Par Thibault Lamidel (Le Fauteuil de Colbert) et Florent de Saint Victor (Mars Attaque).
Contrairement à ce que certains préconisent (cf. notamment ici), la France ne doit pas demander suite aux attentats du 13 novembre l’activation de l’article 5 du traité de Washington, cette garantie de la défense collective de l’Alliance atlantique.
Camouflet politique certain vis-à-vis de l’Alliance, le Président de la République mandatait, le 16 novembre devant le Parlement réuni en Congrès, le ministre de la Défense pour recourir à l'article 42-7 du Traité sur l'Union européenne, non à cet article 5.
Il stipule que : "Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre".
Il est considéré comme le pendant de l’article 5 qui indique que : "Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée".
Jamais utilisée depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (1er décembre 2009), l’invocation de cet article 42-7 est, il est vrai, une initiative audacieuse, tant le constat est sans appel sur l’hibernation actuelle de ce qui est appelée "l'Europe de la Défense" ou "la Défense de l'Europe". Malgré ce qu’expriment certains commentateurs avançant que cette demande est avant tout un moyen pour appuyer la déclaration présidentielle "Je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité", elle ne peut être prise seulement pour un gage français en échange de bienveillance vis-à-vis des dérapages du déficit public sous la pression des nouvelles dépenses liées aux évènements.
En effet, l’appel à cet article est également sincère, la solidarité européenne est réellement recherchée, et raisonnée, les avantages politiques d’y faire appel étant supérieurs à l’activation de l’article 5. Tout en nécessitant encore d’être affinées et validées "dans les prochaines semaines", selon le ministre de la Défense, les propositions apparaissent à première vue nombreuses. Surtout lorsqu’elles sont comparées au peu d’entrain lors de précédents tours de table : missions au Tchad, Mali, RCA, etc. Ces derniers jours, l’Irlande, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Roumanie, le Danemark, la Belgique ou la République-Tchèque ont fait part de leur volonté de répondre à leur niveau, ou de confirmer des engagements précédents. Sans attendre, pour ceux qui seraient concernés (et ils sont nombreux dans cette liste), une quelconque invocation de l’article 5, ils se proposent donc d'épauler l'effort militaire français dans différentes zones (Sahel, Liban, RCA, etc.), afin d'avant tout atteindre un niveau de moyens plus adéquat avec la situation, sans garantir et permettre, au moins dans un premier temps, une réel baisse de l'effort français.
Ainsi, qu’attendre de plus d’un recours à l’article 5, dans une large mesure tout aussi peu contraignant que l’article 42-7, et affectant pour une large partie les mêmes acteurs ?
Les avantages à tirer d’une telle invocation seraient potentiellement bénéfiques uniquement à courte vue. A minima, il s’agirait d’une solidarité politique faite de déclarations sérieuses, d’accolades fraternelles et de condoléances sincères, d’une organisation nettement moins neutre, sur le plan des représentations à l’échelle internationale, que l’Union européenne. Néanmoins, ces bénéfices, peu engageants, seraient orientés principalement à destination des audiences domestiques, en somme, les gouvernements et les opinions publiques des Alliés, afin de se rassurer sur la réalité de nos liens. Une part du préalable mais pas une fin. Dans une vision plus maximaliste, cela pourrait conduire à une mobilisation de quelques capacités militaires supplémentaires mis à disposition par certains partenaires, jusque-là peu ou pas engagés (le plus significatif, et unique, étant la Pologne). Un appel à l’OTAN pourrait néanmoins rajouter une couche de complexité (politique et technique : commandement, règles d’engagement, etc.) à la fois dans la coalition de 65 volontés opérant en Syrie / Irak, et déjà bien disparate (ceux qui frappent et les autres, qui agissent en Syrie et les autres, qui ont accès à certains renseignements et les autres, etc.), ou sur d’autres théâtres d’opérations.
Les inconvénients seraient ainsi potentiellement supérieurs, notamment dans les crises que cette mobilisation entend pourtant régler, principalement Proche/Moyen-Orient, face à des organisations pouvant tirer profit de cette "nouvelle croisade occidentale", notamment avec le passif chargé de l’Afghanistan ou de la Libye. Certaines parties prenantes, à la fois partie du problème et de la solution, pourraient dénoncer un nouvel obstacle à la tenue de négociations, sans qu’il soit possible (pour la Russie, plus directement concerné historiquement par cet article 5) de leur donner légitimement totalement tort. Quant à la Turquie, non concernée par l’article 42-7 mais par l’article 5, elle pourrait malgré tout faire fi de l’obligation de mobilisation, tant la décision est laissée in fine aux seuls Etats. Un tel recours, pourrait même être perçu comme un cadeau facile qui lui serait fait, surtout après les derniers événements, où l’instrumentalisation de l’OTAN par la Turquie, à son profit propre, serait plus qu’évidente. L’OTAN ne s’y trompe pas en appelant hier au calme et à la désescalade, par la voix de son secrétaire général. Est-ce ainsi réellement via l’Alliance que des concessions sur son positionnement plus qu’ambigu seront acquises ?
Au final, il est bien question de répondre au débat fondamental et constitutif de la sécurité collective en Europe, et de la raison d’être de l’Alliance atlantique, notamment avec le cas d’opérations "hors zone" (comprendre hors continent européen). La période de questionnement existentiel suite au quasi retrait d’Afghanistan a bien trouvé une réponse, parfois sur-jouée, dans la situation en Ukraine. Mais au-delà de ce cadre, l’organisation peut-elle réellement apporter une quelconque plus-value, non pas forcément militaire, mais bien politique, hors de son cœur de métier ? D’autant plus que la notion d’ "attaque armée" est très restrictive selon la jurisprudence, en étant une garantie d’une certaine légitimation indirecte de l’organisation de l’Etat islamique. A la vue des résultats précédents et des événements actuels, il est évidement légitime de poser la question, et également de répondre, que dévoyer sa raison d’être n’est pas forcément le meilleur cadeau à lui faire.
