mardi 30 décembre 2008

Deux nouvelles pour terminer une fin d'année agitée (+MAJ).


Sans oublier les répercussions de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza au Proche et Moyen-Orient (cf. article complémentaire d’Olivier Kempf), les affaires se poursuivent dans le reste du monde. Ainsi pour effectuer le service après-vente de récents billets, deux brèves AFP ont attiré mon attention.

Tout d’abord, une première annonçant que :

« Le géant russe du gaz Gazprom a indiqué aujourd'hui avoir mis en place une cellule spéciale chargée de couper les livraisons gazières à l'Ukraine le 1er janvier, si Kiev ne rembourse pas d'ici là plus de deux milliards de dollars de dettes […] pour les livraisons gazières de novembre et décembre ainsi que pour des amendes pour ses retards de paiements. »

Ainsi la Russie va pouvoir encore se rappeler aux bons souvenirs des Européens. Même si c’est à prendre avec des pincettes et des « si », la fréquence de l’utilisation de la coercition par la Russie est en cycle court (une à deux fois par an minimum depuis deux à trois ans). Les Russes ont les cartes en main car sans le passage par l’Ukraine (de mémoire 80% du gaz russe à destination de l’Europe y passe), l’Europe occidentale a froid (la fraiche météo actuelle serait-elle orchestrée par le Kremlin ? Mystère !). L’Ukraine sera alors la cible de pressions russes et européennes pour rétablir au plus vite une situation normale. On verra sans doute qu’en deux ans, pas grand-chose n’a été fait pour éviter une russo-dépendance énergétique par la recherche d’autres approvisionnements. Avec des données similaires à la crise de janvier 2006, l’affaire géorgienne va-t-elle avoir des répercussions (en particulier dans les mémoires) sur le déroulement de ce bras de fer ?

On apprenait que l'Ukraine avait payé en partie ses dettes. Un peu de persuasion et de pression, on donc était nécessaire: un coup de fusil en l'air a peut être suffit pour disperser les trublions à l'ordre russe. Pas de remake de 2006: une leçon comprise et apprise ? Affaire à suivre.

Ensuite la deuxième dépêche annonce laconiquement que :

« Le Pakistan a fermé la route d'approvisionnement des forces de l'Otan et de l'armée américaine en Afghanistan alors que l'armée pakistanaise a lancé une vaste opération contre les insurgés dans le nord-ouest du pays. »

On parle régulièrement de la nécessité de couper les approvisionnements d’une insurrection « pakistano-afghane » avec une utopique ligne Morice que l’on transpose du plat désert algérien aux montagnes escarpées de l’Afghanistan. Mais on parle beaucoup moins de la nécessité d’une contre-insurrection d'assurer son approvisionnement (hommes, matériels, ravitaillement et munitions). Les attaques à répétition des faibles convois de la Coalition au Pakistan avaient déjà été des alertes le mois dernier. Mais alors si même ceux que l’on considère comme des alliés (ou presque) si mettent… Les règles deviennent caduques. Cela s’additionne aux transferts de troupes Ouest-Est vers l’Inde. Même si l’excuse pakistanaise est d’avoir les mains libres dans les zones frontalières pour lancer de grandes offensives en libérant des effectifs normalement d’astreinte pour la protection de cet unique axe de pénétration. Enfin pour faire un lien avec la première dépêche, la Russie pourrait encore plus devenir un partenaire essentiel pour la sécurité de ces approvisionnements par ses droits de regard sur toutes les républiques qui se terminent en « -stan » du Nord et de l’Ouest de l’Afghanistan. En effet certains de ces pays frontaliers sont sous domination de Moscou ou sont au centre d’un jeu avec d’autres puissances : discuter d’installation de bases de transit sera alors indispensable. Bonne et studieuse année au général Petraeus !

Si la Russie est aujourd’hui une puissance relative, elle est au centre, sans forcément le rechercher, de nombreux enjeux actuels.

dimanche 28 décembre 2008

Ira ou ira pas ? Ca ira ou ca ira pas ? (+MAJ)


On attendait dans les jours à venir l’annonce officielle stipulant le lieu où seraient prononcés les vœux présidentiels aux armées. Cela devait avoir lieu parmi les forces déployées sur l’un des théâtres d’opérations. L’annonce de la visite du président français au président libanais Michel Sleiman prévue pour le 6 janvier et quelques indiscrétions dans la presse étaient des arguments favorables au choix de la FINUL comme auditoire de ce moment. À l’heure actuelle, ce déplacement pourrait donner trop de sueurs froides aux responsables du SPHP (Service de Protection des Hautes Personnalités), du GIGN et des unités en charge de la sécurité du voyage présidentiel. Le trajet aux abords de la Blue Line ne semble plus d’être d’actualité, quand au voyage au Liban d’une manière générale, les jours futurs décideront de son maintien ou non. La Côte d’ivoire serait sans doute un théâtre plus paisible. Voilà pour le futile.

Après pour le reste, la situation du proche Orient évolue d’heure en heure et avec pragmatisme, l’optimisme d’un apaisement proche peut être rangé au placard.

Le guide suprême de la Révolution iranienne, l’ayatollah Khamenei, moins réputé pour ses déclarations publiques fracassantes que le détonnant président Mahmoud Ahmadinejad, annonce que : "Le régime sioniste doit être puni par les pays musulmans et les dirigeants de ce régime usurpateur doivent être jugés et punis personnellement pour ces crimes et le long blocus contre Gaza". Des proches d’Hassan Nasrallah ou le secrétaire général de Hezbollah lui-même adressent des prêches virulents à ses troupes (ainsi qu’à la branche « jeunes » très instable). Ils poussent les Égyptiens au soulèvement pour forcer le terminal de Rafah à la frontière palestino-égyptienne. Il ne manquerait plus au tableau que les Frères Musulmans égyptiens (plutôt wahhabites) s’entendent au nom d’un intérêt stratégique avec les chiites libanais du Hezbollah. Le soutien réciproque entre ces deux mouvements, seulement entraperçu durant la guerre du Liban en 2006, pourrait à nouveau avoir lieu. Il faudrait, il est vrai, que les Frères Musulmans deviennent des agitateurs alors qu'ils sont plus connus pour œuvrer dans le social. Les mouvements opportunistes pourraient profiter du remue-ménage aux frontières. Quelle belle tenaille géographique pour Israël ! Qui sans forcément aller jusqu’à l’affrontement armé ferait planer une sérieuse menace. La « cause palestinienne » peut être une idée fédératrice et symbolique assez répandue dans la communauté musulmane.

Pour les bérets bleus onusien (maintenant le casque doit être de rigueur) la situation ne change pas vraiment. La FINUL II, comme toutes forces d’interposition qui se respectent, se trouve potentiellement entre deux feux. Et sans illusion, les quelques postes antiaériens Mistral, les radars de contre-batteries, les quelques imposants AUF-1 et la douzaine de chars Leclerc peinturlurés de blancs du contingent français pèseront peu dans la balance. Comme régulièrement, l’aviation israélienne survole le Liban. Cette nuit, cinq avions auraient franchis la frontière pour faire de la reconnaissance au sud Liban et au dessus de la ville de Tyr. S’ils ont été illuminés par les systèmes de défense de la FINUL, cela montre déjà un certain courage comme avertissement. Mais est-ce que cela peut aller plus loin ? La légitime de défense sera certainement la seule règle politique d’emploi de ces armes. Et à côté, tout prêt, le Hezbollah, réarme. Tant qu’il se cantonne à une défense passive !

Ce n’est donc pas une nouveauté, cycliquement, la situation dégénère. Le temps d’effectuer un RETEX efficace, de boucler un cycle d’entrainement, de remplacer les cadres déficients et de compléter les stocks d’armes grâce à l’aide extérieure (USA pour les uns, Iran pour d’autres), un nouveau plan est mis à exécution. La trêve signée permet de reprendre des forces dans une plus ou moins grande quiétude. Au quart de tour (une à deux semaines), c’est l’ascension aux extrêmes. Des opérations de déception permettent avec succès de cacher les préparatifs. Pour les armées israéliennes, malgré les résultats positifs obtenus sur les 230 cibles visées, l’illusion d’une campagne uniquement aérienne risque de ne pas être crédible longtemps. Le RETEX de 2006 a sans doute sonné le glas de la frappe aérienne à outrance dans la culture militaire. Quelle envergure alors pour l’offensive terrestre ? Raids légers commandos, pénétration de quelques kilomètres dans la bande de Gaza, colonnes blindées en profondeur ? Ce matin, le ministre israélien de la Défense Ehud Barak parle de « possibilité » d'une offensive terrestre. Ce soir, suite à l’appel de 6.500 réservistes et aux concentrations de chars et de transports de troupes aux abords de la bande de Gaza, les déclarations sont moins évasives.

L’opération au doux nom de « Plomb durci » est bien la manifestation d’un cercle vicieux régional entre riposte et parade, réaction pour exister ou pour vivre, roquettes contre bombes guidées, etc. C’est à en oublier qui a commencé le premier, le cycle infernal se poursuit. Les pertes civiles dans un camp comme dans l’autre entretiennent une idéologie de la résistance où ne rien faire c’est disparaitre. La grande inconnue est donc de savoir jusqu’où iront les actions des protagonistes après les appels au calme ou à la violence de chacuns.

vendredi 26 décembre 2008

Clausewitz en Inde et au Pakistan.


Aujourd’hui, plusieurs dépêches de presse ont attiré simultanément l’attention sur le raidissement des rapports entre l’Inde et le Pakistan. Il est fait écho de mouvements de milliers de soldats entre la frontière Ouest et la frontière Est du Pakistan. C’est le rappel des permissionnaires et la suspension de toutes permissions au Pakistan. Ou encore c’est la réunion de l’état-major des trois armées indiennes (Air, Terre, Mer) convoquée par le Premier Ministre Manmohan Singh. Autant de signes qui peuvent faire penser à une nette montée aux extrêmes d’essence clausewitzienne entre les deux camps.

D’autant plus que les « mobiles d’affrontement » entre les deux pays sont nombreux : les tensions latentes nées de la séparation entre une région à majorité musulmane et une région à majorité hindouiste à l’indépendance des ex-Indes britanniques, le contentieux frontalier portant sur la région montagneuse du Cachemire qui entraine une situation de conflit permanent et larvé et enfin, plus récemment, les déclarations de New Delhi accusant un groupe terroriste et séparatiste Lashkar-e-Taïba, réfugié au Pakistan d’être le responsable présumé de la vague d’attentats et des prises d’otages, fin Novembre à Mumbai. Ce « 11 septembre indien » avait causé la mort de 172 personnes selon le dernier bilan. Alors même qu’au même moment, la police indienne était fière et soulagée d’annoncer que le niveau de violences au Cachemire indien était au plus bas depuis plus de 20 ans.

Plus globalement, sur la scène internationale, faisant suite à la guerre de l’été entre la Russie et la Géorgie, ce possible affrontement, rappelle à notre bon souvenir les risques d’éclatement d’un conflit conventionnel (les régiments stratégiques de lanceurs de missiles nucléaires ne semblent pas avoir bougés) et symétrique entre deux adversaires. On oubliait trop vite devant la multiplication des hybridations ou des asymétries, le modèle qui faisait office de vétéran. L’Asie sest toujours aussi importante au sujet des risques d’instabilité régionaux la concernant : en plus des situations Taiwan/Chine ou Thaïlande/Cambodge au sujet d’un temple, etc.

Qu’il y est des facteurs de modération ou non (entente cordiale, rationalité face aux risques, discussions, etc.), ces simples mouvements de troupes changent la donne dans la région. En effet dans une armée à effectifs constants, toutes les troupes pakistanaises qui passent de l’Ouest (du Sud-Waziristan) à l’Est sont autant d’unités opérationnelles en moins dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Un effet de vases communicants ! La question des priorités entre les menaces a sans doute été tranchée par le gouvernement pakistanais : la préservation de l’intégrité du Pakistan passe par un ajustement à la baisse des effectifs luttant contre les organisations talibanes et les autres composantes de l’insurrection afghane. Il est alors commun de dire que la multiplication des axes d’effort, malgré des moyens, diminue l’efficacité globale de l’action. Tant pis pour les efforts occidentaux de "surge" régional en Afghanistan.

Finalement, il ne manquerait plus qu’à prouver que les attaques de Mumbai ont été planifiées et organisées pour réactiver les tensions pakistano-indiennes. Ce qui entrainerait un allégement du dispositif Ouest au profit de l’Est. Les possibles connexions entre des membres du terrorisme international et des commandos responsables de ces attaques (pas uniquement des « loups solitaires » indépendants), ne sont pas encore formellement identifiées. Certaines franges de ces groupes radicaux pourraient trouver des profits à la réactivation d’une possible confrontation entre l’Inde et le Pakistan.

Mais, en conclusion, méfiance, patience et observons ! Pour modérer ces propos, attention à une médiatisation qui réussit souvent à classifier à tort les priorités selon les informations obtenues.

mardi 23 décembre 2008

La relation vendeur/acheteur en relations internationales.


C’est une lapalissade d’écrire que le principal actionnaire de Gazprom, l’Etat Russe, joue un grand rôle dans les Relations Internationales par cette prise de capital. Pour mémoire, la Russie est le premier producteur mondial de gaz naturel et détient le tiers des réserves mondiales avérées. On aime à rappeler, lorsque l’on parle de la relation Russie-Europe, les liens qui unissent le fournisseur au consommateur. Ainsi dans le Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, il est écrit : « La dépendance réciproque de la Russie et de l’Europe en matière énergétique (de fournisseur à client) peut constituer un motif d’inquiétudes, mais est aussi un intérêt commun fort ». C’est un document publié avant la guerre russo-géorgienne de l’été mais dont le constat est toujours valable.

Cycliquement, lorsque les prétentions russes ou européennes sont trop « osées » envers l’autre entité, les considérations à propos de la possession ou l’exploitation de ces ressources énergétiques, reviennent au premier plan. Que cela soit dans le cadre de revendications portant sur le prix du gaz, mais aussi plus indirectement sur les Droits de l’Homme, le soutien aux émancipations d’anciennes républiques, le bouclier antimissiles américain, etc.

Ainsi les liaisons par gazoducs rendent les deux extrémités des tubes dépendantes. Chaque partie aurait alors un moyen de pression sur l’autre : la fourniture de cette source d’énergie qu’est le gaz du sous-sol russe aux sociétés occidentales et à l’autre extrémité, l’achat de cette ressource en l’échange de gazo-euros, dollars ou roubles.


En cas de crise, la Russie pourrait fermer le robinet et priverait plusieurs pays très dépendants : Finlande à 100%, la France et l’UE à 25% (chiffres donnés lors de la crise entre l’Ukraine et la Russie en janvier 2006). Ce qui ne manquerait pas d’entrainer au mieux des risques sanitaires au pire des révoltes. Et à l’inverse, s’il n’y a pas d’achat, cela entraine une perte de revenus à l’heure où sont entrepris des efforts de modernisation structurelle et des efforts de revalorisation de la puissance russe sur la scène internationale.


Ni l’un ni l’autre ne pouvant entièrement se passer de cette ressource ou de ces revenus, il faudrait alors trouver d’autres fournisseurs ou d’autres acheteurs. Or les fournisseurs ne sont pas légions : le Moyen-Orient et dans un degré moindre l’Asie et l’Océanie. Mais les tentatives de contournement sont pour le moment une source d’instabilités régionales ou internationales. Du côté russe, la carte des gazoducs est aujourd’hui toujours orientée vers l’Ouest. Les deux grandes voies restent par l’Ukraine et un plus au Nord, par la Biélorussie puis la Pologne. Et cela malgré les projets de rééquilibrage par la Mongolie ou par les ports russes de l’Est vers une Asie intéressée par ces précieux m3. En septembre 2005, Poutine annonçait que « de l’action réelle de nos partenaires va dépendre où sera envoyée la plus grande quantité de gaz ». Tirant ainsi la sonnette d’alarme vis-à-vis des partenaires européens pas toujours dociles. La « géopolitique des tubes » continue.


La nuisance possible est-elles vraiment aussi contraignante ? Sans aucun doute non. Savoir qui est réellement le plus désavantagé est complexe à définir. Au final, il me semble que cette relation d’interdépendance vendeur-acheteur est autant employée pour exorciser ces peurs et se rassurer que pour stimuler la recherche d’autres voies. Surtout quand la vision actuelle vis-à-vis des possibles pénuries d’énergies non renouvelables me semble très attentiste : n’attendons nous pas que cela soit vraiment alarmant avant d’agir énergiquement en R&D pour trouver des substitutions ?