dimanche 15 décembre 2013

Centrafrique : pourquoi ne pas envoyer la Gendarmerie nationale ? (+ MAJ 1 + 2)

Quelles sont les raisons qui empêcheraient le déploiement d'éléments de la Gendarmerie nationale, en particulier d'escadrons de gendarmes mobiles (EGM), dans le cadre de l'opération Sangaris ? 


La réponse apportée à la grave crise à Bangui et dans de larges territoires de la République centrafricaine (RCA) gagnerait à être complétée par des acteurs autres que ceux des trois armées. La France tirerait des bénéfices certains de la spécificité de cette autre composante des forces armées.

Des gendarmes déjà présents...

Ce déploiement de gendarmes se ferait en plus de celui déjà effectif de : 
  • la prévôté (police judiciaire au sein des armées présente dès lors qu'une force interarmées est déployée en opérations extérieures) ;
  • des éléments en charge de la protection des intérêts français (de l'ambassade de France à Bangui et de certaines autres emprises) ;
  • des gendarmes de la coopération technique et structurelle auprès de la gendarmerie et de la police centrafricaine dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité (RSS). 
Pour ce dernier point, et jusqu'à la suspension le 24 mars 2013 de la coopération, il s'agissait pour les attachés de défense (via la DCSD du ministère des Affaires étrangères) et de sécurité intérieure (via la DCI du ministère de l'Intérieur) ou les coopérants :
  • de formation (notamment à l'école de gendarmerie  nationale de Kolongo, au nord de Bangui) ;
  • de restructuration auprès du directeur-général de la gendarmerie nationale);
  • de transfert de matériels (transmissions, véhicules, uniformes, etc.).
L'aide s'élevait à 670.000€ en 2012 (2 à 3 fois moins que celle dans le domaine de la défense), dont une aide logistique directe de 93.000€.


La situation actuelle se caractérise par un environnement instable où il est nécessaire de rétablir l'ordre publique (protection des populations et des biens) avant d'espérer, dans un second temps, maintenir ce même ordre. Pour cela, la gendarmerie nationale est en mesure théorique de se substituer en partie à des forces locales, absentes ou trop faibles numériquement, puis ensuite de renforcer ces mêmes forces locales suite au lancement de la reconstruction de ces dernières.

Assister la gendarmerie centrafricaine

Cela ferait d'autant plus sens qu'il existe une gendarmerie centrafricaine. Héritière de la décolonisation et calquée en grande partie sur le modèle français, la gendarmerie centrafricaine avait comme missions la police judiciaire, administrative et militaire, en plus du maintien de l'ordre. Une centaine de brigades était répartie sur l'ensemble du territoire, et une légion était composée de gendarmes mobiles. Elle atteignait les 1.800 hommes environ, avant la dernière implosion qu'a connu le pays en mars 2013.

Aujourd'hui, les policiers et les gendarmes centrafricains semblent avoir en partie la confiance des militaires français et des autorités locales, étant les seules forces autorisées à patrouiller en armes dans Bangui. Les militaires (dont une proportion non négligeable d'ex-Séléka) restent quant à eux théoriquement cantonnés dans leurs casernes (en partie avec leurs armes), rendant, pour le moment, plus qu'hypothétique le processus de refondation de forces armées centrafricaines.
Une concentration plus importante sur les unités de sécurité intérieure, par rapport à un effort trop déséquilibré sur les seules unités de défense, permettrait en plus de répondre à un biais courant de la réforme du secteur de la sécurité tel qu'il est souvent pratiqué. Refonder surtout des armées conduit bien souvent à politiser de manière excessive ces unités, conduisant les systèmes politiques locaux à leur chute via un mélange des genres, et un partage déséquilibré des pouvoirs entre civils et militaires.


Avec le déploiement de gendarmes, la France aurait tout à gagner à bâtir une coopération opérationnelle entre des unités françaises et centrafricaines ayant une vocation similaire. Par cette proximité, le transfert de compétences ne serait qu'amélioré via la mise en place de détachement d'assistance opérationnelle pour la formation, l'accompagnement et le conseil en opérations des unités centrafricaines de sécurité intérieure (cf. le modèle des POMLT en Afghanistan dans un contexte plus permissif).

