mercredi 8 avril 2009

Kilcullen a dit


Que l’on ressasse que la situation au Pakistan (en particulier dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan) est préoccupante, n’est pas nouveau. Par contre, que des spécialistes de renom parlent d’une implosion de l’état pakistanais, cela devient dramatique. Dans une interview donnée au Washington Post le 22 mars 2009, David Kilcullen prédit la possible désagrégation du Pakistan à court terme :

“The Pakistani military and police and intelligence service don't follow the civilian government; they are essentially a rogue state within a state. We're now reaching the point where within one to six months we could see the collapse of the Pakistani state, also because of the global financial crisis, which just exacerbates all these problems…”


Kilcullen n’est pas le premier venu en Relation Internationales, ni le dramaturge annonçant l’apocalypse, ni le spécialiste auto-proclamé de la réalité du terrain depuis le Pentagone, etc. Son parcours parle pour lui et donne d’ailleurs plus de poids à ses propos.


Moins connu que les deux autres, Kilcullen est l’un des trois David (avec Galula et Petraeus) qui impactent les récents débats stratégiques américains concernant une nouvelle approche de la contre-insurrection en Irak puis en Afghanistan. Colonel de réserve de l’armée australienne, détaché auprès des US Army, il est un des conseillers du général Petraeus. Après l’avoir épaulé en Irak, il l’a rejoint dans ses nouvelles attributions de commandant du CENTCOM (un des commandements stratégiques régionaux américains) et s’est attelé au dossier afghan.


Kilcullen est né en 1967 et débute une carrière opérationnelle dans l’armée de Terre australienne. IL étudie en 1993 la lutte contre le mouvement indonésien Dar-ul-Islam (qui enfantera ensuite du Jemaah Islamiyah. Analysant les écrits et discours émanant des mouvements transnationaux, il met en avant l’importance des problèmes psychologiques des individus, sociaux des entourages et économiques de leurs conditions pour l’émergence de nouveaux terroristes. Selon lui, le salafisme n’a qu’une place secondaire : une instrumentalisation. Lu aux États-Unis, malgré une thèse divergente de celle du gouvernement américain, il écrit la partie portant sur les « conflits irréguliers » de la Quadrennial Defense Review en 2005 où apparait déjà ses grands enseignements : protection de la population, engagement dans la durée, stratégie globale, développer des forces locales crédibles, etc. La même année, il fait paraitre ses 28 articles fondamentaux pour la COIN au niveau compagnie que tous les officiers partant en Irak doivent lire. Multipliant les missions de terrain, il est en parallèle nommé conseiller auprès du Haut-Commandement à Bagdad.


Cela fait donc quelques temps que la situation au Pakistan n’inspire pas confiance. Mais il est vrai que les mauvaises nouvelles semblent se multiplier pour atteindre « un point de non retour ». Des cessez-le-feu en forme de défaites de l’armée pakistanaise dans la vallée de la Swat sont sorties les allégations du soutien des services secrets pakistanais (ISI) aux rebelles afghans. Durant la résistance face aux Soviétiques, l’ISI était en charge de faire l’intermédiaire avec les USA pour distribuer les précieux missiles Stinger. N’en donnant vraiment que la moitié aux Afghans, ils les réservaient de plus à des mouvements qui aujourd’hui sont aux premières lignes de la rébellion afghane. Les taliban (comme la COIN devrait le faire) progressent en tâche d’huile au Pakistan (on parle de patrouilles taliban à Peshawar). Le décalage est frappant entre un gouvernement qui autorise les frappes américaines sur son territoire (cf. la base de drones Predator) mais qui pour faire bonne figure devant son opinion les condamne… Pourtant les efforts pour éviter que les taliban se soient seulement translatés de l’Afghanistan au Pakistan sont multi-directionnels comme avec les frais d’équipements envers l’armée pakistanaise.


La conclusion n'est pas aisée: est-ce trop tard? Le coup de baguette magique peut-il encore arriver? Faut-il vraiment traiter le problème afghan et pakistanais comme un tout avec le risque d'avoir deux bébés capricieux dans les bras?


P.S. : même si la présentation est plus accrocheuse que véridique, la conférence de l’IFRI (Institut Française des Relations Internationales) du 22 avril 2009 à 18H00 peut apporter des grilles de lecture intéressantes : AFGHANISTAN-PAKISTAN : zone de tous les dangers ? La notion « Af-Pak » (les situations en Afghanistan et au Pakistan sont interdépendantes et la guerre contre la rébellion aux milles visages se mène sur les deux territoires). Ainsi, Michael Yon (reporter de guerre indépendant) en parle sur son blog au moins depuis le 19 août 2008.

3 commentaires:

Electrosphère a dit…

Bonne came, agréablement plus longue que tes posts habituels. Merci

F. de St V. a dit…

Tomber au bon moment sur la bonne news, cela aide grandement.

Merci Charles! Je tente de me mettre au niveau des autres...

Frédéric a dit…

Espérons que cela ne se produira pas. Un pays aussi peuplé avec l'arme nucléaire qui s'effondrerait, c'est INGÉRABLE; nous n'avons même pas réussi à ''stabiliser'' la Somalie dans les années 1990.