Symboliquement, les autorités militaires françaises ont donc transféré le 4 juillet la responsabilité de la province de Kapisa aux autorités afghanes. Cette cérémonie intervient un mois et demi après l'annonce officielle du président Karzaï de la 3ème tranche de la transition (Inteqal en dari et en pachtou). Elle n'est néanmoins qu'une étape.
Ce délai assez court montre pourtant la facilité de la bascule dans la direction des opérations entre les Français et les Afghans, ces derniers ayant réellement le "lead" dans la planification comme dans la conduite des opérations (après une politique des petits pas dans les mois précédents pour atteindre ces capacités). De plus, l'annonce était attendue (avec impatience...) permettant une anticipation.
Une date plus importante sera le retrait (sans doute définitif) des forces militaires françaises de la province après l'été, fin octobre ou en novembre, sans doute. L'été étant une saison traditionnellement chaude, de combats, après la récolte du pavot (dont la culture s'amplifie sur la zone). Les forces afghanes gagnent donc un été avec la présence "rassurante et protectrice" des Français.
Quid de l'avenir ?
Du point de vue des Afghans, en particulier des populations afghanes, deux scénarios sont envisageables.
Le premier, le plus positif, serait un dégonflement des motivations profondes des combattants locaux avec le départ des "forces étrangères". Les traditionnelles vengeances, autres causes actuelles, seraient réduites elles aussi à un niveau nul. Un niveau "bas" d'insécurité (resterait de la délinquance) permettrait aux initiatives de développement de se multiplier (électrification des villages, gestion des karezs d'irrigation, culture et exportation de la grenade, des productions des vergers, etc.). Tout cela sous la haute vigilance des forces de sécurités afghanes : ANA (kandaks de la 3e brigade du 201e corps ayant une véritable capacité à manoeuvrer au niveau brigade), ALP (milices dans les villages formées par les militaires français, anciennes RMT pour Road maintenance teams), ANCOP (en particulier le long de la route MSR), ANP, etc. La bascule vers l'aide uniquement civile que la France semble vouloir mettre en place trouverait alors toute sa légitimité.
Le second serait la permanence de l'état d'insécurité entretenue par des facteurs externes ou internes. Des conflits locaux (en partie expliquées ici) pourraient perdurer (chacun souhaite trouver sa place dans la Kapisa du futur). L'avenir verrait la poursuite de la recomposition sociale et politique des vallées et des rivalités locales, via l'usage, entre autres, du conflit armé. La présence des forces armées afghanes ne seraient qu'une variable parmi d'autres et ne garantirait pas forcément la régulation de la violence. D'autre part, des facteurs externes, ou au moins, à une échelle moins micro (voir géopolitiques ?), pourraient donner à la Kapisa une importance renouvelée. Ses vallées allant d'Ouest en Est sont situées sur les routes de passage depuis le Pakistan, tandis que la grande couronne montagneuse de la capitale Kaboul passe par cette région. Si jamais, le futur politique de l'Afghanistan devait passer par une reconquête du coeur (construit) du pouvoir politique, la Kapisa pourrait, comme des années auparavant, être un lieu de conflits pour des groupes remettant en cause la souveraineté du successeur de Karzai. En partie, pour les groupes, les plus structurés, situés à l'Est et au Nord-Est de l'Afghanistan qui souhaiteraient s'émanciper de leurs zones traditionnelles.
Du point de vue des militaires français, et plus globalement de l'action de la coalition internationale, deux scénarios sont aussi possibles.
Le premier verrait la poursuite des efforts des forces de sécurité afghanes. Le travail patient des OMLT (dès 2006-2007), des METT, des différentes postures (mentoring, partenariat, binomage, conseil, etc.), des DLAS (détachement de liaison d'appui et de soutien) aurait porté ses fruits. Les forces afghanes ne sont pas encore (et ne seront sans doute jamais) au niveau des forces otanisées, mais, à leur manière, avec la touche afghane, réussissent à faire ce pour quoi elles ont été faites. La stratégie française mettant au coeur de l'action, plus tôt que les Américains, les forces afghanes serait donc un succès (non une victoire...). Des efforts de formation initiale jusqu'à l'accompagnement sur le terrain et la prise d'indépendance, le processus aurait été correct en termes de moyens, de temps et de méthode. En novembre, lorsque les forces françaises auront quitté les 3 dernières emprises (Nijrab, Tagab et Tora), les forces afghanes seront autonomes, au juste niveau en nombre et en qualité. Pas de défilé de la victoire, mais la satisfaction légitime du travail bien fait.
Le second, pour différentes raisons (un départ trop précipité des militaires français malgré les discours?), verrait l'arrivée d'éléments extérieurs pour remplacer le départ des forces françaises. Le Figaro a relevé l'hypothèse annonçant que l'ISAF était encore en cours de réflexion pour savoir si des unités de la coalition (sans doute américaines, car issues des unités actuellement présentes dans le Regional-Command East) devaient être déployées. Cela rappelle la menace d'helmandisation (en comparaison aux Britanniques relevés par des Marines dans le Helmand) proférée quelques mois plus tôt suite aux résultats jugés trop minces par le commandement américain. Des SFA Teams pourraient opérer ainsi que des éléments pour la protection de la PRT (Provincial Reconstruction Team) américaine opérant en Kapisa. Depuis quelques mois (d'abord dans le Nord de l'Afghanistan, avant une généralisation progressive), les brigades américaines ne sont plus déployées selon un format "combat" mais selon un format "advise and assist" avec des Security Force Assistance Teams (un peu l'équivalent des OMLT, ou ETT, pour Embedded Training Team). Un tel scénario serait une défaite militaire et politique pour la France...
En conclusion, beaucoup d'usage du conditionnel dans ces scénarios brossés à grands traits qui devraient être dans les faits plus combinatoires que strictement l'un ou l'autre, ou l'un après l'autre. Les semaines qui arrivent, en particulier une meilleure visibilité sur le dispositif français, devraient apporter des éléments afin d'affiner ces hypothèses. Mais, pause estivale oblige, la mise à jour ne sera pas tout de suite.
PS : à relever, l'effort de communication depuis quelques mois mettant dans des délais très courts l'action des forces françaises en exergue sur le site du Regional Command - East (au même niveau que celles des autres composantes de ce commandement régional)... Sur le plan symbolique, pour l'unité de l'action en coalition, ces signes ne sont pas négligeables.
PS 2 : à noter une analyse (en Anglais) sur les conséquences du retrait français par un auteur qui a côtoyé les militaires français en Afghanistan. Le constat qu'il dresse (comme figure extérieure) montre que certaines satisfactions peuvent être légitimes. A lire : "The French Withdrawal: Implications for Afghanistan and ISAF".
2 commentaires:
Merci d'avoir bien voulu considérer (enfin !) le retrait du "corps étranger" comme pouvant avoir des conséquences positives.
La présence française dans cette région n'a jamais servi à protéger "la population de Kaboul" mais la base militaire américaine de Bagram. Les talibans qui font la navette avec le Pakistan prennent la route comme tout le monde ou passent par le Logar. Il n'y a pas de cohortes de coolies vietminh dans la montagne afghane. L'ennemi ne vit pas dans des grottes mais dort chez lui à la maison.
Et bien tandis que le flambeau passe à l'ANSF et que le volume d'infiltrations en provenance du Nuristan et de Kunar repend les mêmes niveaux qu'avant le déploiement de nos troupes dans la province ; les mouvements de population augmentent de façon significative du fait de la pression accrue de l’insurrection et de ses "demandes" plus importantes de soutien (alimentation hébergement).
Donc quid de l’effet positif du retrait pas même encore achevé !
Enregistrer un commentaire