lundi 16 mars 2015

Irak - Qui sont les nouveaux élèves et frères d'armes des militaires français ? (Partie 1)

En collaboration avec Arnaud Delalande (AéroHisto).
 
Dans le cadre de l’opération française Chammal visant à assurer depuis l’été dernier un soutien aux forces irakiennes dans leurs opérations contre l’organisation de l’Etat islamique (EI), la France a mis en place, en plus d'un appui aérien (renseignement et frappes), un volet de conseil et de formation auprès d’unités irakiennes.


Après avoir été mené principalement par des unités des forces spéciales (COS), ce volet a pris un nouveau tournant début 2015 avec un renforcement des effectifs (jusqu'à "une centaine de militaires" dédiés à cette mission), notamment via l’arrivée de militaires d’unités conventionnelles en plus grand nombre, et un changement d’ampleur avec des actions menées auprès de 3 types de forces.
 
Quelles sont-elles ? En quoi sont-elles l'illustration des importants défis qui attendent les forces de sécurité irakiennes dans les semaines, mois et années à venir ?

Avec la 6ème division, aux portes de la capitale et au-delà

Ce volet est composé tout d'abord d’une mission type "Advise and Assit" pour conseiller les états-majors de niveau brigade / division de la 6ème division, dans la planification et la conduite des opérations. Il s’agit d’une grande unité formée de 3 brigades, parmi la dizaine de divisions que comptent en théorie (du moins avant le choc de l’offensive de l’EI de 2014) les forces terrestres irakiennes (Iraqi Ground Forces).
 
Elle disposait théoriquement plus de 16.000 militaires en janvier 2008 (mais plus sûrement, entre 13 et 14.000, vue l’attrition fréquente due aux absents de longue durée, déserteurs, "soldats fantômes", etc.), selon des chiffres officiels américains. Elle n’en compte plus que 5 à 6.000 aujourd’hui (soit à peine la taille d’une "petite" brigade française), selon les chiffres officiels français. Division motorisée principalement sous blindage léger, elle est en charge théoriquement de la sécurité du secteur Ouest de la capitale Bagdad (au sein du Bagdad Operations Command). Son équipement est à l’image de celui de l’armée irakienne, hétéroclite et à la disponibilité parfois incertaine : véhicules à roues type Humvees, blindés Lav-25 ou BTR-94, différents véhicules résistants aux mines type MRAP, 4X4 variés d’origine civile (GMC, Mitsubishi, etc.).

 
Une des brigades, la 56ème (ex-54ème) est en charge de la sécurité de la zone verte (le cœur ultra-sécurisé de la capitale abritant les ministères, ambassades, etc.), d’où son nom de "Défenseurs de Bagdad". Composée de 2.000 à 2.500 militaires selon des sources locales, elle est considérée comme une unité d’élite. Elle bénéficie lors de certaines opérations de l’appui de capacités plus modernes (blindés M-113, chars lourds M1 Abrams, hélicoptères Mi-35 voire Mi-28, etc.). Elle est jugée comme ayant été particulièrement fidèle à l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, qui la considérait comme sa "garde prétorienne" et y plaçait à sa tête ses proches. Si aujourd’hui elle semble loyale au nouveau Premier ministre Haider al-Abadi, elle garde au sein de certains milieux une mauvaise réputation, notamment après sa participation aux opérations contre les opposants politiques (comme en 2011 et 2012, pour l’arrestation du Vice-Président al-Hashemi et du ministre des Finances al-Issawi). 

Moins bien équipées et plus dégarnies, les deux autres brigades de combat de la division (hors unités de soutien et d’appui) sont la 22ème brigade (surnommée "Les Cobras") et la 24ème ("Muthana", du nom de la région du sud du pays abritant la ville d’origine babylonienne d’Uruk qui a donné son nom au pays). Comme la 56ème, elles sont plusieurs fois citées par les organisations humanitaires comme parties prenantes des violences communautaires opposant notamment shiites et sunnites (potentiellement ravivées aujourd’hui par la stratégie visant à miser sur certaines tribus, notamment shiites, et plus rarement sunnites, pour reconquérir des territoires à majorité sunnite). Des violences qui sont autant la conséquence que la cause d’une gouvernance loin d’être inclusive envers toutes les franges de la société irakienne, et dont la fin est la clé d’une sortie de crise durable.

Depuis sa création en 1959, la division a participé, avec plus ou moins de succès, à la guerre de Yom Kippour, à la guerre Iran-Irak, aux différentes guerres du Golfe (en étant dissoute en 2003, comme le reste de l’armée, pour être recrée en 2005). Elle n’a pas subi de plein fouet, contrairement à d’autres grandes unités, la cavalcade victorieuse de l’organisation de l’Etat Islamique au printemps 2014. Même si certaines unités étaient déployées plus au Nord du pays (autour de Mossoul, en "pays sunnite", ou à Kirkouk pour une partie de la 24ème brigade). Néanmoins, l’avancée de l’EI jusqu’aux portes de Bagdad fait qu’elle est aujourd’hui, avec des moyens réduits, au cœur des combats dans certaines régions (notamment al Anbar, autour de la localité d’Haditha, à la raffinerie de Baji à l’automne 2014, etc.). En août, son commandant, le major-général Najm Abdullah Sudan, est même tué par le tir d’un obus de mortier.
 
 
Pour la vingtaine de mentors français (terme provenant de "Mentor", le précepteur de Télémaque dans la mythologie grecque), il s’agira d’aider les officiers en charge de commander les différentes composantes de cette grande unité à planifier les opérations (au-delà de la résistance au jour le jour de petites cellules éparpillées sur le terrain), gérer la logistique (armement, carburant, maintenance, etc.), réorganiser la chaîne de renseignement, de transmission des ordres, etc. Notamment dans la phase à court terme de desserrement de l’étau autour de la capitale, dont certaines zones sont toujours menacées par des actions indirectes (tirs d’obus de mortiers notamment). Ou dans la reprise de certaines agglomérations comme lors des actuelles opérations à Kirkouk, où un commandant de la 24ème brigade aurait été récemment tué. Cela ne sera que le début, car il s’agira ensuite de tenir les territoires reconquis, en évitant notamment les infiltrations, si jamais l’organisation de l’EI décidait de se fondre plus en avant dans les populations.

Auprès de ces frères d’armes, les militaires français prennent la suite des très nombreuses unités généralement américaines (unités conventionnelles, et même unités spéciales type Delta Force pendant un temps) présentes au moins jusqu’au printemps 2011, notamment pour la stabilisation de Bagdad. Des instructions avaient été également dispensées entre 2005 et 2011 en Australie ou en Jordanie, selon des sources locales. Une assistance déjà variée (formation de base, binomage d’unités, colocalisation de postes de commandement, accompagnement au combat, etc.) et sur la longue durée, qui servira, du moins il est espéré, de terreau porteur pour cette nouvelle aide.

Dans une seconde partie, les deux derniers types d'unités sont présentés : les forces spéciales de l’Iraqi Counter Terorrism Service (ICTS), ainsi que les unités peshmergas fidèles au gouvernement provisoire du Kurdistan irakien.

Aucun commentaire: