mardi 29 octobre 2013

Inventorions l'inventaire de Yvan Stefanovitch sur la Défense française

Il est parfois heureux qu'un regard neuf décortique un sujet donné, bousculant par son approche les critiques émises par des spécialistes qui ne se renouvellent pas. Cela est d'autant plus vrai pour la Défense. Du fait même de sa raison d'être (faire face aux risques et menaces affectant la Nation), de son importance pour la communauté nationale, et de sa part dans le budget (plus de 13% du budget général de l'État en comptant les pensions, c’est à dire 41,27 Md€ sur 299,32 Md€ en 2013. En dépit de sa diminution constante tant en valeur qu’en volume, ce budget représente un réel effort dont il est légitime d’analyser l’utilisation.
 
 
C'est ce que propose dans son dernier ouvrage, avec un beau blindé M1 Abrams américain en couverture,  YvanStefanovitch, journaliste d'investigation ayant déjà passé au crible d’autres institutions (le Sénat, les régions, etc.). Néanmoins, un regard critique s'impose vis-à-vis de ce "devoir d'inventaire". Il n'est pas question ici de défendre l'indéfendable et d'annoncer, à tort, l'absence de gabegies dans la gestion des précieux deniers du  budget de la Défense. Les dérapages financiers de certains programmes d’armement, les interminables réformes menées en confondant vitesse et précipitation ou le calvaire connu par certains avec le logiciel Louvois doivent plutôt conduire à un regard exigeant.

Pour l’auteur, avec un budget constant (au pire) ou en baisse (au mieux), il est possible de regagner en efficacité avec un modèle d’armée (extrêmement) plus réduit mais mieux équipé. Cela se ferait en mettant fin notamment à certaines dépenses scandaleuses (par exemple, au sein de l’IGESA - Institution de gestion sociale des armées ou le Balardgone), en revoyant la posture de dissuasion nucléaire pour financer les moyens conventionnels, en se séparant de canards boiteux économiques (musées, hôpitaux d’instruction des armées, etc.), en comblant 8 trous capacitaires (drones, appareils légers, mais aussi - plus surprenant - des blindés lourds à chenilles type Namer ou des biplans de transport Antonov An-2), en ne se faisant pas guider les choix par un lobby politico-militaro-industrielo-élito-etc., en stoppant les commandes auprès de certains industriels (principalement français), en se séparant des incapables, etc.

De louables demandes, parfois convaincantes, parfois moins, s’appuyant souvent sur des jugements faciles a posteriori. Pourtant, l’approche - pour ne pas dire le parti-pris - de l’auteur est rendue en partie caduque car elle s’appuie sur une méthodologie parfois contestable, sur des préalables tronqués et sur des données trop souvent inexactes. 

 
Notons tout d’abord que l’ouvrage recèle un nombre important d’erreurs factuelles (du fait d’une absence de recoupement puis de relecture par un spécialiste de la Défense ?). Certaines sont parfois « basiques » : la pseudo-absence de marche arrière sur le VAB, le montant de l’agrégat annuel consacré à l'acquisition de Rafale, les conditions d’utilisation du Tigre en Libye, la présence d’ERC-90 en Afghanistan, la non-utilisation ces dernières années du Génie, etc. L’ouvrage n’en contient pas 1 ou 2, mais bien plusieurs dizaines (sans compter celles ayant trait aux nombreux domaines inconnus de l’auteur de cette fiche). De prime abord, ces approximations sont d'ailleurs un frein important à la prise au sérieux de l'ouvrage. Parfois, elles viennent même annuler totalement l’argumentaire que ces données sont censées étayer. Néanmoins, dépassons-les pour s’attacher au fond, qui s'avère limité par 3 perspectives principales.

La première est la prise en compte d’une logique unique, parfois caricaturale, pour comprendre la rationalité des acteurs et des décisions, laissant de côté une partie des autres logiques possibles. Pour l’auteur, certains aspects (notamment ceux ayant trait à l’impact social et économique de la Défense) sont rarement recevables. Soit. Cela limite les choix… L’argumentation, généralement à charge (et parfois de manière ad hominem), désigne alors souvent les mêmes responsables : les luttes bureaucratiques, politiciennes, etc. Le fait d’écarter ou de ne pas mixer d’autres logiques (économiques, politiques, stratégiques, sociales, structurelles, opérationnelles) conduit à réduire les décisions à des choix binaires bien loin de la complexité qui s’impose aux acteurs dans le quotidien.

