afghanistan, ils ne sont pas à l'abri des mêmes débats que chez nous


Ni la situation sécuritaire, ni l’état des Forces nationales afghanes de sécurité (ANSF) ne sont comparables, mais de récentes prises de position pourraient sous-entendre l’apparition d’un débat bien de chez nous. Ce serait la version afghane des débats sur la pertinence d’accoler « intérieure » ou « extérieure » à « sécurité » ou « défense », sur l’emploi des trois armées sur le territoire national, de la Gendarmerie nationale en OPEX, etc.

Ayant eu la possibilité d’écouter un officier américain sur la doctrine US de contre-insurrection (COIN), j’ai été frappé par quelques points qui tranchent avec une vulgate (sans doute un peu MA vision) trop caricaturale. Il s’agissait du colonel Roper qui dirige le COIN Center (à Fort Leavenworth) crée en 2006 sous l’impulsion des généraux Petraeus et Mattis. Cet organisme a pour mission d’améliorer la capacité des forces à agir dans un environnement de COIN (en s’appuyant sur les FM 3-07 et 3-24).

Rien de révolutionnant dans sa présentation du tryptique : « clear an area (Offense) AND hold with security forces (Defense) AND build support and protect the population (Stability) » et non « clear THEN hold THEN build ». Rien non plus de nouveau d’annoncer que cela ne sert à rien de nettoyer une zone si on ne possède pas les moyens de tenir et reconstruire.

Par contre, ses déclarations sur l’importance de faire un effort sur les POMLT sont intéressantes. Les POMLT (Police Operational Mentoring and Liason Team) ont pour mission de conseiller, entrainer et soutenir les unités de la Police nationale afghane (ANP) afin de les amener à un niveau d’efficacité opérationnelle leur permettant de prendre en compte de manière autonome leurs missions. S’il a aussi parlé de l’intérêt des OMLT et des ETT (qui ont la même mission mais pour l’Armée nationale afghane ou ANA), cette insistance pour les POMLT est plus rare et peut être analysée de différentes manières.

Un important effort a été fait (avec plus ou moins de résultats) pour une montée en puissance de l’ANA mais la Police nationale afghane (ANP) ne bénéficie pas du même taux d’encadrement donc « envoyez plus de mentors ». Cela tombe bien, l’arrivée sur le terrain des premières POMLT françaises de la Gendarmerie mobile est imminente. Rejoignant ainsi la cohorte des policiers norvégiens ou finlandais insérés dans les PRT, des POMLT étrangères (principalement US), de la mission EUPOL à partir de 2007 de formation (avec des instructeurs principalement allemands mais aussi canadiens), etc. Particulièrement dangereuse (les policiers afghans sont la cible de la majorité des attaques des insurgés), cette mission manque de moyens alors que dans son récent rapport le général Mc Crystal souhaite le doublement des effectifs de l'ANP (pour atteindre 160 000 hommes sans date précise) avec hausse du "partnering" plus que du "mentoring" (j'y reviendrais dans un autre billet).

Mais le cas français est aussi significatif d’une autre problématique. Les gendarmes envoyés en Afghanistan ne sont pas comptabilisés dans le nombre de militaires en OPEX (mesure politicienne pour ne pas faire enfler les chiffres, mais pas uniquement). La Gendarmerie nationale est de plus dans une période assez floue quant à son avenir avec son récent rattachement organique au ministère de l’Intérieur sans perte du statut militaire pour ses membres. En Afghanistan, les POMLT ne seront pas sous la même structure de commandement (car sous commandement militaire pour des « missions militaires ») que les gendarmes déjà déployés au sein des GTIA pour des missions de Police militaire (la Prévôté) ou scientifique.

Mais surtout, faire effort sur l’ANP est le signe d’une réflexion américaine plus profonde et en évolution permanente sur la nature de l’insurrection. Faire appel aux policiers pour rétablir et maintenir la sécurité démontre que les Américains tendent à analyser l’insurrection aux milles visages comme découlant principalement d’une instabilité économique ou sociale interne bien plus que d’un terrorisme armé par des éléments extérieurs. Ce qui n’est pas une mince évolution. Le colonel Roper employant la conclusion de Bernard Fall : “When a country is being subverted it is not being out-fought; it is being out-administered”. Face à cela, la priorité est donc de répondre par le développement des « forces du dedans » en anticipant aussi sur un long terme positif où l’armée (les « forces du dehors ») sera en deuxième rideau sur le territoire national. Pour reprendre la distinction du comte de Guibert en 1790 dans son Traité de la force publique. Même si ce dernier préconisait « les deux forces doivent être réunies quand leur combinaison peut plus efficacement apaiser le trouble ». Une étude comparée des doctrines (rédigées par des consultants de SMP pour la petite histoire) de l’ANA et de l’ANP gagnerait à être réalisée pour connaitre leur champ d'intervention respectif.

En conclusion, je souhaite retranscrire une réflexion de l’Inspecteur Générale des Armées-Gendarmerie (ce qui interpelle autant que cela donne un poids certain à sa réflexion !) lors de la récente Journée d’études de l’IRSEM : « Si les armées (Terre, Air, Mer) sont exclusivement réservées pour l’action à l’extérieur du territoire national, c’est le moyen le plus sur de les couper de la Nation dont elles sont issues. Alors même que leur mission n°1 est de défendre l’intégrité de ce territoire (sur place par les MISSINT ou hors des frontières) ».

jeudi 1 octobre 2009

Des Afghanistans, des insurgés, etc.


Pour décrire facilement la situation en Afghanistan, des simplifications sont employées dans la presse, les analyses scientifiques, les conversations privées, les discours politiques, etc. Ainsi pour aller vite, les conditions sécuritaires, de développement et de gouvernance aux pays des Afghans (pour reprendre les 3 anciennes lignes d’opérations de l’ISAF avant que le général Mc Crystal ne rajoute celle de la Communication stratégique) ne s’améliorent pas, l’emprise des Taliban sur la population est grandissante. Aucun observateur sérieux ne peut affirmer le contraire, mais…

Sans proposer une grille d’analyse exhaustive, il est néanmoins possible de « découper » le pays selon différents critères qui permettent de mieux rendre compte de la diversité des situations. Le morcellement peut se faire selon des critères géographiques (un Sud et des Nords), physiques (des hautes plaines et des plaines arides ou semi-arides, etc.), ethniques (Pashtouns, Hazaras, Ouzbeks, Tadjiks, Kirghizes, etc.), etc.

Rien qu’au niveau des zones de déploiement des soldats français, le district de Surobi (à l'Est de Kaboul) n’est pas semblable à la province de Kapisa, (au Sud de Bagram) à celles où sont déployés les OMLT (Operational Mentoring Liason Teams) ou à la ville de Kaboul.

Dans la capitale, le processus de transfert des responsabilités aux forces nationales afghanes de sécurité est bien avancé : toutes les opérations (de la planification à l’exécution) se font conjointement avec les forces afghanes en première ligne quand elles ne sont pas elles-mêmes autonomes. Le BATFRA (Bataillon français) intervient pour apporter son expertise dans un domaine particulier (la neutralisation d’explosifs) ou lors d’événements nécessitant des effectifs importants (sécurisation des commémorations, recensement pré-électoraux, etc.).

Dans de nombreuses vallées en Surobi (là même où il y a plus d’un an, 10 militaires trouvaient la mort à Uzbeen), les TIC (Troops in Contact) se raréfient. Même les EEI (Engins explosifs improvisés parfois du baroud d’honneur des insurgés) tendent à disparaitre. Les inaugurations de nouvelles écoles, de dispensaires, de postes de police ou de plantations se multiplient. Le CIMIC (Civil-military cooperation) bat son plein. Ce qui faisait dire au général français commandant le Commandement Régional-Centre : « Le défi en Surobi est en passe d’être relevé ».

En Kapisa (surtout dans le Sud de la province où agissent les Français), la situation est différente comme le prouve les derniers chiffres publiés par le très « Galulesque » patron de la Task Force Korrigan. Après que la TF Tiger est donnée un coup de pied dans la fourmilière lors de l’opération « Diner out », les insurgés se ressaisissent et multiplient les embuscades, les harcèlements de positions ou les EEI. Seuls les officiers et quelques spécialistes du CIMIC, des PSYOPS ou du RENS osent s’aventurer tête nue tout en portant en permanence le gilet pare-éclats (question d’assurance mais aussi de sécurité).

Pour les OMLT agissant plus dans le sud de l’Afghanistan (dans les provinces de l’Oruzgan, du Wardak et du Longwar avant leur regroupement en Kapisa et en Surobi), les EEI sont toujours aussi nombreux surtout le long de l’axe principal Kandahar-Kaboul. Les COP (postes de combat avancés où vivent les OMLT avec les unités de l’armée nationale afghane) sont harcelés principalement la nuit par des tirs de roquettes, etc. Si la guérilla est de faible intensité, elle n’en demeure pas moins réelle et permanente.

Plus globalement, il en est de même dans tout le pays : une Three Blocks War à petite et à grande échelle ? Au niveau local et du théâtre d’opérations ? Pas de périphrase possible, dans le sud de l’Afghanistan c’est LA guerre au quotidien. Malgré les efforts pour ne pas s’enfermer dans leurs Platoon-houses, les patrouilles britanniques et des Marines se font toutes accrocher dans les étendues vertes le long du fleuve Helmand comme dans les étendues steppiques arides où surgissent quelques fermes fortifiées (ou compounds). Kandahar semble être tombé aux mains des Taliban (les vrais par ceux des raccourcis simplistes !) et la frontière irano-afghane ou afghano-pakistanaise restent des zones poreuses d’infiltration. Jusqu’alors relativement épargnés, même les Allemands au Nord « redécouvrent la guerre » : bérets contre casques lourds, renforcement des blindages, difficultés des Provincial Reconstruction Teams à travailler, etc.

Que dire ensuite de l’emploi abusif et récurrent de la dénomination de Taliban (pour rappel, un Taleb pour un étudiant en religion et des Taliban sans « s » car cela est déjà au pluriel). Mais les insurgés qui s’opposent par les armes au Gouvernement de la République Islamique d’Afghanistan (GIRoA) et aux forces de la Coalition sont plutôt : le HiB (Hezb-i-Islami dirigé par Gulbuddin Ekmatyar.), les réseaux de Jalaluddin Haqqani, les Taliban de la shura de Quetta et du mollah Omar, le HiK (Hezb-i-Islami Khalès dirigé par Yunus Khalès), les trafiquants d’opium, les petits délinquants de droit commun, les volontaires étrangers d’AQAM (Al-Qaeda et ses mouvements associés), l’Afghan prenant le maquis pour venger la mort de son fils tué par un « warning shot » intempestif, le chômeur voulant survivre en gagnant 10$ en lâchant une rafale d’AK 47 sur un convoi et j’en oublie. Cette disparité engendre une multitude de modes d’action, de recrutement, de financement, de motivations.

Si penser, c’est faire des globalités alors essayons de penser mieux en en faisant moins.