Jamais utilisée depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (1er décembre 2009), l’invocation de cet article 42-7 est, il est vrai, une initiative audacieuse, tant le constat est sans appel sur l’hibernation actuelle de ce qui est appelée "l'Europe de la Défense" ou "la Défense de l'Europe". Malgré ce qu’expriment certains commentateurs avançant que cette demande est avant tout un moyen pour appuyer la déclaration présidentielle "Je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité", elle ne peut être prise seulement pour un gage français en échange de bienveillance vis-à-vis des dérapages du déficit public sous la pression des nouvelles dépenses liées aux évènements.
En effet, l’appel à cet article est également sincère, la solidarité européenne est réellement recherchée, et raisonnée, les avantages politiques d’y faire appel étant supérieurs à l’activation de l’article 5. Tout en nécessitant encore d’être affinées et validées "dans les prochaines semaines", selon le ministre de la Défense, les propositions apparaissent à première vue nombreuses. Surtout lorsqu’elles sont comparées au peu d’entrain lors de précédents tours de table : missions au Tchad, Mali, RCA, etc. Ces derniers jours, l’Irlande, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Roumanie, le Danemark, la Belgique ou la République-Tchèque ont fait part de leur volonté de répondre à leur niveau, ou de confirmer des engagements précédents. Sans attendre, pour ceux qui seraient concernés (et ils sont nombreux dans cette liste), une quelconque invocation de l’article 5, ils se proposent donc d'épauler l'effort militaire français dans différentes zones (Sahel, Liban, RCA, etc.), afin d'avant tout atteindre un niveau de moyens plus adéquat avec la situation, sans garantir et permettre, au moins dans un premier temps, une réel baisse de l'effort français.
Ainsi, qu’attendre de plus d’un recours à l’article 5, dans une large mesure tout aussi peu contraignant que l’article 42-7, et affectant pour une large partie les mêmes acteurs ?
Les avantages à tirer d’une telle invocation seraient potentiellement bénéfiques uniquement à courte vue. A minima, il s’agirait d’une solidarité politique faite de déclarations sérieuses, d’accolades fraternelles et de condoléances sincères, d’une organisation nettement moins neutre, sur le plan des représentations à l’échelle internationale, que l’Union européenne. Néanmoins, ces bénéfices, peu engageants, seraient orientés principalement à destination des audiences domestiques, en somme, les gouvernements et les opinions publiques des Alliés, afin de se rassurer sur la réalité de nos liens. Une part du préalable mais pas une fin. Dans une vision plus maximaliste, cela pourrait conduire à une mobilisation de quelques capacités militaires supplémentaires mis à disposition par certains partenaires, jusque-là peu ou pas engagés (le plus significatif, et unique, étant la Pologne). Un appel à l’OTAN pourrait néanmoins rajouter une couche de complexité (politique et technique : commandement, règles d’engagement, etc.) à la fois dans la coalition de 65 volontés opérant en Syrie / Irak, et déjà bien disparate (ceux qui frappent et les autres, qui agissent en Syrie et les autres, qui ont accès à certains renseignements et les autres, etc.), ou sur d’autres théâtres d’opérations.
Les inconvénients seraient ainsi potentiellement supérieurs, notamment dans les crises que cette mobilisation entend pourtant régler, principalement Proche/Moyen-Orient, face à des organisations pouvant tirer profit de cette "nouvelle croisade occidentale", notamment avec le passif chargé de l’Afghanistan ou de la Libye. Certaines parties prenantes, à la fois partie du problème et de la solution, pourraient dénoncer un nouvel obstacle à la tenue de négociations, sans qu’il soit possible (pour la Russie, plus directement concerné historiquement par cet article 5) de leur donner légitimement totalement tort. Quant à la Turquie, non concernée par l’article 42-7 mais par l’article 5, elle pourrait malgré tout faire fi de l’obligation de mobilisation, tant la décision est laissée in fine aux seuls Etats. Un tel recours, pourrait même être perçu comme un cadeau facile qui lui serait fait, surtout après les derniers événements, où l’instrumentalisation de l’OTAN par la Turquie, à son profit propre, serait plus qu’évidente. L’OTAN ne s’y trompe pas en appelant hier au calme et à la désescalade, par la voix de son secrétaire général. Est-ce ainsi réellement via l’Alliance que des concessions sur son positionnement plus qu’ambigu seront acquises ?
Au final, il est bien question de répondre au débat fondamental et constitutif de la sécurité collective en Europe, et de la raison d’être de l’Alliance atlantique, notamment avec le cas d’opérations "hors zone" (comprendre hors continent européen). La période de questionnement existentiel suite au quasi retrait d’Afghanistan a bien trouvé une réponse, parfois sur-jouée, dans la situation en Ukraine. Mais au-delà de ce cadre, l’organisation peut-elle réellement apporter une quelconque plus-value, non pas forcément militaire, mais bien politique, hors de son cœur de métier ? D’autant plus que la notion d’ "attaque armée" est très restrictive selon la jurisprudence, en étant une garantie d’une certaine légitimation indirecte de l’organisation de l’Etat islamique. A la vue des résultats précédents et des événements actuels, il est évidement légitime de poser la question, et également de répondre, que dévoyer sa raison d’être n’est pas forcément le meilleur cadeau à lui faire.
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