mercredi 11 septembre 2024

Conférence - Préparer la BITD au conflit de haute-intensité (Eurosatory 2024)

Où en sommes-nous sur « la préparation à l’économie de guerre », formulation plus juste que celle de "entrée en économie de guerre" stricto sensu, plus industrielle, plus représentative de la situation vécue depuis les aiguillons successifs du Covid-19 ou du discours du Président de la République prononcé le 13 juin 2022 ? 

Que reste-t-il encore à faire pour pouvoir répondre à ce « contexte inédit », notamment marqué par “les conflits de haute intensité”, déclinaison militaire de la compétition stratégique, où déjà des premiers pas ont été faits et ou d’autres ont besoin d’être faits pour faire encore plus, encore plus vite, et, autant que possible, moins cher ?

Une haute intensité marquée par des échelles peu connues de durée, de distance, de volume d’hommes et de matériels nécessaires, de gamme de technologies employées, etc. Si c’est la déclinaison militaire de la compétition, elle intégré donc un volet capacitaire, donc touche directement à l’outil chargé de développer, produire et soutenir ces capacités, la base industrielle et technologique de défense.

Lors d’une table ronde que j’ai eu le plaisir de modérer lors du dernier salon Eurosatory en juin 2024, quatre intervenants issus à la fois de l’administration et de la BITD, dans toute sa diversité faite de grandes et petites entreprises, ont bien voulu vernir en discuter. L’organisation du salon a mis récemment en ligne la vidéo de la conférence pour pouvoir la découvrir. Avec de nombreuses autres.

  • L’Ingénieur général de l’armement (IGA) Olivier LECOINTE, chef du service des orientations industrielles à la Direction de l’Industrie de Défense (DID) de la Direction Générale de l’Armement (DGA).
  • Bruno BERTHET, Président exécutif de la société ARESIA, ETI française duale active principalement dans les équipements aéronautiques, qui participe depuis 5 ans à la consolidation de la filière via des opérations de croissance externe.
  • Rémi LE TENIER, responsable des affaires publiques et chargé de mission auprès du vice-président d’Aubert & Duval, société de métallurgie française produisant différents produits en alliage de haute performance.
  • Alexandre LABESSE, PDG d’HEXADRONE, société allant de la production de moutons à 5 pattes, dronisés, à des produits industrialisés de petite et moyenne série, en passant par la distribution de références pour ces usages.

Sans reprendre tous les propos des intervenants, quelques points à noter.

Les 7 axes de travail de la DGA dans le cadre de cette « préparation à l’économie de guerre » : 

  • Produire plus et plus vite : ou identifier notamment l’ensemble des freins bloquants, dont le sujet des stocks, avec un travail en cours pour commencer avec les grands donneurs d’ordres sur l’identification des justes stocks (matériaux, sous-systèmes à longs délais d’approvisionnement…), et le partage des coûts État/industrie ;
  • Faire autrement : toutes les actions de simplification, d’analyse de la valeur, ou d’analyse fonctionnelle pour pouvoir spécifier autrement ;
  • Mesurer et faire évoluer l’aptitude à répondre : avec des outils de remédiation et d’accompagnement, notamment après des diagnostics de mesure de la performance industrielle (les premiers ont été réalisés chez plusieurs industriels, grands maitres d’œuvre et acteurs de taille plus petite, où la DGA pressentait des marges d’amélioration possible pour accélérer, et un accompagnement est déjà lancé dans la généralisation des bonnes pratiques) ;
  • Consolider la souveraineté : notamment via les relocalisations ;
  • La résilience et la protection : sur les plans physique et cyber ;
  • S’inscrire et peser à l’international : en coopération, par exemple, via le dispositif ASAP pour les actions de soutien européen à la production de munitions ;
  • Les ressources humaines : via la réserve industrielle dans les chaines de production et l’attention portée aux métiers en tension (en lien notamment avec France Travail pour des initiatives de recrutement via e-salon, par exemple).

