mercredi 18 février 2015

Irak - Pour la France, équipier de 1er rang, l'engrenage est-il enclenché ? (+ MAJ)

Jeudi dernier, l’état-major des armées confirmait le déploiement à venir en Irak de 2 détachements d’instruction opérationnelle (DIO) - en plus d’un DIO déjà sur place depuis l’été, et du lancement d’une mission de type "Advise and Assist". Hier, il était évoqué par le même canal le déploiement à terme non plus de 3 DIO mais jusqu'à 5 DIO.
 
 
Au-delà de la communication opérationnelle qui lisse dans le temps de telles annonces en rien mineures (même si apprises en "catimini", sans déclaration de responsables politiques), gageons que l’engrenage ("Mission creep" pourrait dire les anglophones) qui est enclenché ne s’emballe pas. Rien n’est moins sûr devant l’ampleur de la tache dans la longue durée.
 
En quelques points (à compléter), pourquoi ne sont-elles pas "mineures" ?
 
Alors que l’investissement militaire français en Irak reposait principalement jusqu’alors sur l’armée de l’Air, les forces spéciales (en "ouverture de théâtre") et 1 navire, l’opération Chammal s’apprête à changer de braquet. Des membres d’unités conventionnelles (au-delà de quelques insérés spécialistes – notamment en artillerie transmissions – présents depuis déjà quelques mois) rejoignent donc l’Irak.

Espérons que le débat spécieux sur "unités combattantes" vs "unités non-combattantes" ne ressurgira pas en France, de récents événements ayant concerné en Irak des militaires canadiens et américains prouvent que le distinguo ne correspond à pas grand-chose en Irak. Même si pour le moment – mais pour encore combien de temps… - des lignes de front semblent être dessinées, permettant un avant, dangereux (où les DIO ne sont théoriquement pas), et un arrière, plus sécurisé en attendant une dilution plus que probable - et dangereuse - de l’Etat Islamique sous les coups de boutoir portés contre lui.
 
 
Ce nouveau volet semble s’articuler en 2 volets : un volet conseil de haut-niveau (audit, accompagnement, organisation, etc.), au sein d’un état-major d’une division irakienne (sur la planification, la rédaction d’ordres, la gestion du renseignement, la logistique, etc.) et un volet de formation/entraînement (sans accompagnement) sur l’utilisation de matériels livrés par la France (canons de 20mm, mitrailleuses 12,7mm), de lutte contre les engins explosifs improvisés, de médecine de combat, de génie (protection d’infrastructures, etc.), d’infanterie (se déplacer, se poster, utiliser son arme, etc.). Une mission que des unités conventionnelles sont aptes à remplir (allégeant la charge pesant sur les forces spéciales).

La France possède une réelle expérience dans ce domaine (expérience historique, mais également plus récente : Afghanistan, Mali, AMISOM en Somalie, Minusma en RCA, etc.). Elle est ainsi capable d’offrir "une trame complète de l'assistance militaire" (cf. à ce sujet : "Une nouvelle diplomatie de Défense pour redonner de l’utilité à nos forces") : de l’assistance via des personnels insérés à différents niveaux jusqu’à l’accompagnement au combat (aujourd’hui pas d’actualité, du moins officiellement) via des DAO (détachements d’assistance opérationnels) ou des DLAO (détachements de liaison et d’appui opérationnels), en passant par la formation, l’entrainement, le binomage entres unités françaises et étrangères (cf. la manœuvre cadencée de transition en Afghanistan), etc.
 
Il n’y a première vue aucune unité de lieu, de temps et de mission dans ce déploiement. Des détachements seront autant menés au Nord de l’Irak (Erbil) – en urgence - qu’au centre (Bagdad) – dans le temps long, comme dans le temps court. 3 types d’unités - au moins - sont concernés (forces des Peshmergas, l’Iraqi Counter Terrorism Service - des forces spéciales irakiennes sans doute entraînées par des forces spéciales, la 6ème division, unité conventionnelle de 5.000 hommes tenant le Nord-Ouest de la capitale, et une des rares à ne pas avoir subi le choc de l’EI au printemps 2014, et à s’être disloquée). La mission concernera autant les niveaux élémentaires que les états-majors, des formations spécialisées (Contre-IED, médecine de combat) que généralistes (Infanterie, Génie).

