Suite d'une série en 5 volets sur l'innovation dans les armées, après les propos introductifs, la nécessité d'une politique ambitieuse d'expérimentations, et les évolutions possibles de la définition du besoin à la production. La première version a été plus que largement remaniée et augmentée, notamment suite à plusieurs échanges et commentaires.
Le rapport annexé publié en même temps que le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 revient sur quelques enjeux de la poursuite de la transformation du ministère des Armées, notamment dans l’approche capacitaire : "Cette réforme [ndlr : de la gestion des programmes d’équipements] concernera tous les stades du cycle de vie des équipements et impliquera l’ensemble des acteurs concernés (armées, DGA, industrie). Elle portera en particulier sur les champs fonctionnels suivants : la gouvernance et l’organisation, les méthodes, les normes, les processus qualité et les outils techniques mis en œuvre, les relations entre l’Etat et l’industrie, les financements et le partage des risques. Trois leviers clé de performance seront utilisés :
- Le travail collaboratif et le décloisonnement des acteurs (équipes et plateau projet) à tous les stades ;
- L’utilisation des outils numériques et notamment l’ingénierie systèmes, la simulation, le Big Data, l’intelligence artificielle ;
- Le renforcement des compétences.
Cette réforme des processus de conduite des projets tirera partie des meilleures pratiques appliquées dans le domaine civil et chez nos partenaires internationaux. Elle sera appliquée pour les programmes nouveaux lancés au cours de la période et, chaque fois que possible, sur des programmes d’ores et déjà engagés".
Simplifier la complexité des opérations d'armement - vecteur nautique d'infiltration du 13è régiment de Dragons parachutistes (RDP)
Force doit rester à la Loi… qui n’est par contre en rien figée
Au-delà du niveau de dépenses et de leur structuration, il s’agit également de trouver des marges d’agilité dans les processus qui conduisent à leur employabilité. Et cela, face à certains freins notamment législatifs. Du texte chapeau, l’instruction générale 125-1516 relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement de 2010, aux instructions de déclinaisons particulières (comité ministériel des investissements, comité de capacités, etc.). Le tome 1 de cette dite instruction donnant le cadre (principes, stades, attendus, jalons, etc.) et le tome 2, les plans types de documents livrables. Le processus d’une opération d’armement qui en découle peut sembler, à première vue, conduire à se prémunir avant des risques (financiers, techniques, retards, etc.), sans d’ailleurs réellement préciser les mesures à prendre en cas de survenance, que de répondre aux besoins opérationnels, dans les temps et dans les coûts.
Et ces marges sont à trouver tout au long des stades contractuels des opérations d’armement : initialisation, orientation, élaboration, réalisation, utilisation et retrait du service. Ou d’un point de vue plus industriel et utilisateur, tout au long d’un cycle de vie d’un équipement, à accélérer, et où différentes phases de succèdent (plus ou moins dans l’ordre) : spécification, acquisition, développement, production, entrée en service / intégration, exploitation, maintenance / maintien en condition opérationnelle, amélioration, retrait (avec ou non remplacement), fin de vie / démantèlement. Il ne s’agit pas de limiter l’effort sur la contraction des premières phases, la partie développement/entrée en service, mais de trouver des leviers d’action sur l’ensemble.
Ainsi, jusqu’à quel point, est-il possible de mener de manière concomitante ces différentes phrases ? Notamment, comment réduire la phase d’entrée en service (intégration, certification, mise au point de spécimens, etc.) ? Des équipements certifiés par des structures alliées, partenaires de confiance, doivent-ils être à nouveau certifiés par nos propres structures ? Cf. les délais de qualification du bras articulé SABIR d’emport externe d’une boule optronique sur C-130 (utilisé sur des appareils similaires aux Etats-Unis), ou certaines utilisations de minigun M134 sur différents porteurs (aériens ou terrestres). Certains matériels, notamment les petits équipements de cohérence, ne peuvent-ils pas être certifiés à l'usage, voir par d’autres utilisateurs ? Les retours des utilisateurs pouvant être partagés sur une plateforme numérique (servant également potentiellement aux acquisitions) pour en profiter au plus grand nombre. D’autant que certaines normes civiles, respectées par un ensemble d’équipements, étant aussi exigeantes que certaines normes militaires. Il s’agira alors d’atteindre un partage des risques utilisateur/producteur/autorité de certification différent de l’actuel, qui devra trouver une nouvelle déclinaison contractuelle dans les responsabilités partagées de l’autorité technique, qui définit et veille à la conformité de ces normes.
Quand l’évidence ne devrait plus être innovante…
Dans ces stades, il devrait n'y avoir rien d’innovant au fait que les utilisateurs finaux (les opérationnels) soient associés, dans des boucles rétroactives courtes et nombreuses, au développement d’équipements (cf. l’entrée en service rapide de l’embarcation Squale avec l’entreprise Ufast pour les forces spéciales - terre). Via, par exemple, des plateaux collaboratifs d’échanges et de veille, des solutions collaboratives 3D pour la conception assistée par ordinateur (CAO) et l’usage de la réalité virtuelle et/ou augmentée, des outils de simulation, etc. Plus ou moins liés, à certains niveaux très amont, au Centre d’analyse technico-opérationnelle de Défense (CATOD) de la DGA ou d’autres services, pour les analyses capacitaires, les mises en situation, les simulations, les expérimentations, etc. Cela passe aussi par le rapprochement (parfois physique) des différents centres d’expertise opérationnels et techniques, comme récemment entre le centre d’expertise des programmes navals de la Marine nationale (CEPN) qui a rejoint le site toulonnais de l’organisme DGA Techniques Navales. Cette meilleure coordination des relations entre armées et industriels via des plateaux est également, plus en aval, dans le recours aux guichets logistiques industriels sur les bases aéronautiques, navales ou terrestres, comme souhaité par le plan de modernisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique.
Des mouvements de desilotage organisationnel à poursuivre, avec de plus en plus de positionnements non strictement orthodoxes de certains acteurs, qui appuient, du fait de certaines de leurs compétences, plus qu'ils ne pilotent certains stades, malgré la légitimité juridique à le réclamer. Notamment lors que la connaissance fine de l’écosystème technique et industrielle par certaines unités opérationnelles permet de n’avoir besoin, pour parvenir à mener l’opération d’armement qui répond au besoin identifié, que de compétences bien précises (ingénierie contractuelle, analyse des coûts, etc.). Et non de celles d’expression des besoins, de cahier des charges fonctionnel, de spécifications techniques, de définition du soutien logistique, etc. Une approche par les compétences et les besoins, et non par les procédures.
Ce plus intense partage d’expériences entre industriels et opérationnels reste aujourd’hui parfois complexe à réaliser (en partie pour des questions de conflits d’intérêts et d’égalité de traitement : si je partage avec tel industriel, dois-je partager également avec untel ? etc.). Sans aller (ou pas, pour un certain nombre de cas d’ailleurs…) jusqu’à la logique du "nous partageons tout, sauf…", et cela à intervalles réguliers, il n’est pas impossible de privilégier l’opposé de la logique encore souvent d’actualité de l’application stricte du "besoin d’en connaître" (la nécessité d’en savoir), basé généralement sur nos propres présupposés.
Et cela parfois très en amont d’opérations d’armement, lors des premières phases d’orientation, et avec de possibles avantages, potentiellement à monnayer contre différentes formes de rétributions directes (notamment en cas de changement de statut de certaines structures) ou indirectes (prêts facilités pour des évaluations notamment via des Opérations d'Expérimentations Réactives (OER) décrites notamment sur le portail de l’armement IXARM, ressource didactique, réductions financières ci cela conduit à des lancements d’opérations d’armement, etc.). Comme cela peut être le cas, par exemple, de l’appui à la définition d’une future version "Forces Spéciales" de l’hélicoptère de manœuvre NH-90, où les futurs utilisateurs (le 4è régiment d’hélicoptères des forces spéciales) ont joué le jeu de prodiguer avis, conseils, demandes, etc. pour les spécificités nécessaires, les compromis à faire, les choix techniques, les systèmes préférentiels à intégrer en termes d’avionique, de communications, de capteurs, d’armement, d’aérocordage, de maintenance "au coin du bois", etc. Permettant de faire murir la solution, sans passage par des crédits d’études. Qui devraient être plutôt fournis par des utilisateurs export, ici l’Australie, illustrant l’équilibre parfois nécessaire entre commande nationale et contrats à l’export.
Des processus "normaux" eux aussi innovants
Ainsi, notamment pour réagir à la dissémination de technologies dites "nivelantes" des avantages comparatifs opérationnels actuels et gérer les rythmes des obsolescences, il s’agit, à court terme, de pouvoir développer, produire et intégrer plus rapidement les équipements. En intégrant la double contrainte des cycles d’acquisition : un besoin opérationnel évolutif et la prise en compte forte, en France, de l’entretien d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) (quasi) complète. Il s’agit alors de sortir des sentiers tracés, face à un adversaire qui n’a pas, pour un ensemble de raisons, les mêmes contraintes (et les mêmes règlements). Ainsi, des opérations d’armement (notamment transverses à plusieurs domaines) pourraient servir d’expérimentation de processus innovants. Que cela sous contrainte de temps, avoir l’ambition d’initialiser et réaliser une opération en moins d’un 1 an, entre la demande des propositions, les évaluations et la passation des contrats. De moyens avec des appels d’offres dès l’origine à prix bloqués (soutien compris sur X années). En privilégiant d’autres dispositifs de spécification détaillée et de qualification de certains matériels : besoin fonctionnel, certification et évaluation par les usagers, etc. Quelles réductions des délais dans les phases de réponse à appel d’offres ? Quelles modalités à réduire dans la forme de la réponse (nombre de documents à fournir, taille des dossiers techniques, etc.) ? Cf. le cas du défi de drones indoor avec le DGA Lab (12 pages maximum pour les attendus, une explication simultanée des attendus à 100 start-ups, qui ont ensuite créées 15 équipes, avec 3 mois maximum pour la phase de pré-évaluation, et une livraison attendue moins d’un an après le lancement).
Quelles sont les dérogations (et non le cadre général) au code des marchés publics (français et de la déclinaison au niveau européen) qui peuvent faciliter ce cycle de l’innovation ? Et qui doivent être déclinées pour être applicables par le plus grand nombre au sein des forces armées (et non un nombre restreint d’entités, notamment les services qui aujourd’hui servent de facilitateurs indirects de certaines acquisitions) ? Cette question est au moins autant technique que politique, dès lors que l’intérêt de la réponse aux besoins prime. Avec, par exemple, les cas d’exemption de l’article 346 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) pour exclure certaines commandes dès lors que les intérêts essentiels de sécurité sont à protéger (notamment en raison d’une urgence opérationnelle, comme décrite par l’instruction n°04-287 de 2004). Quel relèvement possible des montants des marchés pouvant être négociés sans publicité (pour des questions notamment de discrétion, ou des raisons technique d’adéquation aux besoins…) ni de mise en concurrence préalables ? Dès lors que la connaissance fine de l’écosystème des fournisseurs permet de répondre au but premier : la réponse au besoin. Quelles facilités permises pour de l’achat sur étagère ? Qui doit perdre sa connotation négative, auprès de certains donneurs d’ordres, afin notamment d’encourager au développement de produits sur fonds propres (certain étant des succès comme les canons Caesar). Quelle place plus largement pour les "urgences opérations" (achat complémentaire ou sur étagère d’équipements, amélioration d’équipements, ou accélération d’opérations d’armement) et leurs critères d’acceptation (urgence, imprévisibilité, événement indépendant de la personne publique, etc.) ? Quels jalons critiques à respecter sont à conserver ?
Autant de problématiques en cours de réflexion et parfois de mise en œuvre notamment via le plan de transformation, notamment, de la DGA (appelé hier "DGA 2025 - Anticipation immédiate", aujourd'hui intrégré au sein de "Action publique 2022", soit au moins 3 ans de mois), qui a lui aussi tendance à connaître une franche accélération suite à une impulsion politique, notamment dans la partie "ingénierie système" (vue comme très, trop ?, procédurière), la numérisation des processus, la simulation et la gestion de masses de données, afin de parvenir à des résultats effectifs (la réduction des coûts et des délais) plus rapidement (dès 2018) qu’annoncés auparavant. Encore faut-il qu'ici mais aussi ailleurs l'état d'esprit des hommes suive la transformation.
A suivre…
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