J’adore ces débats qui éclosent et qui rebondissent sur la blogosphère stratégique française. Dans la continuité de premières interrogations, JGP pose plusieurs questions qui méritent plus qu’un commentaire. Ainsi, je propose ici quelques pistes non exhaustives.
- "90% d'une COIN sont politiques, sociaux, économiques et idéologiques, et seulement 10% sont militaires". Alors comment se fait-il que l'écrasante majorité de ceux qui écrivent sur le sujet appartiennent au "monde militaire" ?
En bafouillant quelques propos sur le sujet, je ne déroge pas à la règle en étant moi-même issu de ce milieu. Je ne peux que me désoler de cette observation mais les regrets ne suffisent pas à faire avancer le schmilblick.
Une des raisons me semble être que la première demande des populations auprès desquelles les contre-insurgés interviennent est toujours la sécurité physique (rationnellement, la vie est un bien précieux). Dans une vision très limitée de la sécurité, qui est au moins autant un sentiment qu’un état de fait, les principaux fournisseurs qui répondent à ce besoin sont les forces militaires. Même si les faits démontrent que la présence du contre-insurgé favorise parfois le maintien de l’insécurité qu’il est censé combattre.
Si cette demande prioritaire explique peut être cette focalisation, il me semble aussi que la culture stratégique et les conditions historiques d’appropriation progressive par les militaires de ce sujet ne sont pas étrangères à cet état de fait. Sous la pression du temps politique, humanitaire, médiatique, les décideurs se tournent plus facilement vers ceux qui l’ont déjà fait, même si ce fût parfois des échecs. Rétrospectivement, la COIN devient une bonne vitrine pour les militaires afin de démontrer la pertinence de leur maintien et de leur utilité.
Ensuite sur le plan de la recherche, les sujets militaires sont vus avec condescendance (les terribles « nazis » de l’étude du fait militaire) en particulier dans le domaine des sciences politiques. En France et dans une moindre mesure à l’étranger. Ces matières sont plus concernées par les débats sur l’intellectualisation du sort de l’UE, le devenir des minorités et autres sujets moins en accord avec la COIN. Néanmoins, la COIN est aussi pensée à la marge à travers l’étude des processus DDR, du SSR, « state-building », « nation-building » et autres concepts plus sciences po.
Finalement, les militaires rouspètent en sortant le mantra : « c’est pas un problème militaire, c’est un problème politique ». Mais le politique ne semble pas avoir le loisir de penser à ce lourd dossier transmis par les militaires, qui s’en occupaient depuis si longtemps.
- Ne pas faire ce genre de distinction (COIN hors du territoire national ou sur le territoire) n'entraîne-t-il pas par ricochet une vision de la COIN très néocoloniale, étant menée par des forces occidentales sur des territoires africains ou asiatiques ?
Nous sommes au cœur d’un débat sémantique dont il est difficile de sortir avec, il me semble, une vision très manichéenne du bien et du mal au sujet du fait colonial. Là encore, l’Histoire nous joue des pièges.
L’exemple de la reconquête de son territoire par la Colombie est un exemple particulièrement intéressant à mettre en perspective avec les redondances parfois mal appropriées : Algérie, Indochine, Malaisie, Vietnam, etc.
- Différentes approches sont mises en œuvre par les officiers français sur le terrain afghan. Pourquoi celles-ci ne reçoivent pas plus d'attention de la part de nos médias. Est-ce dû au fait qu'il s'agit là de sujets trop techniques et complexes pour le grand public ? Et plus largement, comment s'inscrivent-elles dans la COIN que pratiquent les Américains ? Peut-on parler de COIN à la française ? Voire carrément de COIN française ? Influent-elles sur les réflexions des grands noms tels que Nagl, Kilcullen ou Petraeus ?
J’avais déjà répondu à la fin d’article d’AGS sur le désintérêt vis à vis d’un sujet trop pointu, peu vendable. Je rajouterais quelques points.
On pourrait aussi citer la stratégie du maillage particulièrement fin du territoire à travers les FOB, COP et autres redoutes. Les officiers français mettent en place ces approches, qui sont combinatoires plus que différentes, sur une des plus petites provinces d’Afghanistan (si ce n’est la plus petite) : la Kapisa. Nous avons un tropisme franco-français sur la question qui fait croire à sa grande importance, mais cela reste très modeste.
Néanmoins, c’est toujours avec intérêt que les grands chefs militaires alliés viennent sur la zone de responsabilité française : McChrystal est passé deux fois en quelques semaines, Petraeus le fait, Kilcullen s’est rendu sur place, etc. Néanmoins, il est difficile de sortir des clés d’une situation concentrée en un lien restreint. En gros, les Américains nous laissent faire notre tambouille dans notre coin, mais ne prendront pas le risque de copier à grande échelle un modèle qui marche sur un petit espace. D'ailleurs pas sur que cela fonctionne hors de Kapisa.
De plus, le fait que les militaires français aient aussi du mal à faire de l’influence/communication explique aussi peut être cela. Le faire bien, bien le faire savoir et avoir le droit de le faire savoir…
PS: je signale d'ailleurs la mise en ligne aujourd'hui de la doctrine française interarmées "Contre-Inssurection". La lecture et les remarques viendront par la suite...
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