En complément des unités des armées

Si le déploiement en opérations extérieures ne fait pas partie de "la priorité missionnielle" de la gendarmerie nationale, force est de constater que la Centrafrique correspond parfaitement au cas où un tel déploiement présenterait un intérêt politique et opérationnel, en plus de démontrer la pleine appartenance à la communauté militaire de cette composante. Les expériences passées (Kosovo, Afghanistan, Côte d'Ivoire, etc.) ont aidé à forger une vraie complémentarité entre toutes ces capacités.

Même si des lacunes devraient être comblées (notamment dans le domaine des véhicules blindés - cf. le cas des VABs récupérés à l'armée de Terre avant un déploiement en Afghanistan), ses moyens et savoirs-faire renforceraient les capacités de la force interarmées, permettant notamment aux militaires des autres armées de se concentrer sur d'autres types de missions (hors du contrôle de foule) ou sur des zones de déploiement aujourd'hui non couvertes faute d'effectifs suffisants.

Alors que les unités de l'opération Sangaris sont actuellement confrontées à des situations complexes nécessitant de faire appel à des capacités de contrôle de foule (cf. la différence avec le maintien de l'ordre et les risques inhérents à cela dans le cas de Kidal - Mali), la Gendarmerie mobile apporterait toute son expérience à gérer ce genre de situations, tout en gardant une capacité de réversibilité (aidée par les unités de l'armée de Terre) si la situation venait à dégénérer en guérilla urbaine. 

Si ce n'est pas une question opérationnelle (la Gendarmerie sait faire) ou culturelle (le déploiement en Afghanistan a rendu caduque "un corporatisme" faisant croire qu'ils n'étaient pas faits pour cela), il reste la question des moyens disponibles. Entre la garde de portails écotaxe, les zones de sécurité prioritaires (ZSP), le maintien d'une alerte Guépard pour le Mali (en cas de nouvelles violences à Bamako), les escadrons de Gendarmerie mobile (aujourd'hui 108, soit 15 de moins qu'en 2011) ont fort à faire. 

Dommage, ils auraient été sans doute bien utiles.

PS : que dire du déploiement possible de la force de gendarmerie européenne ? Est-il plus envisageable que celui des Groupements tactiques européens (GTUE) ?
MAJ 1 : à titre d'information, actuellement en opérations extérieures : 1 peloton de gendarmes mobiles à Bamako et 1 autre à Bagdad (sécurisation de l'ambassade) et 1 peloton au Kosovo (formation de la police locale), soit moins l'équivalent de moins d'un escadron (5 pelotons par escadron : 1 hors rang et 4 de marche). Actuellement en outre-mer : 19 escadrons de gendarmes mobiles (dont 6 en Guyane).

MAJ 2 : le général (2S) Cavallier, qui a entre autres fonctions commandé le centre d'entraînement des forces de Gendarmerie de Saint-Astier, développe également cette idée sur le blog de Jean Guisnel : "En Centrafrique, la France pourrait déployer ses unités de gendarmerie mobile" (Défense ouverte). Cela ne doit pas être donc si idiot...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Analyse très pertinente. Malheureusent, Sarkozy, puis Valls aujourd'hui n'ont de cesse de civiliser les gendarmes. Rattachement au Ministère de l'Intèrieur, forte diminution des escadrons de gendarmes mobiles, quasi disparition des moyens blindés de la gendarmerie mobile.

Ce n'est qu'à l'occasion des conflits extérieurs qu'on veut bien se rappeler que les gendarmes sont militaires, avec un savoir-faire spécifique de leurs collègues policiers, n'en déplaise aux sýndicats de ces derniers.

Jean-Yves Fontaine a dit…

Très bonne analyse. Bravo.

Anonyme a dit…

Simplement pour préciser que les unités prévôtales ne sont pas déployées systématiquement. Je pense aussi qu'il est difficile, depuis le ralliement des gendarmes au ministère de l'intérieur de les envoyer en OPEX pour ce type de mission.

Anonyme a dit…

A voir ce qu en dit m goya ! L armee de terre a fait du maintien de l ordre au kosovo. Les gendarmes ont ils memes capacite en cas de degradation brutale d une situation ?? De tete et de ce que j ai entendu dans les propos de militaires dans les annees etait que la gendarmerie centrafricaine etait une force serieuse ....

Raymond Barré a dit…

Si j'en crois le général Cavalier, l'idée serait de faire intervenir la GM, subdivision parfaitement rompue au MO. Cet officier précise que nos forces se trouvant en situation dégradée comme elle l'ont été à certains moments au Kosovon, il est évident que la GM laisserait la place à l'armée de terre si les circonstances l'y obligeait (le MO oui, le RO non)