Mercredi, ce sont déroulés les débats et les votes de l’Assemblée nationale autorisant la prolongation de cinq OPEX au Tchad, RCA, Liban, Kosovo et Côte d’Ivoire. Sur la forme, on peut relever que leur fondement juridique n’est pas encore clarifié. Il se base sur l’article 35 de la Constitution française qui définit les modalités de déclaration de guerre (jamais encore utilisée depuis 1958) et celles d’interventions des forces armées à l’étranger (3 derniers alinéas datant de la révision du 23 juillet 2008). Conformément au processus décisionnel, l’Assemblée vote en premier, puis cela est soumis à l’avis du Sénat qui à son tour vote. En cas de désaccord, l’Assemblée tranche à nouveau en ayant le dernier mot.
3°/ Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
La fréquence de ces « votes de confiance » n’est pas fixée. Ceux de mercredi viennent régulariser une situation antérieure. En effet, le 22 septembre 2008, seule l’Afghanistan était à l’ordre du jour du premier vote s’appuyant sur l’alinéa 3. D’autres OPEX, datant pourtant elles aussi de plus de quatre mois, avaient été ignorées. Il semble que la prééminence d’une situation, accaparant sur le moment tous les regards, avait des répercussions même dans des décisions juridiques. Dorénavant, la fréquence devrait être fixée à quatre mois, non synchrone avec les dates de relèves ou même avec la durée de certains déploiements comme en Afghanistan où les séjours ont été augmentées à 6 mois. Peu à peu, une forme de jurisprudence devrait se mettre en place créant des précédents clarifiant l’ensemble.
Lors de son discours, François Fillon rappelle que ne sont pas concernées sous le vocable « intervenir les forces armées » : « les échanges de militaires, les exercices, les troupes prépositionnées en vertu des accords de défense, l'envoi d'observateurs non armés, les déplacements des navires et aéronefs dans les espaces internationaux et les escales dans les ports étrangers, ainsi que les opérations des services de renseignement ou des forces spéciales ». Le PM continue : « Cette procédure s'appliquera à l'envoi à des fins opérationnelles de forces militaires en corps constitués, c'est-à-dire des unités militaires d'un volume important (ndlr : c'est-à-dire « volume important » ?), engagées en situation de crise et sur un territoire étranger ». Dans la marge, au stylo rouge : « peu clair » !
Ensuite, même si c’est sans doute désolant, il est dommage de se rendre compte que l’esprit des ancêtres « Gaulois franchouillards » est toujours aussi vivace sur les bancs de l’Assemblée. Avant c’était : « Il n’est pas frais ton poisson ! Comment ça il n’est pas frais mon poisson ? Nan. » Et puis boum, pif, paf, aie, etc. Aujourd’hui c’est : « Si on en est là c’est à cause de Mitterrand et de la France-Afrique ! Menteur c’est Chirac qui a déréglé le système ! Non c’est lui qui a commencé ! … ». Jugez vous-même, mais cela fait cours de récréation ! On peut alors comprendre le désintérêt de beaucoup de concitoyens vis-à-vis du « gouvernement de la cité ». Comme disait Sun Zu dans L'art de la Guerre : « La guerre est une affaire grave pour le pays, c’est le terrain de la vie et de la mort, c’est la voie qui mène à la survie ou à l’anéantissement : il est impossible de ne pas l’étudier ». Grand prince, je daignerais que cette maxime s’applique aussi pour des sujets non strictement militaires et tout aussi importants.
Les différentes remarques des députés sur l’absence de préparation de cette séance ne font que confirmer cette désagréable sensation. Cela l’est même d’autant plus, quand on sait que la couverture médiatique sur cette séance était au rendez-vous. Les décisions prises de réduire le nombre d’hommes déployés n’y sont pas étrangères. Mais quelques jours avant, des dossiers présentaient les enjeux de la séance. Comme dans beaucoup de secteurs, l’Afghanistan joue un grand rôle de catalyseur. Mais l’exemple ne viendrait pas forcément du haut : l’émotion de l’opinion y serait plutôt à l’origine. En effet, les réunions préalables des commissions directement concernées par l’ordre du jour (Affaires étrangères et Défense) n’ont pas porté directement sur le sujet. Ainsi les ministres Hervé Morin et Bernard Kouchner ont été auditionnés sur la question de l’OTAN : les futurs postes français, la possibilité pour la France de représenter un courant alternatif à la vision américaine, l’assurance de pouvoir conserver son indépendance dans les textes et dans les faits, etc. Au final, plusieurs intervenants se sont plaints d’une mise à disposition de documents de travail que le matin même et encore uniquement en format informatique.
