Il y a 4 ans, l’accélérateur GENERATE de l’association professionnelle GICAT (Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) faisait ses grands débuts en public au sein de l’Eurosatory Lab, zone dédiée aux start-ups sur Eurosatory, le salon international de la Défense et de la Sécurité terrestres et aéroterrestres.
Des premières promotions de GENERATE, ils étaient encore quasiment tous là lors de l’édition 2022 qui vient de s’achever. Au milieu des quelques 100 startups, généralement duales, réunies sur ce même espace. Avec bien peu de cessations d’activités ou de pivotages vers d’autres secteurs dans l'intervalle. Le taux de pertes étant estimé à environ 2%, un taux considéré comme bas comparé à d’autres secteurs (qui sont entre 3 et 5%, ou plus).
Une DefTech de haute densité
Ces pépites de la DefTech française ont donc survécu aux différentes vagues pandémiques, aux vallées de la mort du développement de leurs produits, et à quelques autres embuches, notamment propres à des cycles de vente plutôt longs dans ce secteur si particulier. Tout en ayant assuré dans l’intervalle (notamment en 2018-2020), leurs premières levées de fonds, dites d’amorçage, avec des montants allant de 500.000€ à 1.500.000€. En attendant celles des membres des autres promotions de GENERATE, la 12ème promotion ayant été récemment intégrée, pour un total d’environ 80 startups couvées depuis 2017 (et 56 officiellement actuellement dans le programme d'accélération).
D’ores et déjà, certaines, plus rares, comme Preligens, ex-Earthcube, spécialiste dans l'analyse de données géospatiales assistée par intelligence artificielle, ont réalisé des tours de table plus conséquents, de plusieurs millions d’€. En plus de son outil Robin intégrant à ce jour 7 algorithmes de reconnaissance automatique (capables de détecter, classifier et identifier, avec des forts taux de succès validés lors d’appels d’offres auxquels ils ont participé, plus de 90 types d’appareils, certaines batteries anti-aériennes - et bientôt d’autres moins répandues, des navires – ainsi que leur état : à quai, sur docks, etc.), a lancé son outil Zebra de baptême terrain automatique, appui précieux notamment pour l’Etablissement Géographique Interarmées (EGI), pour identifier et donner un nom aux routes et bâtiments en quelques minutes, et ainsi faciliter les opérations.
Clore cette phase de levée de fonds d’amorçage ne fût généralement pas un long fleuve tranquille, avec un processus long (généralement bien plus d’une année), chronophage (des dizaines de pitchs pour évangéliser dans des univers financiers souvent non acculturés au milieu de la défense et de la sécurité), frustrant (avec plus d’un refus dans les dernières lignes droites pour des questions de compliance), etc. Conduisant à mettre parfois grandement en péril le fragile édifice d'innovation construit, qui malgré tout se révéla plutôt résilient. Tout en prenant pas forcément l'envol qui aura été possible avec quelques coups de pouce.
Ces startups ne présentent plus aujourd’hui des preuves de la faisabilité (type proof of concept - PoC) de leur géniale idée, ni même un démonstrateur, mais bien un produit. Généralement vendu, et à ce jour déployé, employé, et torturé, par les forces armées, en France notamment mais pas seulement. Un passage de l’idée au produit aidé par cette première levée de fonds. Ainsi, les bilans financiers sont positifs, plusieurs années de suite, pour l’immense majorité d’entre elles, le cash arrête d’être brulé, et le chiffre d’affaires croit année après année. Tout en jonglant, pour leur développement, avec cette notion, bien peu perceptible, de la souveraineté, à la définition variable (un coup de manière restreinte, un coup de manière extensible), bouclier pas toujours robuste face à des appels du pied toujours plus incessants en provenance de l’étranger qu'il faut avoir le courage de parfois refuser.
Sans le faire de manière exhaustive, il est possible de citer le cas de Diodon Drone qui produit des drones maritimes gonflables et étanches, pouvant amerrir et décoller depuis la mer (ou en étant lancés depuis des sous-marins). Numalis avec ses solutions de corrections automatiques de calculs pour les secteurs d’activité où la fiabilité et la précision sont des enjeux majeurs : défense, aéronautique, spatial… Elika Team et sa méthode linguistique spécifiquement adaptée aux contraintes opérationnelles. Cerbair pour ses solutions de lutte anti drones notamment basées sur la détection, l’interception et la localisation des fréquences. Vistory pour accompagner et sécuriser le processus de l’impression 3D via une blockhain de confiance. Et bien d'autres.
Être à jamais les pionniers ?
Il s’agit maintenant pour plusieurs d’entre elles d’assurer la prochaine levée de fonds, pour se garantir des effets de leviers importants afin d’accompagner un passage à l’échelle encore plus important. Un passage attendu généralement par les utilisateurs convaincus des premières versions qu’ils ont eues entre les mains. Or les entités ayant consisté le premier tour de table, souvent finalisé au forceps (avec des investisseurs unipersonnels, business angels, apports de love money, etc.), n’ont pas forcément vocation à remettre au pot commun dans la nouvelle phase qui s’ouvre.
Notons que depuis 2018, des outils se sont néanmoins structurés pour renforcer et soutenir le développement des startups et PME d’intérêt pour la défense, avec des fonds institutionnels comme Definvest et le Fonds Innovation Défense (en série B et plus), un guichet unique de l’Agence de l’innovation de défense (AID) pour que les startups ne soient plus perdues au sein des PME-ETI, traitées jusqu’alors de manière comparable par les autorités françaises bien qu’ayant leurs propres problématiques, etc.
Mais aussi des initiatives privées comme Defense Angels, réseau thématique de business angels pour les entreprises dont l’activité est liée aux technologies ou aux secteurs économiques pouvant être considérés comme stratégiques, en particulier ceux de la défense nationale et de la sécurité des personnes et des biens. Pour ce réseau lancé en 2021, une première prise de participation pourrait être annoncée dans les prochaines semaines suite à l’instruction des premiers dossiers (avec plus de 50 startups s'étant montrées intéressées), avant un nouveau round d’auditions prévu pour septembre. Des premières prises de participation, via une société d'investissements de business angels - SIBA (avec de l'investissement privé et des acteurs en soutien type family offices, etc., qui doivent permettre à terme de prouver aux autres business angels qu’il y a un réel intérêt à investir dans le secteur. Tout en mobilisant les autres acteurs en position de suiveurs (banques, fonds corporate (sujet à encore travailler pour plusieurs industriels), BpiFrance, etc.). Et en investissant même à des phases de 0€ de CA (avec des time-to-market par contre courts). L'ambition est d'investir dans 5 à 10 sociétés par an, via des tickets de 1 millions d'€ maximum environ.
Au final, si la phase d’amorçage commence à être relativement couverte, un fossé à combler demeure vers les levées de type série A et plus, avec des tickets entre 3 et plus de 10 millions d’€. Soit un véritable challenge à relever pour les pionniers de l’amorçage qui se retrouvent encore une fois pionniers dans la phase suivante. Il s’agit donc d’être bien conscient d’un certain trou dans la raquette, alors que le FID agit sur des stades plutôt avancés, tout en ayant surtout vocation à s’associer et venir combler les trous, qu’à être naturellement le leader. Avec, de surcroît, tout un environnement à construire, la DefTech française ne bénéficiant pas, contrairement à d’autres secteurs, de critères encore bien déterminés sur lesquels s’appuyer pour prendre des décisions d’investissement, allant au-delà du "coup de cœur" ou de l’intuition.
Combler les trous pour permettre l'envol
Ainsi, différents points de vigilance sont émis par un certain nombre d’entre eux, afin de permettre l’explosion de la DefTech française, sans mauvais jeu de mot.
Tout d’abord, la nécessité d'un nécessaire soutien étatique qui doit être amplifié, notamment par les outils dédiés qui doivent prendre tout leur rôle (en étant dimensionnés pour). Car s’ils n’ont pas vocation à prendre par principe forcément une place de "leader", ils doivent accompagner les mouvements de levées de fonds et assurer le rôle de partenaire de confiance pour que les acteurs tiers soient rassurés par le positionnement sans ambiguïté du fonds thématique de référence dans le secteur, vers lequel ils se tournent naturellement "pour avis". Les tiers ne comprennent et ne comprendraient pas la frilosité de l’acteur de référence, et ne sont donc pas incités à être réellement des capital-risqueurs si ce dernier ne se positionne pas.
A la question de confiance, s'ajoute une question de tempo, les dealflows en série A (et suivantes) doivent être d’un certain volume, et non anecdotiques, pour garantir un réel dynamisme dans les cycles d’investissement, et pouvoir suivre le tempo des cycles de développement et de production. Il s’agit de pouvoir livrer, livrer vite (et continuer à livrer français). Donc la temporalité est un vrai sujet d’attention, car il faut souvent prendre maintenant la place vacante sur le marché. Si il s’agit de repartir sur un cycle d’une année ou plus pour conclure la levée de fonds, de l'énergie est perdue. Malgré les références acquises. Or ces acteurs ont pour n'ombre d'entre eux un potentiel pour être leader sur leur segment de marché, si ce n’est pas à l’échelle mondiale, surement à l’échelle européenne. De quoi se monter plutôt confiant pour une possible hyper-croissance, à la fois atteignable, mais surtout nécessaire pour maintenir l’avantage technologique.
Enfin, en plus de la confiance et du tempo, il y a aussi une question de volume. Avec des tickets pertinents plus conséquents, pouvant rapidement atteindre 5 à 10M€. Notamment pour répondre aux besoins des forces et passer à l’échelle non plus dans son coin, mais généralement avec les industriels. Aujourd’hui, les acteurs concernés ne sont plus à la version 1 ou en phase de prototypage. Ils ont bien des produits matures, voire plusieurs. Ils remportant des contrats qui génèrent du chiffre d'affaires (ce qui est regardé par un investisseur), et ne vivent pas que de subventions ("indirectes" ou non, via la participation à des programmes de recherche et les dispositifs type ASTRID ou RAPID, par exemple), réussissant à s’insérer dans les programmes d’armement (le budget étatique étant le véritable budget de développement qui mérite d'être soutenu), en direct ou en sous-traitance auprès des grands donneurs d’ordres.
Des initiatives, encore rares, sont lancées, comme l'annonce d'une nouvelle flèche à l'arc de Defense Angels, avec le lancement à venir de FAST pour poursuivre en série A d'ici à la fin de l'année le soutien après la phase d'amorçage, éventuellement dans un temps plus long pour gérer de manière souple différente maturité technologique et différente maturité entrepreneuriale. Afin de combler la chaîne de financement avec des tickets pouvant aller de 5 à 20 millions d'€.
Il s’agit donc bien au final pour la DefTech d’avoir les outils d'accompagnement sur tout le cycle de vie du développement des acteurs, avec l'environnement permettant la prise de risque mesurée, avoir la confiance des acteurs, le calendrier et le volume. Et permettre un effet d'entraînement dans la Défense, ce "cas d'usage" exigeant qui a une tendance intrinsèque à pousser au maximum les exigences des produits (comparativement à d'autres) et qui conduit donc à des temporalités d'investissement peu comparables.
1 commentaire:
Il y a les difficultés pour trouver un investisseur avd des banques frileuses, mais aussi le dumping du fait de la libre circulation des marchandises:
https://www.gazetteoise.fr/article/phoenix-equipement-la-start-up-isarienne-dans-la-defense-qui-promeut-le-made-in-france
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