lundi 7 avril 2014

VAB Ultima en Centrafrique : l'exemple d'un compromis difficilement trouvable ?

Ultime évolution d'un vétéran des armées françaises, le VAB ULTIMA a été récemment déployé en République centrafricaine (RCA). Si ses récents utilisateurs se réjouissent de sa fiabilité mécanique, de la protection offerte et de ses capacités d’agression, ces avantages se font au détriment de sa mobilité, pas la moindre des qualités nécessaires sur un théâtre d’opérations comme celui-ci.
 
 
Comment rendre aveugle un conducteur... Notez le système TOP (optiques / mitrailleuse) au-dessus du tireur et la plaque anti-IED sous la caisse. Crédits : ECPAD. 
 
Ce type de véhicule est un bon exemple de la recherche la plus équilibrée possible entre les 3 caractéristiques principales de tous véhicules de combat : mobilité, puissance de feu et protection. Il illustre aussi la capacité de certains véhicules à intégrer ou non des modernisations incrémentales (parfois lourdes) durant toute sa carrière opérationnelle, sans modification profonde de son architecture.
 
Contexte

Il s’agit du 2nd déploiement opérationnel de ce type de véhicule après l’envoi à partir de juin 2012 d'une trentaine d'exemplaires en Afghanistan lors de la phase de retrait de la province de Kapisa. Des VAB ULTIMA auraient dû rejoindre le Mali au printemps 2013 dans le cadre de l’opération Serval, mais sont sans doute, à ma connaissance, directement partis en RCA pour l'opération Sangaris.

A partir du 13 décembre 2013 et jusqu’au 23 février 2014, la 1ère compagnie (« les fantômes ») du 3ème RPIMa (Carcassonne), avec 2 sections de combat et 1 section de commandement, a utilisé ces matériels, relevée depuis par des éléments de la 4ème compagnie de combat du 13ème BCA (Barby) du GTIA Savoie.

Au moins huit VAB ULTIMA ont été déployés, 4 VAB par section de combat de 32 hommes, soit 8 hommes par VAB en comptant le pilote, le tireur et 2 trinômes. Il n’est pas clairement indiqué si la section de commandement (à 22 hommes) était également équipée de ce type de véhicules ou de VAB d'ancienne génération.

De ces 2 mois de déploiement en Centrafrique, les marsouins-parachutistes en ont tiré un rapide retour d'expérience (RETEX) rendu en partie public dans la revue mensuelle de la 11ème BP (brigade parachutiste). Ils y ont souligné à la fois les qualités et les inconvénients de cette monture.

Formation

Contrairement aux chasseurs-alpins formés début 2013 sur ce type de véhicules, les pilotes et les tireurs du 3ème RPIMa ont dû suivre une formation juste avant leur déploiement. Ils l’ont fait en-dehors de leur régiment, le reste de la compagnie poursuivant sans eux leur mise en condition avant projection (MCP). 

Il est mentionné la nécessité « d’heures de conduite supplémentaires » pour les pilotes (faute de crédits d’entrainement ? de disponibilité des véhicules ? de manque de temps ?), ainsi que des parcours de pilotage dans le camp de Canjuers (1er RCA) « pas assez variés » (peu de bâtis ?). 

Formé à Biscarosse (17ème RA) sur le tourelleau téléopéré (TOP) - cf. infra, les tireurs ont bénéficié de munitions en nombre suffisant. Par manque de temps et de créneaux disponibles, les pilotes et les tireurs n'ont pas pu obtenir la double qualification pilote et tireur (les uns pouvant pourtant utilement remplacer les autres durant certaines opérations).

 
 
En Afghanistan. Système SLATE (mat et boules les plus à droite), brouilleur anti-IED (antennes au centre), et système TOP (tourelleau à gauche). Crédits : ECPAD.

Ergonomie / protection

Dès la prise en compte du véhicule, des aménagements ont été faits pour encore plus gagner de place à l'intérieur de l’habitacle. La logique de modernisation de cette version bisait déjà à maximiser la place en mettant nombre d’équipements en-dehors (que cela soit le brouilleur anti-IED placé sur le toit, les caissons de rangement situés derrière, ou les panières mis au-dessus).

Certains des sièges suspendues (qui remplacent les banquettes fixes pour encaisser une partie des ondes de choc des IED) ont ainsi été démontés afin de loger au mieux les groupes de combat à 8 personnels lourdement équipés avec leur musette, leurs protections balistiques et leurs armements.

Le plus grand degré de protection du véhicule a nécessité l’ajout de plaques de blindage et de systèmes type filet anti-roquettes (RPG), notamment au niveau des portes arrières qui s'ouvrent donc plus difficilement, empêchant un débarquement et un embarquement aussi fluide qu'auparavant.

Pour la maintenance, la plaque de protection anti-IED placée sous le VAB empêche un entretien facile de certaines parties du moteur et des transmissions du véhicule. Enfin, les plaques de blindage sur la cabine de pilotage limitent la vision du conducteur, notamment lors de manœuvres complexes.

