lundi 7 septembre 2015

La France en Syrie - Vers l’infini et au-delà !

Le Président de la République a donc décidé de déployer un peu plus de puissance militaire française au-dessus de la Syrie. Espérons sincèrement, qu’après l’envoi obligé d’appareils Mirage 2000-N (jusque-là réservés à la dissuasion nucléaire) pour tenir le rythme opérationnel uniquement au-dessus de l’Irak, il ne soit pas nécessaire pour tenir parole de déployer des appareils Alphajet, des Epsilon ou des Xingu...

Pour le moment, le plan visant à épuiser durablement l’armée de l’Air, espéré dans les rêves les plus fous de l’organisation de l’Etat islamique, se déroule « nominalement ». Car ces décisions sont prises sans attendre « la remontée en puissance » française, débutée récemment mais dont les effets ne seront pas visibles avant plusieurs mois / années.


Au-delà de ces considérations techniques, les considérations stratégiques sous-tendues par une telle décision posent également question. Qu’avons-nous appris de nos 20 dernières années de chevauchées militaires pas forcément victorieuses, et de celles menées par nos plus proches alliés ? Il est permis de se demander si nous en avons réellement tiré quoique ce soit…
 
Et cela, alors même que ce (nouveau) revirement met à bas (un détail…) toutes les justifications savamment distillées depuis un an pour expliquer la posture singulière française sur les opérations menées en Irak et en Syrie, et sur sa participation active à la réduction d’une nébuleuse présente sur plusieurs continents. Alors, comment expliquer (et évaluer en partie), cette décision ?
 
La recherche d'une perfection militaire, inutile en soit

Tout d’abord, elle peut se comprendre dans le cadre d’une recherche obsessionnelle de l’efficacité tactique d’un plan de campagne (principalement aérien, mais pas seulement) visant à frapper, non plus des containeurs vides (je me comprends…), mais les véritables centres de puissances de l’adversaire (temporairement concentrés, et avant un très probable éparpillement).

Cette recherche incessante des « meilleures recettes » militaires (bien documentée dans le cas afghan, par exemple) conduit généralement à demander toujours plus (jusqu’à un optimum insupportable), même lorsque nous avons peu. Elle permet d’atteindre, au mieux et après un lourd investissement, un rapport de forces permettant d’offrir, à qui veut bien s’en saisir, du temps utile pour obtenir des avancées sur d’autres pans (cf. l’Irak post-surge).

Or, après 1 an de frappes françaises en Irak (200 environ), qui ont permis de seulement briser en partie la marche en avant territoriale de l’organisation de l’Etat islamique, est-il vraiment efficace d’en exiger d’autres ailleurs pour atteindre des résultats sensiblement équivalents ? Est-ce la bonne recette quand sont peu évalués en parallèle les progrès non militaires réalisés ?

Qui croit sincèrement que c’est la participation de la France (chiffrée sans doute à quelques appareils) qui permettra de faire pencher la balance (au-delà de quelques succès - utiles - pouvant viser les têtes de réseaux, avant qu'elles ne soient remplacées) ? Et cela, sans relever les inconvénients liés à l’éparpillement d’une coalition (à sa dilution, finalement) qui pourrait ne plus être l’addition efficace de potentiels organisée selon une répartition précise des tâches (géographique, technique, etc.).

Le poids (le boulet ?) de nos très chers alliés...
 
Ce revirement peut être aussi lié à une analyse stratégique de la situation. Allons-nous en Syrie pour épauler des alliés (au premier rang desquels le partenaire américain), ou pour nos intérêts et nos valeurs en espérant peser sur la situation sur place et/ou sur notre territoire ?
 
Si c’est pour tenir le rang de "junior partner", le niveau d’investissement - modique - envisagé peut aisément se comprendre (comme le juste retour désordonné du soutien américain au Sahel), mais n'était pas forcément nécessaire en plus de l'effort réalisé déjà en Irak (appareils + renseignement + formateurs, notamment).

Par contre, si c'est dans le cadre de gages de bonne volonté donnés à des alliés, il pourrait être nécessaire d’interroger le retour sur investissement que nous avons tiré du renforcement de nos alliances avec certains Etats de la région concernés. A part, évidemment, via des contrats de montants non négligeables que certains pourraient évaluer comme la valeur, pour une partie, de notre silence.

Le peu d’investissements que ces pays mettent jusqu'alors pour aider à résoudre la situation est quant à lui beaucoup plus questionnable (au-delà des déclarations de principes). La France a-t-elle plus à gagner à se lier (pour des années) à ces pays, et profiter de leur potentiel puissance (seulement quand ils auront bien voulu la mettre en œuvre), ou alors à s’en tenir éloigné afin d’exiger avant un franc dialogue sur un juste retour ?

