dimanche 27 mai 2012

L'entente franco-américaine à l'heure du retrait en Afghanistan

Pour le Bulletin de l'Amérique, j'ai répondu à quelques questions sur les relations franco-américaines suite aux récentes annonces faites au sujet de l'Afghanistan par le président français. 

- François Hollande avait annoncé un départ anticipé d'Afghanistan, avant la fin de l’année 2012. Cela ne sera pas tout à fait le cas. Est-ce une erreur ? 

Vouloir est une chose, pouvoir en est une autre et le faire convenablement encore une autre. Le 59ème engagement présenté le 26 janvier par le candidat Hollande indiquait « J’engagerai un retrait immédiat de nos troupes d’Afghanistan : il n’y aura plus de troupes françaises dans ce pays à la fin de l’année 2012 ». Lors de son discours sur la défense nationale le 11 mars, il indiquait « Nous accélérons dans les meilleures conditions de sécurité le retrait de nos forces combattantes pour que, fin 2012, nos soldats soient rentrés ». Beau "principe de réalité" qui extrait du rêve (jubilatoire chez Freud...) des annonces de campagne pour rappeler l’existence d’une réalité généralement moins rose. De manière plus pragmatique, le glissement sémantique était en partie construit par les avis des militaires français qui remontaient alors à l’équipe de campagne, réactions soulignant l’impossibilité matérielle, militaire et diplomatique de respecter de tels engagements. Il est possible de critiquer l’approche choisie par les dirigeants socialistes sur les questions de Défense, par contre, il est, à mon avis, difficile de nier leur « connaissance des dossiers » et leur maîtrise de bons réseaux au sein de l’appareil de Défense.


Le sommet de l’OTAN à Chicago le 20 et 21 mai puis la récente visite du président Hollande en Afghanistan permettaient de confirmer les bruits de couloirs. Les « forces combattantes », malheureux euphémisme utilisé déjà par le ministre de la Défense Hervé Morin en janvier 2010 et repris depuis, quitteront l’Afghanistan d’ici fin 2012, aidées en cela par le transfert de la sécurité en Kapisa (et d’une partie de la formation) aux forces afghanes. Cela se fera sans toutes les armes ni tous les bagages, ces derniers devraient être rapatriés progressivement via les rares portes de sortie terrestres, aériennes et peut-être ferroviaires de ce pays enclavé. Des personnels de la Logistique pour mener les convois et gérer les envois, du Génie pour ouvrir et sécuriser les itinéraires, des "Appuis" (Artillerie, Cavalerie) pour les protéger devraient donc rester jusqu’à courant 2013. Rien ne dit d’ailleurs que ces unités n’aient pas à mener des actions de feu, malgré leur dénomination de « non-combattantes »… Enfin, restera au moins jusqu’en 2014 un hôpital militaire de haut niveau à Kaboul, un bataillon réduit d’hélicoptères (en particulier pour le transport) et des formateurs (insérés dans différents dispositifs ou au sein d’écoles afghanes comme l’Armor Branch School ou le Command and Staff College). 

Par rapport à la position défendue par le président sortant, une différence existe puisque Nicolas Sarkozy souhaitait un départ plus progressif (seulement 1.000 hommes en 2012 et non 2.000). Cette annonce avait déjà été accélérée en réaction (était-ce sage ?) à la mort de 4 militaires français (un cinquième succombera en mars de ses blessures) le 20 janvier 2012. Est-ce que cette différence de 1.000 hommes est une réelle différence et a une réelle incidence ? Sur les quelques 130.000 personnels de l’ISAF en Afghanistan, est-ce que cela représente une part réellement significative ? Sans doute non, bien que laisser durant l’été, pour passer cette délicate saison de combats, un maximum de forces françaises en appui des forces afghanes aurait apporté plus de garanties à la transition en cours. 

Une vraie continuité avec la présidence précédente existe dans la difficulté, voire l’incapacité, à gérer les annonces d’un conflit voulu (et mené) « à bas bruit ». Or, dès qu’il en est fait mention, cela est dans le champ des perceptions négatives… Ces messages sont à destination à la fois des militaires eux-mêmes qui ont donc eu droit à cette récente tournée des popotes, des citoyens français qui demandent majoritairement un retrait le plus rapide possible, des partenaires internationaux qui ont, via de délicates pressions, reçu des gages à Chicago (qu’Hollande était prêt à leur concéder). Alors, est-ce une erreur ? Sans doute pas dans le fond, et c’est le plus important, mais des erreurs, il y en a et aura peut-être dans la forme. 

- Dans un article récent, le colonel Goya, directeur d'études à l'IRSEM, évoquait les risques de voir la France être à l'origine d'un retrait généralisé. Partagez-vous cette analyse ? Les États-Unis nous le reprochent-ils ? 

Objectivement, « Partir sans s’enfuir » est le vrai défi pour quasiment toutes les nations présentes en Afghanistan. Tout est question de calendrier, de manière, etc. Ainsi, si certains répondront que le Canada et les Pays-Bas l’ont bien fait avant la France en 2010 et 2011, il faut néanmoins rappeler qu’il reste à ce jour en Afghanistan encore 950 militaires canadiens et plus de 500 militaires hollandais. Ce sont des contributions importantes en formateurs : la France en fera-t-elle autant, avec un effort stratégique significatif pour, enfin, un retour sur investissement ? Rien n’est moins sûr… 

Ainsi, donnant du grain à moudre pour le traditionnel French Bashing sur les « exploits » militaires français, la France prendra-t-elle le lead d’une coalition de fuyards trop contents de trouver, en la France, une solide caution ? À mon avis, non. En effet, ces nations contributrices sont aussi contraintes que nous par des engagements et des intérêts. Elles sont face à des choix aussi complexes que les nôtres : peser le pour et le contre, le poids des opinions, la dette morale suite à l’engagement de certains, la place des questions de politique interne, etc. Ainsi, si les choses venaient à évoluer, il ne s’agira sans doute pas d’une course à celui qui sortira le premier. Tous les départs progressifs devront juste être faits avec la manière. L’ISAF, force militaire sous commandement de l’OTAN et sous mandat ONU, est elle-même bien appelée à rentrer dans l’Histoire en 2014. Si le gouvernement afghan (élu en 2014 ou peut-être en 2013) le demande, elle cédera sa place à une mission différente, axée sur la coopération et l’assistance. 

Donc, oui, la France pourrait être désigné comme un bouc émissaire, mais il est aussi possible que les faits lui donnent d’une certaine façon raison en étant finalement plus raisonnable que la moyenne (attendons néanmoins le rude été pour valider l’hypothèse). 

- Les relations franco-américaines vont-elles en pâtir ? 

À mon sens, l’Afghanistan n’étant plus le centre d’intérêt numéro 1 des stratèges militaires américains. Ils sont plus portés, par exemple, sur la zone Pacifique ou sur la compensation des effets de la crise économique. Il faut en finir, le mieux possible, avec l’Afghanistan. Les décisions françaises ne s’apparentent pas en conséquence à un casus belli diplomatique sur un sujet d’importance. 



D’ailleurs, y a-t-il des raisons d’en avoir un ? Pour la France comme pour les États-Unis la face du pas de deux à Chicago est à peu près sauvée. Le président français a pris en compte les récriminations américaines très officiellement et aussi très publiquement énoncées. Les positions américaines et françaises étant finalement assez compréhensives des besoins de chacun. N’est-ce pas le propre d’un allié, peut-être pas docile mais pas totalement obtus ? Dans le futur, François Hollande est sur bien d’autres sujets de politique internationale (en particulier la gouvernance économique mondiale) plus attendu au tournant par les Américains. 

De plus, malgré des défauts propres à la France, les États-Unis auraient plutôt tout à gagner à analyser lucidement ce test grandeur nature (pari de mettre en avant les forces de sécurité afghanes dans la province stratégique qu’est la Kapisa couplé avec ce retrait). Ils pourraient du même coup s’inspirer de la posture française qui, avec de l’avance sur les militaires américains, a depuis des mois glissée (il est vrai, en partie avec une accélération du fait des événements) d’une posture de combat à une posture de conseil et d’assistance. Autant de raisons pour lesquelles les relations franco-américaines, au moins dans le domaine militaire, pourraient se renforcer plutôt que se distendre.

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