Contrairement au Mali où la ventilation était vue comme un des "luxes" majeurs de certains véhicules (notamment le VBCI, surnommé "le Saint Bernard du désert"), celle-ci a été jugée "appréciable sans être la principale qualité". Les températures étant loin d’attendre les 40/60°C du Mali (températures dépassant d’ailleurs les spécifications du cahier des charges initial du VBCI).
 

"La mûle" (VAB - 12,7mm) et son barda (Mali - mars 2013). Crédits : François Rihouay.

Mobilité / masse

L’adjonction au VAB rang de base de kits (FELIN, protection, etc.) a alourdi le véhicule le poussant au maximum de ses capacités. De 13 tonnes environ pour le VAB rang lisse, le VAB ULTIMA passe à 15,8 tonnes (PTAC - Poids total autorisé en charge), alors même que certains kits ne seront pas utilisés par le 3ème RPIMa (un régiment non encore félinisé, donc n'ayant pas besoin de tout l'électronique embarquée - cf. les1ers RETEX afghans) ou que certains kits peuvent poser question sur ce théâtre (où, par exemple, aucun IED n'a été, pour le moment, relevé).

Cette masse conduit à une sur-consommation de carburant (l’autonomie passant à 500 km), à une tenue de route moindre (la saison des pluies arrivant pouvant donc contraindre son utilisation, tout comme certaines infrastructures - ponts, gué, etc.) et à un régime moteur plus important (faisant perdre en discrétion dans les déplacements, surtout de nuit).

Les véhicules ont pu participer à des opérations sur des longues distances, comme le raid Bangui-Sibut, caractéristiques de l’emploi décentralisé en nomadisation de petites formations dans le vaste pays qu'est la Centrafrique. Pour cela, la présence d’un maintenancier qualifié sur certains équipements (TOP) s'avère nécessaire, le soutien dimensionnant certaines opérations.

Enfin, l’aspect massif du véhicule ainsi que les différents équipements bien visibles peuvent apporter un effet dissuasif auprès de la population, ces véhicules tranchant avec l’aspect des autres véhicules également déployés. Ils peuvent ainsi plus facilement interdire certains axes de par leur masse (dans le cadre de contrôle de foules, bientôt enfin pris en compte en partie par les gendarmes...).
 

Coffres typiques à l'arrière, système SLATE à gauche, et grilles de protection anti-roquettes. Crédits : ECPAD.

Puissance de feu / optiques

C'est finalement dans les zones les plus ouvertes de Bangui (sur les grands axes) et en province (comme dans la ville de Sibut, en janvier 2014) que cette version du VAB a prouvé sa plus grande utilité, surtout via son système d'observation performant (permettant d’anticiper des mouvements, déceler des menaces à longue distance, etc.). 

Le système TOP (de Kongsberg), via des optiques (caméra de jour en couleur et caméra thermique pour la nuit) couplées à une mitrailleuse de 12,7 mm manié depuis l’intérieur, offre la garantie d’un appui-feu efficace, et des capacités de détection précieuses. La détection est possible à plus de 5km de nuit, et 8km de jour, l'identification peut se faire jusqu'à 900m de nuit et plus de 2km de jour.

Sur ce sujet, il est à noter que l’un des enseignements tirés de l’opération Serval était l’impact psychologique sur les tireurs du VBCI du 92ème RI (CTVI : chef tireur de véhicule d’infanterie) de la grande précision des optiques, permettant de voir avec détails les effets dévastateurs et traumatisants des tirs sur les ennemis à plus de 2.000m avec le canon de 25mm.

Il est noté également que le VAB est équipé d'un utile détecteur de coups (système SLATE - Système de Localisation Acoustique de Tireurs Embusqués), dont un nouveau lot de 60 exemplaires a été commandé à Metravib (en plus des 80 déjà détenus). Couplé avec le tourelleau, il permet de directement déterminer la direction de départ de coups.

Pendant ce temps là, des VAB datant de 1977 continuent à être employés... Crédits : ECPAD.
 
En attendant le VBMR...

Résultat d’une adaptation réactive constante, le VAB ULTIMA apporte donc bien des avantages par rapport à d’autres versions, sans toutefois être la réponse ultime à l’équation insoluble : protection – mobilité – puissance de feu.

Le VBMR (véhicule blindé multi-rôles), prochaine mule à tout faire des militaires français qui doit être mise en service au mieux en 2019, devra intégrer ces enseignements afin de fournir le meilleur compromis pour ce qui devrait être l’un des matériels les plus déployés dans les années à venir.

La route est longue, le Groupement momentané d'entreprises (entre Nexter, RTD et Thales, et dans une moindre mesure d'autres comme Sagem) devant rapidement définir la meilleure architecture (pour le développement comme pour la production) afin de répondre à l'appel d'offres restreint.

Aucun commentaire: