jeudi 24 mars 2011

Libye : la bicyclette n'avance plus

Mao (à moins que cela ne soit Che Guevara, Eddy Merckx ou Raymond Poulidor) comparait la révolution, à une bicyclette qui n'avançant plus, tomberait inexorablement. Difficile de ne pas reprendre ces analyses sans doute anachroniques pour commenter ce qui s'apparente à une situation où le kairos n'a pas été saisi, entre autres à cause d'une lenteur décisionnelle.

En effet, le dynamisme des mouvements anti-Khaddafi semble actuellement ralenti, malgré l'appui de l'aviation et des missiles mobilisés par la coalition. Des mouvements et non un mouvement tant l'assemblage est hétéroclite entre luttes tribales, engagement "démocratique", militantisme politique anti-régime, etc.

D'ailleurs, rien de comparable aux mouvements (autant hétéroclites) soutenus par une campagne aérienne en 2001/2002 en Afghanistan. Opération qui avait permis à des groupes de combattants vétérans (et c'est là une différence majeure avec le cas libyen) de chasser du devant de la scène le régime taliban.
Ainsi, si la puissance de feu a permis de maintenir en vie l'ébullition autrement condamnée à disparaitre sous les coups des troupes pro-clan-Khaddafi, elle n'a pas suffit à électriser les troupes de volontaires au sol. Ces derniers ne semblent pas repartir en avant avec une ligne de front (pour une fois assez clairement définie) qui stagne.

Si des villes ne se soulèvent pas, des unités ne font pas défection ou des succès au sol ne sont pas enregistrés, la dynamique est condamnée à filer sur son ère et à se stopper. Perdrons-nous la face à reconnaître cela rapidement ? Car n'oublions pas que la sous-traitance d'une partie des missions se fait des insurgés vers la coalition et non l'inverse.

NDLR : lire à ce sujet la tribune critique de Georges-Henri BRICET des VALLONS : Libye - La zone d'exclusion aérienne est une option tactique, mais où est l'horizon stratégique ? Et l'article d' Etienne de DURAND : Libye : "On s'engage et puis on voit".

4 commentaires:

Thibault Lamidel a dit…

Deux choses :
- la guérilla pour prendre le pouvoir doit passer par une guerre conventionnelle. Nous avons donc une guerre conventionnelle sous nos yeux.
- Un remake de la campagne de mai-juin 40 ? L'aviation allemande a été un des éléments de la victoire des forces allemandes en France car il y avait une exploitation terrestre. Hors, il y a une exploitation terrestre sans soutien aérien en Libye. Donc, quid de la puissance aérienne ? Elle n'est pas si déterminante que cela on dirait bien, il faudrait enterrer un stratège. Ou vingt.

Yannick Harrel a dit…

Bonjour,

Et si finalement cette situation de stagnation n'était pas dans l'intérêt de la rébellion qui se satisferait d'une zone indépendante de celle contrôlée par Khadafi? D'autant que fondamentalement c'est elle qui prend le plus de risques dans les opérations en cours, et comme ils ne sont pas tous (loin de là) des professionnels, nul doute qu'ils estiment peut-être avoir fait leur maximum et qu'au fond un partage du territoire serait une solution acceptable?

L'autre possibilité est que leur inertie soit un attentisme pour inciter les occidentaux à s'impliquer encore davantage dans le conflit. Ces derniers seraient alors coincés entre une volonté de ne pas se laisser embourber dans un conflit à l'issue difficilement prévisible et poussés par l'obligation de ne pas perdre la face devant la communauté internationale.

Cordialement

F. de St V. a dit…

@Thibault : la limite de la puissance aérienne est relativisée depuis pas mal de temps d'où le côté combinatoire (terre-air) qu'il faut réussir à mettre en place en Libye (réguliers en l'air et irréguliers au sol).

Pour juin 40, deux branches d'une même armée ne faisaient plus qu'un pour démultiplier la puissance appliquée, ici rien de comparable entre la coalition et les Libyens.

Et enfin, bien d'accord avec la relative régularisation nécessaire des irréguliers pour qu'ils puissent obtenir une avancée militaire et politique les menant au pouvoir (si c'est ce qu'ils recherchent).

@Yannick : en effet pour le point 1.

Olivier Kempf a mieux explicité que moi la partition notable du pays. D'où ma mise en avant de l'aspect protéiforme du magma insurrectionnel avec des revendications parfois locales (ou au mieux régionales).

Et pour le point 2, bien joué de noter la montée aux extrêmes dans laquelle nous sommes enfermés contre notre plein gré. Il serait aussi possible de faire appel au conflit limité (voulu actuellement) bien complexe à maintenir dans l'état.

JH a dit…

@Thibault. Il y a des forces terrestres, ce sont les insurgés. Le plan initial, c'était de les laisser progresser sous couvert de l'appui aérien (coumpounded warfare). Au surplus - et particulièrement en Afrique - ce sont les guérillas qui prennent généralement le pouvoir.

Sur la cinématique générale des opérations : idiotement, nous avons quitté la rationalité de conflit limité (soutien - victoire des insurgés - dégagement de la zone) qui demandait peu et rapportait beaucoup pour entrer dans une vision plus intégrale des choses - qui demande beaucoup et rapporte peu.

Le problème n'est pas la stratégie aérienne. Bien employée, elle fonctionne, particulièrement avec les instruments dont nous disposons. N'enterrez donc pas trop vite les stratèges de l'air sans avoir lu ce qu'ils ont écrit.

Mais comme toute autre forme de stratégie, elle nécessite du zweck et du ziel. Or, nous avons des objectifs dans la guerre ; mais pas véritablement d'objectif de la guerre. Ou, plutôt, nous avons voulu trop le raffiner...