Pour décrire facilement la situation en Afghanistan, des simplifications sont employées dans la presse, les analyses scientifiques, les conversations privées, les discours politiques, etc. Ainsi pour aller vite, les conditions sécuritaires, de développement et de gouvernance aux pays des Afghans (pour reprendre les 3 anciennes lignes d’opérations de l’ISAF avant que le général Mc Crystal ne rajoute celle de la Communication stratégique) ne s’améliorent pas, l’emprise des Taliban sur la population est grandissante. Aucun observateur sérieux ne peut affirmer le contraire, mais…
Sans proposer une grille d’analyse exhaustive, il est néanmoins possible de « découper » le pays selon différents critères qui permettent de mieux rendre compte de la diversité des situations. Le morcellement peut se faire selon des critères géographiques (un Sud et des Nords), physiques (des hautes plaines et des plaines arides ou semi-arides, etc.), ethniques (Pashtouns, Hazaras, Ouzbeks, Tadjiks, Kirghizes, etc.), etc.
Rien qu’au niveau des zones de déploiement des soldats français, le district de Surobi (à l'Est de Kaboul) n’est pas semblable à la province de Kapisa, (au Sud de Bagram) à celles où sont déployés les OMLT (Operational Mentoring Liason Teams) ou à la ville de Kaboul.
Dans la capitale, le processus de transfert des responsabilités aux forces nationales afghanes de sécurité est bien avancé : toutes les opérations (de la planification à l’exécution) se font conjointement avec les forces afghanes en première ligne quand elles ne sont pas elles-mêmes autonomes. Le BATFRA (Bataillon français) intervient pour apporter son expertise dans un domaine particulier (la neutralisation d’explosifs) ou lors d’événements nécessitant des effectifs importants (sécurisation des commémorations, recensement pré-électoraux, etc.).
Dans de nombreuses vallées en Surobi (là même où il y a plus d’un an, 10 militaires trouvaient la mort à Uzbeen), les TIC (Troops in Contact) se raréfient. Même les EEI (Engins explosifs improvisés parfois du baroud d’honneur des insurgés) tendent à disparaitre. Les inaugurations de nouvelles écoles, de dispensaires, de postes de police ou de plantations se multiplient. Le CIMIC (Civil-military cooperation) bat son plein. Ce qui faisait dire au général français commandant le Commandement Régional-Centre : « Le défi en Surobi est en passe d’être relevé ».
En Kapisa (surtout dans le Sud de la province où agissent les Français), la situation est différente comme le prouve les derniers chiffres publiés par le très « Galulesque » patron de la Task Force Korrigan. Après que la TF Tiger est donnée un coup de pied dans la fourmilière lors de l’opération « Diner out », les insurgés se ressaisissent et multiplient les embuscades, les harcèlements de positions ou les EEI. Seuls les officiers et quelques spécialistes du CIMIC, des PSYOPS ou du RENS osent s’aventurer tête nue tout en portant en permanence le gilet pare-éclats (question d’assurance mais aussi de sécurité).
Pour les OMLT agissant plus dans le sud de l’Afghanistan (dans les provinces de l’Oruzgan, du Wardak et du Longwar avant leur regroupement en Kapisa et en Surobi), les EEI sont toujours aussi nombreux surtout le long de l’axe principal Kandahar-Kaboul. Les COP (postes de combat avancés où vivent les OMLT avec les unités de l’armée nationale afghane) sont harcelés principalement la nuit par des tirs de roquettes, etc. Si la guérilla est de faible intensité, elle n’en demeure pas moins réelle et permanente.
Plus globalement, il en est de même dans tout le pays : une Three Blocks War à petite et à grande échelle ? Au niveau local et du théâtre d’opérations ? Pas de périphrase possible, dans le sud de l’Afghanistan c’est LA guerre au quotidien. Malgré les efforts pour ne pas s’enfermer dans leurs Platoon-houses, les patrouilles britanniques et des Marines se font toutes accrocher dans les étendues vertes le long du fleuve Helmand comme dans les étendues steppiques arides où surgissent quelques fermes fortifiées (ou compounds). Kandahar semble être tombé aux mains des Taliban (les vrais par ceux des raccourcis simplistes !) et la frontière irano-afghane ou afghano-pakistanaise restent des zones poreuses d’infiltration. Jusqu’alors relativement épargnés, même les Allemands au Nord « redécouvrent la guerre » : bérets contre casques lourds, renforcement des blindages, difficultés des Provincial Reconstruction Teams à travailler, etc.
Que dire ensuite de l’emploi abusif et récurrent de la dénomination de Taliban (pour rappel, un Taleb pour un étudiant en religion et des Taliban sans « s » car cela est déjà au pluriel). Mais les insurgés qui s’opposent par les armes au Gouvernement de la République Islamique d’Afghanistan (GIRoA) et aux forces de la Coalition sont plutôt : le HiB (Hezb-i-Islami dirigé par Gulbuddin Ekmatyar.), les réseaux de Jalaluddin Haqqani, les Taliban de la shura de Quetta et du mollah Omar, le HiK (Hezb-i-Islami Khalès dirigé par Yunus Khalès), les trafiquants d’opium, les petits délinquants de droit commun, les volontaires étrangers d’AQAM (Al-Qaeda et ses mouvements associés), l’Afghan prenant le maquis pour venger la mort de son fils tué par un « warning shot » intempestif, le chômeur voulant survivre en gagnant 10$ en lâchant une rafale d’AK 47 sur un convoi et j’en oublie. Cette disparité engendre une multitude de modes d’action, de recrutement, de financement, de motivations.
Si penser, c’est faire des globalités alors essayons de penser mieux en en faisant moins.
4 commentaires:
Excellent, clair et très bien renseigné. Bon courage pour la suite camarade
Amitiés
Stéphane (qui ne viendra pas à l'Ecole Militaire de sa propre décision)
Très intéressant comme toujours.
Pour l'orthographe des talibans, la règle veut que l'emploi en français de mots étrangers au passage, en francise l'usage. C'est taliban qui a été retenu et non taleb, il est donc correct d'écrire des talibans.
Bravo. Clair et précis. Votre billet permet de décrire la complexité qui est derrière un vocabulaire tellement englobant qu'il n'explique plus rien.
Plus généralement, la problématique de l'analyse des systèmes ennemis en opérations correspond à la problématique de votre billet. On peut résumer le travail à effectuer par étude complexe et présentation simple des résultats.
Cordialement
@ Stéphane: Merci. Je m'empare petit à petit comme toi des guerres d'Afghanistan (d'ailleurs, j'aime bien le concept "DES guerreS").
@Lolik: En effet, c'est vrai que cela peut donner un style sans doute un peu supérieur d'employer l'orthographe arabe. Ce qui est gênant dans beaucoup de papiers, c'est le manque d'unité par l'emploi de termes francisés et d'autres d'origine. Autant choisir pour tous. Et merci pour le compliment.
@SD: Je retiens le : "étude complexe et présentation simple des résultats" venant d'un connaisseur de l'analyse des systèmes.
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