mercredi 29 avril 2009

Du balancement d'une armée


Pour illustrer mon avant-dernier billet, je prendrais un exemple que j’avais étudié durant mon Master 1: L’adaptation de l’armée française à la contre-guérilla de 1954 à 1956 en Algérie.


Pour replacer dans le temps long, l’armée de Terre française connaît alors des combats de manière ininterrompue depuis une quinzaine d’années. Il faut rappeler que les forces armées subissent la défaite de juin 1940 et éclate ensuite dans la Résistance intérieure ou extérieure, dans les colonies, en France occupée et dans la vie civile. Quelques noyaux épars se reforment selon un nouveau modèle très conventionnel jusqu’au combats de la Libération. Dans la foulée, débarque le corps expéditionnaire en Indochine et suivront les combats de contre-guérilla de la guerre d’Indochine et 9 ans après celle en Algérie. Enfin, une partie des forces ne connaîtront ni la jungle ni le djebel mais plutôt les mornes plaines et les forêts de l’Est.


Les « Plans de Défense du Territoire », mis à jour de manière irrégulière, mettent en exergue en 1954 (et comme la priorité n°1) la prédominance de la menace soviétique qui se manifesterait par le déboulement de chars à travers la stressante « trouée de Fulda ». L’armée française devait résister au mieux en attendant les renforts américains et britanniques. Pas encore du Guy Brossolet de 1979. En 1954, l’armée française doit user sur le théâtre européen du feu et du choc pour briser l’élan soviétique dans un système de coalition.


Parallèlement, le « Plan de Défense de l’Afrique du Nord de 1948 » prend en compte « l’hypothèse d'un conflit entre l'URSS et les Puissances Occidentales ». Cela prendrait la forme d’attaques de troupes aéroportées et de bombardements sur les ports reliés à la Métropole. La riposte à mettre en place est de défendre en priorité les grandes agglomérations africaines engerbées dans des zones de résistance : deux principales, deux secondaires et vingt et une autres. Mais ni la situation dans le département algérien (la France mais à 1000 km de la capitale) ni même la guerre d’Indochine finissante (à l’autre bout du globe) ne préoccupaient autant les militaires que ce possible conflit.


Dans son « Rapport sur le moral des officiers en Algérie », le général Lardin (commandant la 21ème Division d’intervention algérienne composée de maigres unités hétéroclites) se lamentait en janvier 1954 du fait que « Les officiers d'infanterie n'ont plus le temps de se cultiver, de réfléchir et de se préparer à une guerre européenne ». Les tâches de gestion des bases-arrières vidées face à la demande de renforts pour l’Indochine autant que les opérations contre ce qui est appelé « le phénomène fellagha » (des coupeurs de routes agissant le long de la frontière algéro-tunisienne) monopolisaient l’attention des officiers.


Dans le scénario de l’exercice annuel montée par l’Etat-major de la 10ème Région Militaire (pour l’armée de Terre, division territoriale correspondant à l’Algérie), il est fait mention d’une séquence se déroulant en ambiance nucléaire : « J’ai fait intervenir par convention de manœuvre que la bombe de 20 kilotonnes serait livrée par avion à l’altitude de 600 mètres ou percutante au sol, sur préavis de 6 heures » énonce le général Cailles dans son rapport intitulé « Enseignements tirés des manœuvres algéro-tunisiennes 1954 au sujet de la guerre atomique ». Cette représentation théâtrale se déroule sept mois avant la « Toussaint rouge », le début de l’insurrection du FLN. Et l’exercice est situé en plein cœur d’un massif montagneux de l’Oranais, futur foyer de rébellion.


Durant presque six mois, ce type de manœuvre avec des moyens blindés et lourds, les passages bas d’avions et la présence de milliers d’hommes sera l’archétype pratiqué du bouclage/ratissage pour ne jamais accrocher des bandes d’une dizaine d’hommes. Les généraux, « les vieux africains », tentent d’intimider la population (comme le général Duval lors des soulèvements de Sétif et Guelma en 1946 avec la répression et les défilés lors des soulèvements tribaux).