Répondre aux conséquences et non aux causes, pour sans cesse avoir à recommencer

Si c’est la seconde raison qui prédomine (la volonté de peser sur place et/ou sur le territoire national), qui espère sincèrement, qu'au-delà de l'affichage, que quelques frappes concentrées sur l’organisation de l’Etat islamique (efficaces pleinement un temps, avant l’adaptation et la dispersion, tout en permettant à la France un possible retour de bâton contre certains commanditaires d'attentats) servent au traitement des causes de la situation, et non simplement des conséquences ?
 
Le niveau de responsabilité réelle de l’organisation de l’Etat islamique sur l’origine du chaos, qui conduit la population à fuir, est questionnable. Au minimum chronologiquement, la responsabilité de l’EI ne semble pas y être première. Ainsi, l'atteinte plus ou moins recherchée de buts absolus (comme l'éradication d’une organisation) est encore rendue plus impossible sans couper les raisons de l'émergence et de l'accroissement de puissance d'un tel groupe.
 
Gageons que ce revirement ne participe pas indirectement à la croyance qu’il sera possible pour la Syrie de retourner (même un temps) aux cadres du passé, qui ne sont pourtant qu’un lointain souvenir pour des générations marquées et changées par la guerre. La Syrie d’hier ne peut être la solution de demain, notamment avec les mêmes dirigeants à sa tête, tant les traumatismes sont importants, tant leurs responsabilités empêchent toute réconciliation à même de garantir une solution pérenne et acceptable par le plus grand nombre.
 
La France, une puissance surtout militaire
 
Au final, le timing d’une telle annonce est d’ailleurs surprenant, car pouvant conduire à lier des détresses humaines dramatiques mises en avant ces derniers jours à une réponse française comportant des frappes aériennes contre les bénéficiaires indirectes de ce chaos, et non les responsables.
 
Tout en soulevant des questions sur une gestion au loin (et technique) de la menace qui serait censé garantir, notamment dans un second temps, une sécurité au près. Avec, pour cela, un pari - risqué - sur la capacité suffisante de résilience pour encaisser les contre-chocs du premier temps.

La plus-value de la France dans cette région ne serait donc plus finalement que son apport militaire (la marquant indélébilement), et non l’investissement avec la même énergie sur d’autres pans (rendus moins visibles, hélas) ? Pans où les déclarations diplomatiques à l'emporte-pièce peuvent néanmoins altérer les efforts, en faisant perdre de la crédibilité à certains responsables...
 
Cette surconcentration sur ces points ne pourrait-elle pas lui être néfaste à moyen terme, en plus d’être une sévère reculade (notamment, sous les coups de boutoir de nos adversaires) de nos intérêts et de nos moyens de peser efficacement sur le cours des choses.

Que ceux qui veulent faire une promenade de santé en Syrie, passent devant

Finalement, ces quelques considérations effacent l’agitation récente portant sur la pertinence ou non d’une intervention au sol menée en partie par nos armées.

Passons sur la fulgurance de la pensée stratégique d'un haut responsable lorsqu'il indique qu’une intervention loin d'être facile, doit être lancée après avoir été « rapidement planifiée ».
 
Passons sur le fait qu’elle ferait passer, quasiment sans nul doute, l’Afghanistan pour une plaisante promenade de santé.
 
Passons également sur le fait que l’organisation de l’Etat islamique, et un certain nombre de mouvements (prêts à s’unir au sein d’une union sacrée) n’attendent que cela, de pouvoir « jouer à domicile » et ainsi refermer le piège qu’ils tendent.

Passons sur le fait qu’une telle posture déclaratoire permet surtout à une partie de l’opposition, en exigeant l’impossible, d’être en rupture à peu de frais avec la majorité.

Passons sur la question des moyens, sauf à faire croire que les militaires ont encore trop de permissions, malgré l’opération Sentinelle, ou que certains s’embêtent…

Passons.
 
PS : rappel, contrairement à ce que dit le Président de la République à la #confPR, il est loin de n'y avoir que des aviateurs en Irak : cf. ici.

1 commentaire:

FGNico a dit…

bonjour
bonnes questions et bonne relation que vous faites là.. et puis, je lis chez un de vos confrères que 10.000 heures ont déjà été utilisées sur Chamal par les aeronefs en ligne; alors pourront nous pendant combien de temps poursuivre cet effort?
cordialement