Cet entretien avec Joseph Henrotin, chargé de recherche au CAPRI et à l’ISC, rédacteur en chef de DSI et auteur du récent Focus stratégique "Les mutations du renseignement militaire : dissiper le brouillard de la guerre ?" (IFRI), a été réalisé en collaboration avec le blog Ultima Ratio.
En quoi l’apparition du renseignement « d’intérêt militaire » (ou RIM) vient répondre à des évolutions contemporaines du visage de la guerre ?
En quoi l’apparition du renseignement « d’intérêt militaire » (ou RIM) vient répondre à des évolutions contemporaines du visage de la guerre ?
Le caractère des conflits contemporains tend à les rendre plus "transversaux" : connaître les armées en présence est toujours aussi important que par le passé, mais ne suffit plus. Des irréguliers, supplétifs, voire même des acteurs privés interviennent dans des guerres dont les tenants et aboutissants sont plus complexes que par le passé. Les fondamentaux sont toujours identiques, mais le champ de l’analyse s’est considérablement élargi. L’élargissement est également temporel, les opérations durant des années. Pratiquement, tout cela pose des questions sur les plans techniques, organisationnels, mais également et particulièrement humain. En effet, au sein du "cycle du renseignement", les phases d’analyse et de diffusion deviennent d’autant plus importantes. Or, former des analystes pertinents et efficaces est en soi un travail de longue haleine. In fine, la nature dialectique de la guerre est telle que le RIM n’est jamais qu’une tentative d’adaptation : à la guerre, "l’ennemi à le droit de vote" et développe bien évidemment ses contre-mesures. De la sorte, si les évolutions actuelles cherchent à dissiper le brouillard de la guerre, rien n’est jamais garanti en la matière.
1 appareil Pilatus PC-6 de l'ALAT + 1 observateur du 2ème régiment de Hussards = 1 avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) "low-cost" au Sahel
Quelles réponses techniques et/ou politiques pour le renseignement à l’aplatissement de la pyramide des niveaux de la guerre ?
Du point de vue technique, la principale "méta-évolution" est la persistance de la surveillance. Là où la reconnaissance est par nature transitoire, il s’agit de pouvoir "voir et entendre en continu". Cette logique était déjà au cœur des débats sur la révolution dans les affaires militaires des années 1990 mais trouve une concrétisation à travers le drone - quelque soit son milieu d’action et son échelle - et, surtout, les capteurs qu’il emporte. En ce sens, nombre d’évolutions sont seulement en cours de maturation, comme le renseignement multispectral ou les systèmes de vision "grand angle" couplés à un traitement informatique. C’est d’ailleurs extrêmement intéressant de voir la focalisation existant dans le domaine académique sur les drones - ces trois dernières années, j’ai recensé une douzaine d’ouvrages sur la question, mais il y en a sans doute plus - mais qui passent souvent à côté de la question des capteurs. De même, le big data peut faire apprendre énormément de choses dans les environnements urbains. Au-delà, la masse d’informations collectées n’est que de peu d’utilité si les processus analytique permettant de les transformer en renseignement et si l’organisation ne suivent pas.
Au plan politique, mon biais pour la stratégie théorique m’a conduit à être sans doute parmi les premiers à critiquer le fait que la "connaissance et l’anticipation" devenaient une fonction stratégique : a priori, elles sont consubstantielles de la prévention, de la dissuasion, de la protection et de l’intervention. Mais indirectement, et peut-être sans le vouloir, le renseignement gagnait une place "capacitante" : ce sans quoi plus rien n’est possible. La restriction des volumes de forces ou l’implication dans des conflits où nos intérêts vitaux ne sont pas en jeu imposent de disposer d’informations afin d’éviter des pertes qui, si elles sont évidemment un coût humain, sont également un coût politique. Par extension, ce "blindage informationnel" touche également les forces elles-mêmes : il n’est plus question de faire un pas sans appui, et le renseignement devient sans doute le premier d’entre-eux.
