M. Nicolas Dhuicq (député UMP de la 1ère circonscription de l’Aube) : Certains militaires de l’armée de Terre participent au plan Vigipirate mais ces hommes ne se sont pas engagés pour faire le travail des gendarmes ou des policiers. Quel est l’impact sur le moral des troupes de leur participation ?
Par ailleurs, avez-vous développé une réflexion sur l’emploi de l’arme blindée cavalerie dans les futurs conflits en zone urbaine, qui pourraient potentiellement avoir lieu sur le territoire national ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux (chef d’état-major de l’armée de Terre) : Pour l’armée de terre, la conduite des opérations se fait systématiquement dans un cadre interarmes même si de ce point de vue, la situation en Afghanistan est moins représentative. En zone urbaine, les blindés apportent une réelle plus-value. Ils y sont, par ailleurs, moins vulnérables aux frappes aériennes comme on a pu le constater en Libye dernièrement mais également au Kosovo. Ils disposent d’une vraie capacité de résilience. Quand on examine la manière par laquelle de grandes capitales ont été conquises par le passé, on constate que ce sont des groupements mêlant infanterie et blindés qui les ont libérées. D’ailleurs au centre d’instruction en zone urbaine (CENZUB), nous nous entraînons dans cet esprit interarmes.
Rassurez-vous, je ne pense pas que nous ayons à faire usage des blindés sur le territoire national dans un proche ou moyen terme, où nous effectuons bien volontiers des missions de sécurité et des missions de soutien aux services dédiés, notamment lorsqu’ils sont dépassés par l’ampleur d’un événement.
Le 19 octobre 2011,
l’audition du nouveau CEMAT par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale a donné lieu à quelques échanges qui méritent d’être décortiqués. Il serait intéressant de revenir sur les questions de format, de réformes, de budgets, etc. Mais, je m’arrêterais brièvement sur un autre passage qui peut interpeller.
Pour mémoire : l’armée de Terre n’est ni la police ni la gendarmerie
Après avoir rappelé que des hommes de l’armée de Terre étaient engagés, à tort selon lui (1), dans le cadre de Vigipirate pour faire le travail de la gendarmerie et la police, le député de l’Aube s’est interrogé sur un autre emploi possible de l’armée, dans un travail là encore plus de gendarme ou de policier.
En effet, il a demandé au CEMAT si l’armée de Terre avait réfléchi 1/ à l’engagement de blindés en zone urbaine dans le cadre d’opérations extérieures 2/ à l’engagement potentiel de blindés en ville sur le territoire national. Pour le dire plus franchement, des chars pourraient-ils être employés dans nos « zones de non-droit », nos territoires perdus, nos banlieues, nos cités, nos zones où la souveraineté est remise en cause, et autres euphémismes ?
Ainsi donc, la gendarmerie ou la police, jugées inefficaces ou non adaptées avec les moyens que l’on aura bien voulu lui allouer, les pratiques que l’on aura bien voulu autoriser et les stratégies que l'on aura bien voulu mettre en place, devront céder leur première place à l’armée de Terre et en particulier à ses blindés. Un maire avait récemment pas parlé de moins en demandant
l'envoi de Casques Bleus.
De grâce monsieur le Député, concentrons nous pour ses questions sur la police et la gendarmerie, avant de penser à l’armée de Terre… Déjà quelle doit gérer parfois les poubelles de Marseille, elle n'a pas vocation à remplacer tous les corps malades (ou que l'on ampute) de la République. L'emploi de l'armée serait surtout un constat d'échec 1/ d'autres stratégies plus civiles que sécuritaires 2/ du volet actuel "sécurité" des forces de police et de gendarmerie.
Faire resurgir le poids du passé qui ne passe pas
C'est à la fois leur inconvénient (manque de discrétion pour les grandes décisions) et leur avantage (accès public pour tous), mais ces auditions sont retranscrites et librement disponibles. Ainsi, ces paroles empreintes d'un poids mémoriel et politique sont à la merci d'un emploi non-apporprié, d'une utilisation limite frauduleuse et des munitions faciles et utiles pour certaines argumentaires.
Jugez plutôt. Avec de telles paroles, c'est au minimum l'épisode douloureux de la guerre d'Algérie qui ressurgit, dont la mémoire historique est d'ailleurs parfois entretenue par des groupes de tous bords ayant un intérêt plus politique que personnel ou sentimental à agir ainsi. Il n'y a qu'un pas pour que la bataille d'Alger se rejoue dans d'autres lieux...
De plus, monsieur le Député, sans la surestimer ni la minorer, les armées traversent déjà actuellement des épisodes douloureux entre restructuration, déclassement sociétal ou gestion difficile du retrait de l'Afghanistan. Supportant ce qu'aucun autre corps d'agents de l'Etat n'a supporté, la pilule à beau passer, elle passe tout de même mal. N'allez pas y ajouter d'autres difficiles combats de conscience.
De plus, en confiant entre les mains des militaires une grand part du succès ou de l'échec, l'action en Afghanistan (bien qu'à une échelle bien moindre que l'Algérie) pourrait laisser des stigmates d'un travail accompli pour pas grand chose suite à ce retrait qui commence. Les esprits sont sensibles pas besoin de les replonger dans d'autres dilemmes. L'homme est la pâte, faut-il la pousser jusqu'à ses limites? Non.
Maîtriser toujours et encore sa communication
Il peut en avoir des non-dits à la fois dans cette question et dans cette réponse. Bien évidemment que l'armée de Terre, et sa composante arme blindée cavalerie, s'entraîne à intervenir en ville. La prééminence contemporaine des vallées afghanes ne fait pas oublier les évacuations en plein Abidjan, les patrouilles à Mitrovica et un certain lobby, pourrait-on, citadin du combat du futur qui se jouera dans les zones urbaines.
Alors oui, la cavalerie a développé une réflexion sur l'action en zone urbaine (du moins je leur fait confiance, je l'espère et j'en suis quasiment certain pour avoir lu plus quelques peu lisibles TTA numéro je-ne-sais-plus-combien) et oui le CEMAT a au moins aussi raison de dire qu'à court et moyen terme les colonnes de chars Leclerc, AMX-10RC et autres ne mèneront pas par leur emploi à une montée aux extrêmes je-ne-sais-pas-où comme au Brésil ou au Mexique.
Comme d'habitude, toutes les remarques, les critiques et les commentaires sont les bienvenus. ceci n'est qu'un avis bien imparfait et le mien donc éminemment critiquable. Surtout que je sais que certains lecteurs ont des opinions bien différentes ou complémentaires...
(1) : l'emploi des armée pour Vigipirate peut être analysé et critiqué, à mon sens, sous d'autres aspects. Plus que l'emploi ou non de militaires, il serait possible de réfléchir sur le format actuel (qui consomme des ressources), sur le niveau inchangé depuis bien longtemps qui a perdu son sens, sur la différence entre menace, perçue, menace réelle, menace entretenue, etc.
Sachant que ces missions de patrouilles sont un excellent moyen pour la population de percevoir très directement l'intérêt des armées (bien qu'un peu galvaudé : une patrouille empêchera telle un attentat?). Une perception d'un intérêt plus direct que lors d'opérations menées au loin.