jeudi 25 juillet 2013

L'influence de la France dans l'OTAN ne se décrète pas, mais elle se construit

Nous étions attendus, mais nous ne sommes pas venus...

Ainsi donc la France se doit d'intensifier son influence au sein de l'OTAN. Sans généraliser outre-mesure, et en essayant de regarder concrètement (influencer, OK. Mais comment ?) ce qui se fait sur certains sujets, quelques questions peuvent être posées.

Exemple dans un domaine où la France peut se prévaloir d'une réelle expérience, voire d'une certaine plus-value : les opérations aéroportées (avec les 2 modes opératoires que sont l'aérolargage et l'aéroportage ou poser d'assaut - cf. la doctrine française à ce sujet ou ce doc de l'IFRI).
 
 
Une grande orientation : influencer !

Dans ce qui est appelé aujourd'hui génériquement "le rapport Védrine", une vision de la place de la France au sein de l'OTAN et de l'Alliance atlantique (en plus de s'interroger sur les perspectives de l'Europe de la Défense) était présentée.

Les conclusions de ce rapport, avalisées pour une très large part par les autorités politiques françaises, ont servi de base pour la rédaction du Livre blanc qui a suivi. Les orientations politiques étaient alors clairement définies (cf. les citations ci-dessous).

"La France doit donc s’affirmer beaucoup plus dans l’Alliance, et y exercer une influence accrue, s’y montrer vigilante, et exigeante. [...] Pour le ministère de la Défense, il s’agit d’influencer utilement la pensée de l’OTAN, mais pas de se fondre dans celle-ci".

Rapport de Hubert Védrine, le 14 novembre 2012

"Elle entend jouer un rôle actif, par les responsabilités qu’elle assumera à tous les niveaux du commandement militaire, par sa contribution aux opérations, à la planification, à la doctrine, ou par la vision qu’elle entend promouvoir du rôle de cette alliance militaire".
 
Discours du ministre de la Défense aux grands commandeurs, le 29 avril 2013
 
"Le rapport présenté par Hubert Védrine [...] m'a conduit à confirmer notre présence dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique, tout en intensifiant notre influence en son sein".
 
Intervention du Président de la République à l'IHEDN, le 24 mai 2013

Pour les responsables politiques, le débat ne semblait donc plus être sur l'intérêt de la France de sortir ou de rester au sein de ces institutions. Fort du constat que la France y est aujourd'hui quasiment pleinement réintégrée, autant y jouer un rôle actif.

Néanmoins, une certitude, l'influence française (concept qui peut paraitre un peu théorique) que les autorités civiles et militaires entendent promouvoir ne se décrète pas, surtout entre Français. Cette influence se construit, au contact des réalités, au jour le jour, sujet après sujet, tâche après tâche.
 
Sur les opérations aéroportées, nous sommes attendus... mais absents
 
Prenons un exemple. Le 11 et 12 avril, a eu lieu une conférence de haut niveau sur "The Future of Airborne Forces in Nato" (cliquer pour en lire le compte-rendu). Elle a été organisée par le Collège de Défense de l'OTAN à Rome, école de formation des officiers supérieurs.

Parmi les participants, les principales unités des membres de l'OTAN entretenant des capacités aéroportées  étaient présentes : 16 Air Assault Brigade (AAB) britannique, brigade Folgore italienne, 82nd Airborne Division américaine, brigade espagnole Almogavares, 31ème brigade parachutiste Oldenburg allemande, etc.

Par contre, nous noterons l'absence de représentants français, que cela soit des personnels de la 11è Brigade Parachutiste (BP), de son Etat-major ou des régiments, de l'Etat-major de l'armée de Terre, des différentes unités de l'armée de l'Air - transport, unités de commandos, etc. - qui auraient pu se prévaloir d'une expérience dans le domaine.
 
Heureusement, deux représentants français étaient là : un Research Advisor en poste au Collège de l'OTAN et un général (2S) Air, donc en retraite. Ils n'ont pas manqué, sans nul doute, de défendre certaines positions, mais ont sans doute été démunis pour défendre certains points dans un débat qui pouvait les dépasser, du fait de leur non-expérience opérationnelle ou de leur retrait du service actif.


Ainsi, si le compte-rendu ne manque pas de souligner l'exemple le plus récent d'opérations aéroportées au Mali (Tombouctou et Tessalit) et l'attente des participants de retour d'expérience sur ces cas (cf. en haut de la page 5), il semble, à sa lecture, que certaines sujets sont abordés sont des angles qui peuvent être éloignés des problématiques portées par la France.

C'est le cas du concept d'entrée en premier très à l'américaine, les relations entre forces conventionnelles et forces spéciales, les capacités d'action à l'échelle américaine hors d'atteinte de bien des acteurs, l'absence de différenciation entre OAP autonome et OAP intégrée au sein d'une campagne, les inquiétudes sur le sur-emploi de certaines unités du fait de l'Irak et l'Afghanistan, etc.

En avril, la 11è BP était sans doute encore sous tension pour fournir des personnels qualifiés pour les postes de commandement au Mali, l'EMAT avait d'autres priorités élaboration du (Livre blanc oblige) et les unités engagées n'étaient pas encore rentrées du Mali ou encore en permissions suite à leur dure OPEX.

Depuis lors, le patron du Groupement Tactique InterArmes n°4 (GTIA 4), également chef de corps du 2è REP, a pris son bâton de pèlerin nous apprend Le Mamouth. Il distille ainsi son expérience auprès de nos alliés sur les 4 opérations aéroportées menées par les forces conventionnelles (les forces spéciales ayant mené d'autres OAP).

Même avec un seul représentant (cela aurait pu être trouvable) et même avec un retour d'expérience à chaud, cette réunion aurait été une occasion de distiller des éléments, en présence dans un même lieu d'un parterre de représentants de différentes nationalités, tout en bénéficiant de la caisse de résonance qu'est l'OTAN (merci à ses capacités de communication stratégique...).

A quoi bon influencer ?

A titre d'illustration, la théorie de "l'avantage comparatif" pourrait trouver ici un champ d'application, non pas dans le domaine économique (quoique) du commerce international, mais dans celui de la sociologie d'une organisation et de l'influence de ses membres respectifs.

En 1817, l'économiste Ricardo développe la théorie selon laquelle si chaque pays se spécialise dans la production dans lequel il dispose de la productivité le plus forte comparativement à ses partenaires, il accroîtra sa richesse nationale. En somme, sur un sujet sur lequel la France dispose au minimum d'un avis, au mieux d'une réelle "valeur ajoutée" du fait de son expérience, elle aurait tout à gagner en termes d'influence et de retour sur investissement de profiter de cet "avantage comparatif".


En Europe, la France est la seule à disposer de certaines capacités (cf. pour la cas du Génie parachutiste). Elle est le dernier pays à avoir mené de telles opérations en conditions réelles, de manière répétée (4 fois en quelques semaines), de manière diversifiée (poser d'assaut, largage, etc.) et avec succès (cf. des compte-rendu de niveau sub-tactiques à chaud : 11è BP et 2è REP).

Un autre exemple qui doit être pleinement investi par la France est celui de la formation, du conseil et de l'assistance aux forces armées étrangères, domaine pour lequel la France a acquis une réelle plus-value. L'Union Européenne s'y intéresse aussi fortement (cf. les débats sur l'approche globale), et dans le concept stratégique de l'OTAN de novembre 2010, il est indiqué :

"Pour être efficaces sur l’ensemble du spectre de la gestion de crise : [...] Nous développerons notre capacité à former et à faire monter en puissance des forces locales dans des zones de crise de manière à ce que les autorités locales soient à même, aussi rapidement que possible, de maintenir la sécurité sans assistance internationale".
 
Via tous ces domaines, l'OTAN est une formidable machine à produire des normes (cf. ici), que cela soit dans le domaine des procédures (SOP pour Standard Operating Procedures) que des matériels (STANAG pour Standardization Agreements). Les comités de rédaction se nourrissent des réflexions menées à tous les niveaux au sein de l'OTAN. 

Or, ne nous y trompons pas, ces normes otaniennes ne sont pas neutres et ont une triple signification : une déclinaison technique et opérationnelle (aspects matériels et pratiques), un volet économique (en rapport avec les industriels et les définitions de besoins futurs) et un fondement de nature politique (une certaine façon de voir le Monde).

D'où l'impétueuse nécessité de peser sur leur élaboration, dès la phase initiale de définition des besoins, au risque de les subir (industriels et opérationnels) et donc de remettre en cause plus que jamais l'équilibre avantages / inconvénients et risques / opportunités de notre présence au sein de ces organisations otaniennes.
 
Pourtant ne généralisons pas à partir d'exemples ponctuels. Il s'agit néanmoins de rester vigilant, et pour finir sur une note positive, relevons le chiffre donné par le rapport parlementaire sur la revue capacitaire des armées (à lire) : sur le milliard des marchés otaniens par an, 42% va à la France, qui verse une contribution annuelle de l'ordre de 150/200 millions. Comme quoi...

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