jeudi 25 mai 2023

Conférence - Innovation et systèmes terrestres du futur pour les soldats

Une récente conférence organisée par le COGES a permis d’aborder le sujet de l’innovation, « des ateliers aux tranchées », dans le secteur terrestre. Un secteur parfois vu, à tort, comme relativement conservateur dans le domaine. Et pourtant. Que cela soit dans la manière d’innover (comme « acte de management »), d’innover dans les produits ou les services, ou dans les concepts. 


Crédits : COGES.

Ainsi, les méthodologies ne sont pas éloignées de ce qui peut se voir ailleurs : la méthode agile (pas uniquement sur le software, mais aussi sur le hardware), les FabLabs et autres espaces de créativité via du design thinking, cette approche méthodologique dont l'objectif est d'innover ou de résoudre un problème identifié. Avec, par exemple, des réalisations concrètes conjointes pour Nexter avec les forces armées et la Direction générale de l’armement (DGA) sur le programme Dragon pour imaginer conjointement la défense Nucléaire Radiologique Biologique et Chimique (NRBC) à horizon 20 ans. Ou encore quant à l’artillerie du futur, pour des réflexions en interne Nexter. Cela a été aussi le cas avec des sprints, de quelques semaines à quelques mois, menés pour le développement de la munition de 120 mm SHARD (de type APFSDS - Armor-Piercing Fin Stabilized Discarding Sabot) dont une des données était de venir très directement concurrencer le produit d’un autre industriel. Pour cela, il était indispensable de pouvoir faire des essais de tirs en réel très rapidement, de pouvoir faire tourner des modèles numériques en s’appuyant sur les données retenues, et d’atteindre ainsi 80-90% des attentes du cahier des charges le plus vite possible. Le tout en gagnant environ 30% sur les cycles de développement jusque-là observés. La munition a été qualifiée en fin 2022, via de nouvelles campagnes de tirs autorisées sur un champ de tir situé au Portugal, détenu en propre, qui permet de réaliser des essais de manière plus souple, quoique sécurisés.


Crédits : Nexter.

Pour Arquus, l’innovation participative est particulièrement développée en interne sur la manière de produire, via les ICP (ou « idées concrètes de progrès ») soumises par les employés directement, avant de pouvoir les développer puis les appliquer. En trouvant ainsi une réelle motivation à le faire. C’est le cas sur des processus améliorés, des nouveaux outils de travail, etc. Comme le présente à une autre occasion, un responsable, cela se fait notamment via la démarche Lean Kaizen, centrée sur les améliorations jour après jour des processus, en mettant les opérateurs au cœur de la démarche. Par exemple, sur le site de Limoges, spécialisé dans la production de véhicules neufs, un important travail d’information partagée au sein des équipes a été réalisé, via la multiplication de tableaux de bord de suivi, les briefings matinaux, la mise en place d’écrans TVs sur les postes des lignes de production pour suivre des tutoriels vidéos à proximité de la réalisation des tâches, etc. 800 chantiers Kaizen ont été ouverts sur les différents sites Arquus depuis 2018, notamment dans l’optimisation des postes de travail. En plus de processus de remontées d’idées, des ateliers Kaizen dédiés ont été installées dans les différents bâtiments des sites de production pour permettre aux opérateurs d’innover eux-mêmes (avec mise à disposition d’outils et de matériaux), pour la réalisation de prototypes qui peuvent ensuite être généralisés. C’est le cas par exemple pour des chariots d’outillage (avec les emplacements pour les Equipements de protection individuelle (EPI), les outils, le support de tablette, les tableaux de bord…) développés dans certains bâtiments et ensuite industrialisés pour l’ensemble de certains sites.

Pour les produits et les services, il est à relever que l’innovation, notamment d’usage, ne se fait pas forcément avec de grands moyens, comme avec le ré-emploi et le détournement de technologies civiles comme axe parfois le plus simple. La facilité d’emploi des véhicules est ainsi un axe fort d’amélioration. C’est par exemple via l’utilisation de systèmes avec des caméras et des écrans normalement employés sur des camping-cars pour assurer la vision périmétrique autour du véhicule, notamment en déplacements, qui sont ré-utilisés sur des véhicules à l’export, « et qui font le travail », à des prix abordables. Encore faut-il avoir un bon dispositif de recueil des « irritants », comme via les équipes de démonstration qui sont très souvent au contact des clients. Des systèmes de crics gonflables ne sont-ils pas une solution efficace sur des terrains meubles ? Au-delà du détourné, il est aussi possible d’aller plus loin, notamment en puissant dans les ressources internes des filiales, et en profitant du rôle de systémier-intégrateur comme l’est Nexter via « le véhicule augmenté », présenté sur le véhicule blindé Titus il y a quelques années, et qui pourrait bien l’être sur Griffon sous peu : avec des robots terrestres de Nexter Robotics placés dans des coffres pour le transport et le rechargement, des optiques de la filiale Optsys, des drones filaires au-dessus du véhicule ou décollant depuis le toit du véhicule, etc. En ré-emploi, du côté de Nexter, c’est aussi la reprise du concept de l’obus d’artillerie Bonus pour l’appel d’offres lancé par l’Agence de l’Innovation de Défense (AID) sur les munitions téléopérés (MTO). Pour le volet Larinae (de longue élongation, au-delà de 50 km de portée), dont les résultats seront bientôt connus, Nexter propose une munition miniaturisée avec charge formée et sous-munitions qui se détachera à environ une dizaines de mètres au-dessus du véhicule ou des véhicules ciblés, et venir le ou les frapper à 2.000m/s.

En pas moins ambitieux, il y a aussi le fait de mettre le meilleur des technologies maitrisées et éparpillées au sein d’un unique véhicule, comme l’est le démonstrateur Scarabée. Que cela soit pour la partie suspension, direction, ergonomie, cellule de survie, vision extérieure, hybridation bien sûr (« utilisable dès maintenant »), etc. Pour de réels atouts opérationnels (approche furtive, effet boost, capacité de rechargement d’équipements, auto-génération d’énergie…). Qui pourront demain, si au-delà des effets d’annonce de la précédente ministre des Armées, les études de développement d’un démonstrateur basé sur un Griffon sont bien effectivement lancées, comme le précise un autre interlocuteur à une autre occasion : « depuis l’annonce il y a 2 ans par la ministre Florence Parly d’un démonstrateur de Griffon hybride en 2025, nous n’avons toujours pas reçu un seul € de contrat pour l’étude d’architecture nécessaire à l’installation du moteur hybride Renault Trucks sur un Griffon (même si la chaine cinématique ne devrait pas évoluer dans un premier temps) ». Un Groupe Motopropulseur (GMP) hybride pour chars sera présenté lors des prochains Technodays d’Arquus en mai 2023, pour chars Leclerc ou systèmes équivalents. Il s’agit de proposer des solutions « pour gérer le crépuscule des moteurs diesel » (poussé par l’application de la norme Euro 7 d’ici 2035 en Europe sur la réduction de la consommation d’oxydes d’azote). A ce jour, « les solutions Arquus rentrent pile poil dans les espaces prévus pour les moteurs thermiques, donc il n’y a pas de grande question de reprise des architectures », préçise un responsable rencontré à une autre occasion. D’autres solutions sont aussi étudiées comme des mélanges type SAF ou biocarburants / H2 brulés (type e-fuel) dans des moteurs thermiques ou l’emploi du LOHC (Liquid organic hydrogen carriers) pour du H2 liquide. Des solutions présentées comme « pas loin de la maturité haute ».

La dernière couche de ce développement continu de la plateforme Scarabée, la plus récente, étant les premiers tours de piste du Scarabée en télé-opération qui se sont déroulés récemment. Une présentation est prévue sous peu. A suivre. Il est possible de monter d’ores-et-déjà à 30 km/h pour le moment, sans perte de liaisons de données, et en maintenant les capacités de mobilité. Permettant d’aller au-delà du simple concept de mule suiveuse ou en convois, pour devenir à terme un réel équipier de véhicule-mère.

