mardi 17 mars 2015

Irak - Qui sont les nouveaux élèves et frères d'armes des militaires français ? (Partie 2) (+MAJ)

En collaboration avec Arnaud Delalande (AéroHisto)
 
Après avoir présenté dans une première partie la 6ème division des forces terrestres irakiennes, il sera abordé les deux autres types d’unités auprès desquelles les militaires français dispensent actuellement une assistance militaire.

L’ICTS, une pointe de diamant à régénérer

Deux détachements d’instruction opérationnelle (DIO) sont quant à eux insérés à l’Ouest de Bagdad depuis fin février auprès des unités de l’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS). L’un des détachements est consacré à l’infanterie (avec depuis le 23 février des éléments du 2ème REP actuellement en rotation au sein des forces françaises aux Émirats Arabes Unis, et de la 13ème DBLE), l’autre au génie (lutte contre les engins explosifs improvisés via des éléments du 31ème RG).
 
 
Ils sont plus particulièrement présents auprès du centre de formation des Iraqi Special Operations Forces (ou ISOF), forces spéciales reconnaissables généralement à leur tenue noire (et non de couleur sable), qui sont censées être la pointe de diamant irakienne du contre-terrorisme.

Les ISOF sont composées théoriquement de 3 brigades, opérant sous l’autorité du CTS (un état-major commandé par un général 4 étoiles, en charge de la gestion administrative et de conseiller le Premier ministre) et du CTC (Counter Terrorism Command) pour le commandement opérationnel. Si fin 2011, le CTS compte jusqu’à 9.300 hommes (plus surement 6.000 hommes), il atteint théoriquement environ 13.000 personnels à l’automne 2014, ce sursaut quantitatif s’étant fait au détriment du qualitatif (cf. l'étude, très récente, la plus complète sur le sujet). Et cela, alors que le CTS était considéré, par ses mentors américains (cf. ci-dessous) comme relativement bien équipé et entraîné (véhicules type Humvees ou MRAP, moyens de communication et d’observation, armement individuel de qualité, etc.). Plus globalement, elles ont été ces dernières années à la fois délaissées et mal employées : manque de financements adéquats pour l’entraînement, non-renouvellement du personnel (parfois découragés par un processus de recrutement complexe), sous-emploi dans des missions de garde check-points, etc.

C’est à partir de 2003 que les premiers éléments des ISOF sont formés par des forces spéciales américaines de l’US Army (Green Berets) principalement en Jordanie, jusqu’en 2006. En 2007, le CTS est placé sous l’autorité du Premier ministre (via l’Office of Commander in Chief ou OCINC), ne dépendant donc plus d’un ministère (Défense ou Intérieur). Cette subordination particulière est un moyen pour l’ancien Premier ministre de diriger directement ces unités, via une chaîne de commandement informelle et non-constitutionnelle, en attendant depuis 2008 la ratification au Parlement de la loi adéquate pour lui donner rang de ministère. Même après le début de la phase de transition en janvier 2008 puis le retrait effectif des unités américaines fin 2011, la présence de forces spéciales américaines s’est poursuivie, moins directe et en moindre nombre (de l’ordre d’une trentaine d’éléments en 2012 par exemple). Cet effort était la continuité d’un soutien important, notamment pour mener les nombreux raids nocturnes contre les groupes terroristes.

Au cours de l’année 2014, les ISOF ont subi d’importantes pertes dans ce qui s’apparentait à une guerre de mouvement et de position avec des villes à tenir ou à reprendre, loin de leur raison d’être : le contre-terrorisme. Depuis mi-novembre, en plus des forces spéciales américaines déjà sur place, des forces spéciales australiennes (2nd Commando Regiment) sont également présentes. Appuyées par des moyens aériens (notamment le 15th Special Operations Squadron équipés en hélicoptères Mi-17), ces unités sont généralement en pointe des opérations actuellement menées, les unités conventionnelles (comme ceux de la 6ème division) arrivant souvent en second rideau pour tenir le terrain repris (cf. cas à Tikrit).  


 Parfois désignées par les populations locales comme des "escadrons de la mort", ces unités ont gagné par leurs pratiques les surnoms de "Dirty brigades" ou de "Fedyaden al-Maliki", en référence aux unités paramilitaires de l’époque de Saddam Hussein. Il est espéré que la nomination d’un nouveau Premier ministre permettra de mettre fin aux pratiques post-2011 et pré-2014 de clientélisme, sur-politisation, violences sectaires (s’aliénant un peu plus les populations sunnites) et non-respect du droit dans la guerre. Ces éléments éclairent le contexte complexe de la mission, et l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, au-delà de l’effort uniquement technique. L'assistance apportée se doit d'être en partie conditionnée à de sensibles efforts dans ces domaines politiques, éthiques et humanitaires.

La première brigade (Golden Brigade), la plus ancienne, est centrée sur Bagdad. Elle est organisée théoriquement autour d’un 1er bataillon de forces spéciales (pour les opérations contre-terroristes du haut du spectre), de plusieurs bataillons commando type bataillons de choc (dont certains sont en garnison dans les provinces proches de la capitale, Babil, Anbar et Kerbala), un bataillon de soutien, une unité spéciale de reconnaissance, et un bataillon de formation (ou Academia, anciennement Iraqi Special Warfare Center and School). Il est probable que les détachements français soient au sein de ce centre, pour entraîner les nouvelles recrues et renforcer les unités déjà constituées. Avant l’explosion de 2014, la seconde brigade, créée en 2006 était stationnée dans différentes provinces, avec des bataillons de 400 à 450 hommes régionalisés, principalement dans le Nord et à l’Est du pays (Nineveh, Salah Ad-Din, Wasit, Diyala et en partie à Kirkouk), en plus d’unités de soutien et de reconnaissance. Elle a plus particulièrement subi les assauts de l’organisation de l’Etat Islamique. La troisième brigade, sensiblement sur le même modèle, est créée au printemps 2013 pour le Sud autour de Bassora (Nadjaf, Maysan, Dhi Qar, et Mouthana).