Le dilemme historique centralisation / décentralisation de la manœuvre du renseignement peut-il atteindre aujourd’hui un point d’équilibre avec les nouveaux outils et organisation de diffusion ?
On le verra à l’usage : Au Contact est encore jeune et nous n’avons pas de recul. Ce qui est par contre certain, c’est que la demande en termes de renseignement n’est pas appelée à se réduire et devrait continuer à nourrir le débat/dilemme. Dans l’armée de Terre, des systèmes comme FELIN impliquent de pouvoir travailler sur de plus larges superficies, ce qui pose la question de l’éclairage/reconnaissance au profit des unités où la centralisation n’est pas nécessairement des plus adaptées. Dans le même temps, la centralisation permet de répondre à la complexité des zones de bataille contemporaines. Du coup, la synthèse dialectique serait à trouver dans les réseaux et le "reachback" (captation sur le théâtre, traitement en France, retour ensuite sur le théâtre), ce qui peut faire sens : en quoi est-ce si différent de traiter des informations à 250 ou à 6 000 km ? Mais les réseaux posent à leur tour nombre de défis, que ce soit en termes de sécurité ou, plus simplement, de volumes de bande passante.
En attendant le programme de charge utile de guerre électronique (CUGE), les 2 vénérables Transall Gabril font le job, et apparaissent parfois au détour d'une photo officielle en Jordanie...
Le dilemme historique centralisation / décentralisation de la manœuvre du renseignement peut-il atteindre aujourd’hui un point d’équilibre avec les nouveaux outils et organisation de diffusion ?
On le verra à l’usage : Au Contact est encore jeune et nous n’avons pas de recul. Ce qui est par contre certain, c’est que la demande en termes de renseignement n’est pas appelée à se réduire et devrait continuer à nourrir le débat/dilemme. Dans l’armée de Terre, des systèmes comme FELIN impliquent de pouvoir travailler sur de plus larges superficies, ce qui pose la question de l’éclairage/reconnaissance au profit des unités où la centralisation n’est pas nécessairement des plus adaptées. Dans le même temps, la centralisation permet de répondre à la complexité des zones de bataille contemporaines. Du coup, la synthèse dialectique serait à trouver dans les réseaux et le "reachback" (captation sur le théâtre, traitement en France, retour ensuite sur le théâtre), ce qui peut faire sens : en quoi est-ce si différent de traiter des informations à 250 ou à 6 000 km ? Mais les réseaux posent à leur tour nombre de défis, que ce soit en termes de sécurité ou, plus simplement, de volumes de bande passante.
Passage du détroit du Bosphore pour sortir de la Mer Noire face aux objectifs des spotters pour le navire de recueil de renseignements Dupuy de Lôme (juin 2014)
Si vous ne deviez retenir qu’un grand défi capacitaire à résoudre selon vous pour le renseignement français de demain, quel serait-il ?
Les capteurs, de toute nature. Les vecteurs se trouvent relativement facilement, mais le véritable instrument de souveraineté, ce sont les capteurs et leur environnement (liaisons de données, systèmes d’analyse). Pour ce qui nous concerne plus particulièrement, il y a les drones évidemment, mais aussi les "systèmes de compensation au drone", qui permettent d’introduire de la persistance. Ce sont, par exemple, les Atlantique 2 ou encore les pods destinés aux appareils de combat et dont l’expérience de ces dix dernières années montre qu’ils ont ouvert une nouvelle catégorie de missions, dites NT-ISR (Non-Traditionnal Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Evidemment, déployer un Rafale pour de telles fonctions est plus coûteux à l’heure de vol. Mais nécessité fait parfois loi : si les retards pris sur les programmes de drones MALE n’ont pas aidé, l’expérience américaine montre qu’en dépit de leurs immenses flottes, ils n’ont jamais assez de capacité à disposition…
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