Nexter n’est pas en reste évidemment sur la robotisation, notamment autour des algorithmes d’autonomie, pour les feux et les mouvements. L’Ultro, démonstrateur jugé « bien né », pourrait offrir un produit d’entrée de gamme au final. Avec des vitesses de déplacement de 20/30 km/h, intéressantes, mais pas suffisantes pour suivre des véhicules pouvant se déplacer à des vitesses bien supérieures de l’ordre de 70 à 80 km/h. D’où, notamment, le partenariat récent avec Sogeclair sur la mule Phobos de SERA ingéniérie, qui aujourd’hui se déplace à 40/50km/h et demain pourrait atteindre les 70/80km/h. L’effort de développement remonter, au moins, à un véhicule Titus qui avait été instrumenté il y a plusieurs années avec des actionneurs pour de la téléopération. Une manœuvre utile pour défricher le sujet, et franchir des premières étapes en termes de CRL (Capability Readiness Level), comme utilisé par Nexter, à mettre en parallèle des efforts de TRL (Technology Readiness Level). Afin de mettre dans les mains des opérateurs des capacités pour qu’ils se fassent un avis, dans un environnement terrestre, fondamentalement déstructuré. Avant de se projeter sur le programme Titan, le volet Main Ground Combat System (MGCS), etc.
 

Concept Phobos en version mule / génie (pelle/treuil/cargo/reconnaissance) tractable par un véhicule Serval (Nexter / Texelis). Crédits : Nexter / Sogeclair.

Enfin, sur la partie services, un premier axe tourne autour de l’impression 3D, « sujet pour certains un peu magique, qui n’est pas sans coûts ni contraintes », selon un intervenant. Notamment en 1ère monte, même si déjà beaucoup peut être fait. Ainsi, sur un véhicule standard Arquus, il est identifié à ce stade 10% des pièces qui sont imprimables en fabrication additive. Sur un châssis de système d’artillerie Caesar, « bonne surprise », 20% des 200 pièces les plus utilisés en maintenance sont imprimables. Pour se lancer, un partenariat tripartie Arquus-Nexter-Vistory développe des containers ateliers permettant la production distribuée par fabrication additive de pièces dites « de secours » (et non détachées), à la demande, sur place, rapide, et en garantissant la propriété intellectuelle et la conformité. Soit une réelle maintenance de combat pour le maintien des capacités, pour que cela fonctionne rapidement à nouveau, le temps d’approvisionner. Une forme de système D plus qu’amélioré.

Un second axe concerne la numérisation, notamment les capteurs de type HUMS (Système de surveillance de l'état et de l'usage du matériel), premiers pas avant les jumeaux numériques, la maintenance prédictive, la continuité numérique du développement à l’emploi, la simulation en s’appuyant sur les données recueillies, etc. Des travaux sont menés par Nexter et Arquus (qui peut s’appuyer sur les travaux issus du civil, notamment au sein du Groupe Volvo AB) pour équiper (châssis et tourelles) un parc choisi d’une vingtaine de blindés VBCI du parc d’entrainement des camps de Champagne pour « démystifier le sujet des données », et voir ce que cela donne en vrai les algorithmes, la gouvernance, les flux, le stockage et le traitement, etc. Voir dans la vraie vie ce que cela donne, "en espérant que cela puisse se lancer d’ici fin 2023".

Au final, l’innovation participe aussi au positionnement de la gamme de produits proposés. Avec, comme indiqué par interlocuteur à une autre occasion, « une certaine sur-spécification des matériels en France qui ne les rendent pas forcément tous et tout le temps pertinents à l’export. Par exemple, Arquus a donc développé sur fonds propres une gamme de produits pour l’export (c’est le cas des VAB Mk3, Bastion et Sherpa), que la France pourrait acheter d’ailleurs si elle cherche à aller vers du moins complexe. Des véhicules plus rustiques, moins électroniques et moins chers, parfois plus compatibles avec les besoins et les budgets de clients ».Tout est bien histoire de compromis, au service des forces.

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