L’importance de la notion de « politique industrielle », qui permet notamment d’identifier les manques, de les consentir en connaissance de cause ou d’y remédier en organisant la réindustrialisation dans le cadre d’un dialogue État/BITD. Ce fût le cas, par exemple et un peu en avance de phase par rapport aux discussions post 2022, dès 2018 pour Aresia concernant la production de corps de bombes, en anticipant dès le début la possibilité d’accélérer très fortement les cadences via l’investissement dans une usine. En parallèle, le Covid a été un révélateur de la nécessaire profondeur nécessaire dans la connaissance de la chaine de sous-traitance, notamment pour l’approvisionnement en matériaux, où l’Europe aujourd’hui n’est pas en mesure d’être souveraine du fait de sa géographie. Un fournisseur d’un propre sous-traitant qui est à l’arrêt car la production de son principal client actif dans l’automobile a ses usines arrêtées, et c’est sa propre production qui est mise à mal, par un sous-traitant de rang 2 ou 3 finalement, dépendant d’un plus gros client que soit.

La recherche d’investissements est loin d’une sinécure, notamment sur des outils particuliers de production, parfois qu’importe le montant du chiffre d’affaires. La presse hydraulique Interforge sur le site d’Aubert & Duval d’Issoire de 65.000 tonnes avait été acquise en 1977. Il y en a peu dans le monde, 2 en Russie, 2 en USA et sans doute quelques-unes en Chine. La renouveler comme cela est nécessaire ne peut se faire sans garantie de l’Etat, comme ce fût le cas à l’époque, pour couvrir conjointement les risques. Acquérir une presse sur le site de Pamiers, c’est un investissement de 80M€, avec un prix qui a augmenté de 20 à 30% en quelques mois. Cela peut se faire avec différents dispositifs, comme France 2030 ou autres, encore faut-il qu’ils soient maintenus dans la durée. Ces investissements doivent se faire en parallèle de la hausse de certains coûts, comme ceux de l’énergie (15% des couts d’Aubert & Duval), et alors qu’arrive à échéance fin 2025 le dispositif de blocage des prix Arenh… Mais le travail conjoint donne des résultats : sur les tubes de 155 mm, Aubert & Duval en produira en 2025 par mois autant que ce que la société produisait par an en 2021. Avec une réelle priorisation des commandes militaires (bien que ne représentant que 15% du CA de la société) sur les commandes civiles, et ce sans attendre les arrêtés sur le sujet inscrits dans l’actuelle Loi de Programmation Militaire (LPM).

L’intérêt de la standardisation qui permet d’éviter de refaire à chaque fois des éléments communs à des systèmes différents. C’est un point clé pour produire plus et plus vite. La 1ère génération du drone porteur multi-systèmes Tundra demandait 45 jours pour le montage par un opérateur qualifié. La nouvelle version, en partie grâce à la standardisation d’un socle commun d’interfaces mécaniques et électriques, est réalisable en 48 heures aujourd’hui. Une petite unité de production de 200m² est alors capable de produire 1.000 unités par an, et de préparer une duplication d’usines ou des usines projetables si il est nécessaire demain de passer par un facteur x10. Avec également des intérêts pour le soutien en service dès lors que tout est interchangeable. Il s’agit ainsi de ne pas choisir d’être moyen partout mais de se concentrer sur une partie commune, avec des standards aujourd’hui très avancés notamment sur la partie signaux (demain sans doute sur la partie mécanique) et ensuite de s’associer pour des solutions extérieures. Néanmoins, des efforts doivent encore être faits alors que 75% de la nomenclature actuelle (qui comprend 250 pièces) est d’origine française, notamment pour les pièces injectées, usinées, les circuits imprimés, etc. D’autres trous sont par contre à combler (cf. le cas pour la motorisation avec LN Innov). De quoi avancer pour structurer demain une filière complète.

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