Ainsi les lignes bougent petit à petit et on ne va pas s’en plaindre. Et sur le fond, les débats ont été utiles en interpellant le gouvernement sur quelques points importants. Ainsi par exemple, les députés attendent une clarification des discussions menées sur la redéfinition des accords de Défense en particulier avec les pays africains. D’autant plus que dans le LBDSN, il est écrit page 152 que : « Leur refonte, en accord avec les pays concernés, est en cours. […] Par ailleurs, le Parlement sera désormais informé des accords existants. Les assemblées seront, à l’avenir, tenues régulièrement au courant de la conclusion de nouveaux accords. » Apparemment, les « assemblées » attendent encore !
3 commentaires:
DINGSJ'ai jeter un oeil sur les débats l'assemblée diffusé sur la chaîne par satellite de cette institution. On peut pas dire que cela passionne les foules, on voyait des députés dormir pendant l'intervention d'un député socialiste dénonçant le soutien aux ''dictateurs africains''.
En aparté, non médias parlent actuellement du SOFA entre Washington et Bagdad, mais l'aspect juridique des troupes françaises à l'étranger est méconnut. En cas de délit commit par un militaire français en Allemagne ou en Côte d'Ivoire (cas du ''casse'' d'une banque la bas jugé par le tribunal des armées à Paris), quelle statut règle ces problèmes ? Est ce compris dans les accords de défense ou a t il un traité à part ?
L’on peut (l’on doit) se demander pourquoi la définition de l’opex soumise au Parlement semble très problématique. Signe de l’embarras gouvernemental (l’on ne sait pas d'où vient cet embarras, ce serait une autre question intéressante), l’opex soumise au Parlement est définie surtout par ce qu’elle n’est pas : « les échanges de militaires, les exercices, les troupes prépositionnées en vertu des accords de défense, l'envoi d'observateurs non armés, les déplacements des navires et aéronefs dans les espaces internationaux et les escales dans les ports étrangers, ainsi que les opérations des services de renseignement ou des forces spéciales ». L’on devine, à lire cette rédaction, que le rédacteur prévoit déjà de contourner le texte et que les conditions d’ouverture du feu pour les gars sur le terrain vont encore se compliquer, alors qu’elles sont déjà tragiquement compliquées dans la réalité. Les militaires n’ont certainement pas été sérieusement consultés pour cette rédaction. Le prochain gouvernement aura un gros boulot à faire pour clarifier les ambiguïtés qui sont devenues pratique courante pour les questions de politique militaire.
@ Fréderic : Je n’ai pas eu « l’immense privilège » de voir les députés ronfler pendant que leurs confrères essayaient de mobiliser les foules sur « les heures les plus sombres de notre Histoire »… La simple lecture des débats et des remarques de certains me semblent en fait que le pâle reflet d’un bien triste spectacle…
Ensuite n’étant pas juriste, j’ai un peu de mal à me retrouver dans les arcanes du droit des conflits armées ou du droit international. Je tente de creuser pour répondre à vos questions. Le plus grand secret plane au-dessus de ces fameux « accords de défense ». C’est souvent après une affaire que l’on est au courant si ces accords l’intégraient ou non, rarement en amont.
Tout ce que je peux vous dire c’est qu’être juge au Tribunal aux Armées est une mutation comme une autre. Certains juristes sont au Tribunal de Grande Instance de Paris et d’autres sont aux Armées… Alors même que le traitement des affaires n’est en aucune manière étudié en profondeur au cours des années de formation… Je vous laisse donc conclure !!!!
@Yves Cadiou : C’est l’éternel (et intéressant) débat du « droit en positif » ou du « droit en négatif » (les termes ne sont pas certainement pas académiques car j’ai bien peu de notions de droit). Je pense que le droit en négatif est avant tout une marque de faiblesse venant d’une incapacité à clairement énoncer le sujet.
Pour l’embarras des gouvernements, j’aurais bien une petite réponse fondée sur la méconnaissance du sujet de la part des concepteurs ou d’une absence de jurisprudence du fait de la rareté des affaires, mais je serais peut être encore taxé de râleur…
Et je me permets de vous féliciter pour vos deux derniers articles sur le blog de François Duran. Je me sens un peu visé par le dernier après une de mes mémorables bourdes sur les attributions entre le Président et le Premier Ministre. Merci pour ce développement instructif.
P.S. : vous l’avez sans doute lu mais le dernier livre du colonel Royal « l’éthique du soldat français » même si il ne donne aucune réponse et que c’est beaucoup plus de l’exposition brute de cas concrets, il peut être une base de réflexion sur ces questions juridiques à travers le prisme de l’éthique.
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