Cette unité jugée pourtant comme gage d’efficacité, et si difficile à obtenir en Afghanistan (qu’elle soit géographique en Kapisa-Surobi, de mission avec la concentration sur les officiers, et certaines spécialités, etc.), est donc aujourd’hui non atteinte. Comme hier, les régiments concernés par l’envoi de ces formateurs se trouveront également amputés pendant plusieurs mois de leurs cadres les plus aguerris, les premiers à partir sur de telles missions.
 
Enfin, sur le plan politique, cet essaimage est autant une opportunité (si la mission – de très longue durée – est un échec, cela dilue les responsabilités au sein de la coalition) qu’un risque de faible retour sur investissement (si la mission est un succès, la participation en propre de la France est illisible, et donc peu rentabilisable).

Notons également que le mantra pour répondre aux sceptiques (cf. ici ou ici, encore plus brillamment) face à un tel engagement qui était "La France est leader au Sahel, tandis que les Etats-Unis y sont des équipiers, et inversement au Irak, zone d’influence traditionnelle où les Etats-Unis  prennent le lead", se trouve mis à mal. Le partage des tâches semble de plus en plus disproportionné.

L‘ampleur de l’effort fait que la France est un "équipier de luxe" (un de tous premiers, si ce n’est pas le 1er, au sein de la coalition) : plusieurs dizaines de militaires d’unités conventionnelles (en plus de plusieurs centaines de forces spéciales) prochainement déployés (en comptant les formateurs, le soutien et ceux en charge de leur protection), plus de 15 appareils (de combat, de renseignement, de ravitaillement…), sans doute prochainement le groupe aéronaval, des officiers de liaison insérés dans plusieurs état-majors de la coalition (10 à 15 au Koweït par exemple, sur 1.000 militaires américains qui composeront à terme l'état-major de la coalition), des moyens de renseignement, etc.

Un engagement significatif, alors que d’autres missions intérieures ou extérieures (avant même qu’une quelconque action en Libye devienne plus que probable dans l’avenir, et en plus du Sahel - du Mali au Nigeria -, du Liban - complétement oublié par le ministre dans ses vœux ou ses récents interviews...), monopolisent déjà les moyens. Les responsables militaires et politiques reconnaissent, d'ailleurs enfin (comme avant eux des "pseudos experts-auto-proclamés", voués aux gémonies, et qui avaient pourtant donc raison…), que les contrats opérationnels du Livre blanc sont dépassés et que le format actuel ne permet pas de les tenir. Est-ce donc bien raisonnable ?
 
NB : pour quelques problématiques sur la formation des armées étrangères, cf. ce laboratoire de l'IRSEM consacré à ce sujet.

MAJ 1 : sans sous-estimer évidemment l'apport complémentaire du groupe aéronaval pour la partie renseignement/frappe, le tournant majeur de l'engagement français en Irak reste bien l'envoi de ses formateurs, issus notamment des unités conventionnelles.

En effet, ils ne sont en rien des outils "déportés" loin du sol (plus "économiques" que les moyens de l'armée de l'Air, en tout cas pour les heures de vol nécessaires pour atteindre les zones d'opérations), et "temporaires" (de l'ordre de "quelques semaines" pour le PA).

Et pour finir, un petit tour par la chaine Youtube de "Chasse embarquée" pour s'en mettre plein les yeux, tout en ayant une sincère pensée pour les Lascars, les Furieux et ceux de la Glorieuse depuis aujourd'hui à l'oeuvre.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"des lignes de front semblent être dessinées, permettant un avant, dangereux, et un arrière, théoriquement plus calme"
Ceci est valable pour le Nord, ou en effet les KSF ont une FLOT bien definie qu'ils repoussent vers le Sud depuis 3 mois avec un certain succes...
Mais ailleurs, il n'y a justement pas "d'avant et d'arriere". Anbar, Bayji etc... l'imbrication est totale sauf, sans doute dans la zone verte de Bagdad...

Corto Maltese a dit…

Une anecdote surprenante :

http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2015/02/iraq-kurdistan-peshmerga-wait-islamic-state.html#

« Aziz Ahmad stands behind a defensive berm, holding the walkie-talkie up to intercept the enemy’s communications;
“They change the frequency regularly and it is not easy to intercept,” he told Al-Monitor. « IS is terrified of bomber aircraft, especially the French.” »

Une explication ? l'article n'est pourtant pas destiner à un publique français.