Selon plusieurs observateurs, au-delà de certains éléments bien formés et commandés, la baisse de niveau est significative depuis la fin de l’assistance américaine en 2011, même dans les procédures pour mener des missions simples (défendre un point, s’emparer, surveiller, etc.). Employées loin de leurs missions d’origine, les ISOF seraient devenues une infanterie légère, au niveau comparable à celui de certains régiments professionnels français avant l’importante adaptation afghane post-2008. Un important défi attend donc les militaires français pour régénérer ces unités.

MAJ 1 : l'état-major des armées (France) annonce ce 19 mars que la formation est menée auprès "d'une cinquantaine" de stagiaires de l'ICTS, soit un effort modeste, depuis le 7 mars, fournissant du même coup l'une des premières photos de militaires français conventionnels déployés en Irak.



MAJ 2 : pour se faire une idée du défi de la lutte contre les IED (un des pans de la formation prodiguée par les militaires français), plongée dans ce que font les militaires américains dans le domaine non loin de là où sont stationnés les militaires français, et dans la réalité des activités des militaires irakiens, des miliciens et des forces peshmergas face à cette menace.

Non loin d'un des fronts le plus actif, auprès des Peshmergas

Enfin, au Nord-Est de l’Irak, à quelques kilomètres d’Erbil, deux détachements ont été déployés. L’un est consacré au maniement des armes livrées depuis mi-août 2014 par la France (mitrailleuses de 12,7 mm et surtout canons de 20 mm montés à l’arrière de pick-ups et camions pour apporter mobilité et allonge). L’autre, arrivé en janvier, est consacré aux techniques du génie : lutte contre les IED, valorisation du terrain (abris, murs de protection, etc.), et contre-mobilité (obstacles, piégeage, etc.), en attendant un possible troisième détachement sur la prise en charge des blessés au combat.
 


MAJ 2 : cet entraînement, notamment la partie conventionnelle, se fait, semble-t-il, au sein du Kurdistan Coordination Training Center (KCTC), aux portes d'Erbil non loin de l'aéroport et à moins de 35 km de la ligne de front. Le KCTC est un centre ouvert depuis mi-février avec des militaires allemands, italiens, néerlandais ou encore britanniques. La formation de 4 semaines, dans différentes spécialités, visent à former en simultanée jusqu' à au moins 8 sections (de 30 hommes environ).

Du fait d’un organigramme moins rigide que celui de l'armée régulière irakienne (la référence pour tenter de s'y retrouver restant l'ordre de bataille fourni par Montrose Toast), il est plus complexe de détailler les unités peshmergas auprès desquelles ces militaires français opèrent (peut-être auprès des brigades de forces spéciales rattachées à chacun d'un des deux commandements régionaux).

Les unités peshmergas sont dans leur grande majorité des unités d’infanterie de montagne, peu ou pas blindées (malgré l’envoi récent de véhicules protégés face aux mines type MRAP), rarement composés de professionnels, mais le plus souvent de volontaires avec peu ou pas d’expérience. Habitués à mener depuis des décennies des opérations de guérilla (embuscades, harcèlement, etc.), les Peshmergas doivent aujourd’hui combattre dans les plaines et les villes, terrains moins habituels, tout en menant un combat avant tout défensif sur une ligne de front faisant jusqu’à peu plus de 1.000 km de large (à comparer avec celle du front de l’Ouest de la 1ère Guerre mondiale d’environ 700 km). Les estimations sur leur nombre varient du simple au triple (entre 80 et 250.000), tout comme leur organisation, généralement très décentralisée, autonome et clientéliste.

En effet, sur le plan politique caractérisé par un fort bipartisme, ces unités sont liées, selon le ministre de la Défense français, à l’actuel gouvernement autonome de la région du Kurdistan d’Irak de Massoud Barzani, qui est également, le chef de file du PDK (Parti démocratique du Kurdistan). Pour unifier les efforts militaires, il retente depuis l’été 2014 de placer l’ensemble des unités sous un commandement unique, via le ministère des Affaires peshmergas. Début 2015, environ 12 des 36 brigades identifiés étaient apparemment sous ce commandement, les autres partis, le PDK lui-même et l’Union patriotique du Kurdistan, l’autre grand parti, mené par Jalal Talabani centrée sur Kirkouk, maintenant leurs unités hors de ce ministère. Ainsi, des efforts de coordination, à la fois au sein des unités peshmergas, mais également avec les forces de sécurité irakiennes, restent donc encore à faire alors que débutent les opérations de reprise de certaines localités (Kirkouk, plaine de Ninive, etc.).

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour, qu'entendez vous quand vous dites "au niveau comparable à celui de certains régiments professionnels français avant l’importante adaptation afghane post-2008."

Quels régiments désigneriez-vous ?

Cordialement.

F. de St V. a dit…

Vu le métier des unités ISOF, une comparaison aux régiments d'Infanterie français (plutôt que de Génie, Artillerie et autres armes)avant les fruits de l'effort de préparation débutée avant Uzbeen, mais amplifié comme jamais après