La seconde perspective qui peut poser problème consiste à proposer une réflexion sur une feuille blanche, sans doute très stimulante intellectuellement, mais à mille lieux d’une science de l’action qui rendrait la réflexion vraiment utile. La Défense est un système complexe, en mouvement perpétuel, avec des entrants et des sortants ayant des temporalités variées notamment dans le domaine des matériels. Sur ce plan, l’auteur utilise des comparaisons pas toujours pertinentes avec des modèles bien différents en termes de moyens (États-Unis, Grande-Bretagne, etc.). De fait, il peine à garder une cohérence, sur la nécessité d’avoir ou non des matériels qui durent par exemple, ou encore sur les formats. Certaines alternatives radicales s’opposent bien souvent à des marges de manœuvre faibles dans les faits (des coûts d’annulation importants), la réflexion menée étant utile essentiellement pour l’anticipation à beaucoup plus long terme. La vision très immobile du système Défense néglige son adaptation permanente (et parfois réussie), en particulier de certains anciens et nouveaux matériels (pourtant tant décriés) aux nouvelles conditions opérationnelles, la mutualisation de l’emploi de matériels entre différentes fonctions stratégiques, les logiques de différenciation entre matériels polyvalents et matériels moins développés technologiquement mais plus nombreux, etc. Cela conduit à brosser un tableau inexact et incomplet (ce qui marche n’a que peu d’intérêt après tout dans un tel ouvrage), notamment en ce qui concerne le partage des responsabilités, montré de manière caricaturale.
 
 
Enfin, la troisième approche est de plaquer à la Défense, en dépit de ses spécificités et finalités propres, un schéma de pensée managérial, souvent issu du monde de l’entreprise. Si ces outils peuvent apporter certains avantages, ils conduisent aussi à déterminer des critères d’appréciation incapables de restituer la complexité des activités auxquelles participe la Défense. Cela est notamment vrai pour l’objectif d’imposer sa volonté sur un adversaire potentiel, via la guerre, activité humaine qui révèle l’importance de l’homme (« instrument premier du combat », dont « l’usure » n’est que peu pris en compte dans le modèle de l’auteur). L’efficacité comptable ne peut être le seul critère permettant de juger les armées. La rentabilité de notre Défense est un outil/un moyen et non une fin comme pourrait l’être la recherche des profits pour une entreprise. Clausewitz (cité en début d’ouvrage, et donc lu) indique que « l’activité guerrière a 3 particularités qui rendent une doctrine positive impossible : les forces morales et leurs effets, l’action réciproque et l’incertitude ». Il en est de même aussi sans doute pour la préparation de cette activité guerrière... Ainsi, il est illusoire de proposer que certains matériels ne soient pas jusqu’à un certain niveau du capital accumulé non rentable, dès lors que l’imprédictibilité et la soudaineté des crises obligent à disposer de stocks. Leur existence ferait bondir un manager d’entreprise, mais pas un chef militaire qui doit disposer d’un outil cohérent prêt à faire face à une large gamme de situations.
 
Que conclure ? Des lecteurs se limiteront aux erreurs factuelles, d’autres s’attacheront aux scandales décortiqués, certains concluront que les industriels sont des voleurs, les militaires des incapables, les politiques des pourris, ne voyant (hélas) que la partie vide du verre. De manière positive, il est possible de retenir que des trésors de pédagogie doivent encore être déployés pour faire comprendre les spécificités de la Défense ou que certaines propositions méritent d’être étudiées bien que le « yakafaucon » et les mesures simplistes ne puissent être à l’ordre du jour. C'est bien par le débat, auquel participe cet ouvrage? qui est à lire avec une approche ni béate ni butée, que se façonne les idées. Il le permet ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.

3 commentaires:

egea a dit…

Je te trouve bien du courage d e sortir un truc intelligent de la lecture de cet "Allo police? de la défense" : du journalisme de fait divers, destiné à faire du volume de vente et ne s'embarrassant pas de véracité. Ce serait un intellectuel faussaire si c'était un intellectuel Ce serait du journalisme faussaire si c'était un journaliste. Ce n'est qu'un faussaire.

R.V. a dit…

Merci beaucoup pour votre analyse de cet inventaire...qui méritait d'être vérifié.
Ces derniers temps, son auteur a largement été invité sur les plateaux de télévision pour s'exprimer à propos de la loi de programmation militaire. Mais on ne le sentait pas spécialiste de la défense, les propos que nous avons pu entendre de sa part s'apparentant parfois à des discussions de "café du commerce". Malgré tout, ce journaliste est apparu animé par une sincérité que l'on espère réelle.
Reconnaissons lui au moins le mérite de participer au débat et de démontrer que l'on ne s'improvise pas spécialiste des questions de défense.

Merci enfin à EGEA de faire preuve d'un esprit de synthèse redoutable.

Berlaud a dit…

Malheureusement, l'auteur ne démontre rien du tout; non pas que ses arguments soient faux - ils sont simplement illisibles:
- Ecriture brouillonne, on a du mal à trouver un fil directeur. La rédaction est malheureusement confuse (ponctuation non maitrisée, phrases hachées de peur d'être trop longues).
- Manque de clarté, et de cohesion, parfois des contradictions.
Bref, un gâchis de livre.
Ses arguments portent t'ils? Ils sont malheureusement desservis par un texte qui n'aurait pas été accepté sur sa forme quand j'etais lycéen.