Au même moment, des micro-solutions apparaissent du fait de quelques hommes de pensée et d’action. Le 18ème RIPC (infanterie parachutiste de choc) du colonel Ducournau dit « la Foudre » remporte quelque succès : mi-novembre, la bande d’un célèbre bandit qui a rejoint la rébellion perd 23 tués et 18 prisonniers. Son unité est divisée en deux bataillons légers de type « Blizzard » à 3 compagnies de 100. Plutôt que de s’incruster dans des grandes manœuvres prévisibles, il nomadise durant 3 jours sur le terrain. S’il s’emporte contre « les salonnards de l’état-major » (le problème de commandement), il ne néglige par la formation de ses bérets bleus : 2 jours obligatoires par semaine. « Les classes » des appelés, formation reçue en Métropole, ne suffisent pas : quelques séances de tirs, de l’ordre serré en chantant, des revues de paquetage, etc. Le tir de nuit, l’endurance physique ou la manœuvre sont appris en corps en Algérie.


Ensuite soit par mimétisme au contact de troupes aguerries (une « minorité hyper-active » du célèbre tryptique : parachutistes, coloniaux et légionnaires), par déduction de certains face à l’échec et au « prix du sang » ou suite aux directives d’autorités supérieures, les modèles efficaces se propageront à d’autres unités : des batteries d’artilleurs donneront d’excellents résultats comme fantassins après une mise à niveau ou des appelés du Train pris en main par des officiers de retour d’Indochine en feront de même. Pourtant, il ne sera plus question pour ces troupes d’être capable de mener deux types de conflits à la fois. Ainsi, le colonel Jost du I/8ème régiment d’Artillerie se plaindra de ne pouvoir organiser les écoles de feu annuelles de l’ensemble de ces pièces.


Finalement, c’est en un peu plus de deux ans qu’une « majorité suffisante » des 380.000 hommes s’adaptera par l’envie ou la contrainte face à l’inertie. Entre temps, pour préparer l’expédition sur Suez, des troupes en pointe dans la réversibilité (10ème Division parachutiste et 7ème Division mécanisée rapide) s’entraîneront intensivement en vue d’un conflit conventionnel face à l’Egypte à partir du mois d’août jusqu’à fin octobre pour se mettre ou remettre à niveau pour le saut en parachute, le débarquement, le service de nouveaux matériels motorisés, etc.

4 commentaires:

Gabriel a dit…

Très intéressant.

ZI a dit…

Effectivement, très intéressant. Cela montre très bien que l'idéal de réversibilité entre les deux modes d'action est très satisfaisant sur le plan intellectuelle mais qu'en pratique il y a des difficultés sérieuses.

F. de St V. a dit…

Merci.

Tout à fait d'accord avec ZI sur le distingo. Il est fréquent d'entendre dire que l'application d'une doctrine (ici "la contre-guérilla" mais cela reste valable aujourd'hui) nécessite un minimum de trois ans de la réflexion aux résultats concrets. En Algérie, l'Indochine avait pourtant servi de répétition grandeur nature.

J'aurais aussi pu parlé de la distinction guerrier vs. soldat que cela demande pour faire bouger les lignes de force d'une structure. Sans volonté et croyance dans le but recherché du corps et de l'esprit, cela devient irréalisable. On fait appel aux forces morales et à du quasi-mystique. Sujets tabous depuis justement la fin de ces opérations en Algérie.

Ménesglad a dit…

Bonjour, j'espère que vous allez bien. Me permettrez-vous un lien vers un post pour soutenir nos soldats ?
Cher amis, vous trouverez sur mon blog un article sur Solidarité Défense, une association qui aide nos soldats en opération et leurs familles en cas de difficultés graves. Pour que tous ceux qui se sentent républicains, concernés par l’Esprit de Défense et le lien Armée-Nation puissent participer au soutien de nos Forces et au moral de nos Soldats en opérations extérieures.
Merci à tous les bloggeurs de relayer l’information ou de faire un petit post sur le sujet si le cœur leur en dit.
http://www.menestreletgladiateur.blogspot.com/