jeudi 31 mars 2016

Chasse aux experts - Une problématique qui passe à côté de l'essentiel : la critique seule ne suffit pas !

La chasse aux experts en XXX (ajouter le qualificatif de votre choix : terrorisme - sécurité - renseignement - zones à risques - questions de défense - autres champs complexes nécessitant des savoirs et/ou des connaissances pour donner du sens - comprendre - agir - réagir - j’en passe) est bien ouverte. Elle serait même tendance, au point que les experts en experts pourraient apparaître.

De manière quasi schizophrénique, il s’agit, tout en dénonçant le peu de sérénité dans le débat public français et les crispations, réelles ou supposées, de notre société, de lancer des anathèmes, souvent définitifs, en classifiant, selon des critères généralement obscurs, les "bons"  et les "mauvais" experts. Quand il n’y a pas de globalisation, sans prise en compte de la diversité des parcours, sur le thème "les experts sont tous mauvais (mais, par contre, moi j'ai la lumière…)". 

Allégorie...
Il s’agit alors de s’attaquer à la titraille (dont ces experts sont flanqués et dont ils ne sont, d'ailleurs, pas toujours responsables, car désignés d'office... #vismavie), de manière souvent superficielle, fouiller les parcours des intéressés, souligner leur sur-représentation médiatique, mais, hélas, plus rarement, de s’intéresser au contenu délivré (relever leurs erreurs, en les contextualisant...) ou s’intéresser au pourquoi de leur existence. A titre d’illustration, un éditorial de Libération est symptomatique avec plusieurs paragraphes de digressions sur le phénomène quand le point plus important, à nos yeux, tient en 3 lignes, qui plus est en note de bas de page : l’existence d’autres experts, moins connus que ceux mis plus ou moins justement au pilori, qu'il serait pertinent de convoquer. Point.

Heureusement, certaines analyses commencent à se pencher plus en profondeur sur le sujet (cf. ici et ici, et ailleurs...), analysant de quoi ces experts sont les symptômes, comment se préserver de certaines erreurs, tout en ne baissant pas les bras pour à la fois pointer les erreurs (parfois nombreuses) et engager le débat de fond. D’une certaine façon, il s’agit pour ces analyses d’éviter de plonger à leur tour dans les travers dénoncés : la superficialité de la forme sans aborder en profondeur le fond. En quelque sorte : ne pas préférer la facilité des anathèmes à l’exigeant débat d’idées…

jeudi 24 mars 2016

Entretien – La réforme du secteur de la sécurité (RSS) à l’ivoirienne (Aline Leboeuf)

Aline Leboeuf, docteur en science politique et chercheur à l’IFRI, est l’auteur d’une récente étude sur la réforme du secteur de la sécurité (RSS) à l’ivoirienne. Elle avait déjà répondu à nos questions sur « Toutes les réformes du secteur de sécurité sont-elles des échecs ? », et ce nouvel entretien publié en-dessous permet cette fois-ci d’approcher ces problématiques avec un cas concret.
 
1/ En Côte-d’Ivoire, qu’est ce qui caractérise l’approche « par le haut » de la RSS depuis la crise électorale de 2011 ?
 
Le Président Ouattara, élu en 2010 et réélu en 2015, a fermement voulu et soutenu la réforme du secteur de sécurité, qui est mise en place par un organisme qui ressemble au National Security Council américain, le Conseil National de Sécurité. Ce CNS est composé à la fois de ministres et des responsables des organisations du secteur de sécurité. Grâce à son secrétariat et à des points focaux dans les administrations concernées, il pousse les réformes décidées dans le cadre d’une stratégie nationale de sécurité. 
La Côte d’Ivoire bénéficie bien entendu du soutien des Nations Unies et des bailleurs de fond, comme la France ou les Etats-Unis, mais l’appropriation du processus par le haut est réel.
Des efforts ont été fait pour élargir la prise en charge du processus de RSS « par le bas », par la société civile, les médias, le Parlement et les collectivités locales, mais ces efforts sont plus du domaine de la communication du haut vers le bas qu’un véritable effort de mise en boucle et d’appropriation « par le bas ».
 

lundi 21 mars 2016

Lecture - A Madama, sur les traces de Leclerc (par le colonel Jordan)

Les premiers mois de l'opération Serval lancée en janvier 2013 au Mali commencent à être plus que couverts par les productions de tous types (livres, documentaires, etc.), plus ou moins critiques et couvrant un très grand nombre d'aspects. Par contre, les mois qui suivirent restent encore moins pourvus en récits d'acteurs ou en travaux d'historiens, bien que le recul nécessaire à l'analyse critique soit encore évidemment réduit.
 
 
Narrant des événements du printemps 2014 non encore couverts, ce n'est donc pas le moindre des avantages qu'apporte l'ouvrage "A Madama, sur les traces de Leclerc" (chez Nuvis), récit du, de facto, premier commandant de l'opération Barkhane, le alors lieutenant-colonel Jordan, aujourd'hui colonel. Avant donc que le nom de cette dune façonnée par le vent ne donne son nom à l'opération lancée en août 2014 selon cette-fois ci une approche régionale couvrant plusieurs pays. 
 
Au printemps 2014, l'opération Barkhane est une mission de reconnaissance sur 4.200 km depuis N'Djamena, capitale du Tchad, jusqu'au fort méhariste de Madama à l'extrême Nord du Niger (cf. photos) en passant par Faya-Largeau, Zouar et les contreforts du Tibesti. Un mois d'exécution, plusieurs semaines préalables de préparation, pour cette opération menée en partenariat avec des militaires tchadiens et nigériens, de la planification à l'exécution.
 

vendredi 18 mars 2016

Entretien - Les forces terrestres et les missions de réassurance en Europe (G. Lasconjarias)

Cet entretien avec Guillaume Lasconjarias, chercheur au Collège de Défense de l'OTAN (Rome) et auteur du récent Focus stratégique "Forces terrestres et réassurance : quelles options pour l'Alliance ?" (IFRI), a été réalisé en collaboration avec le blog Ultima Ratio.

 1/ Dans quelle cadre s’inscrit cette notion, un peu oubliée comme vous le montrez, de réassurance souvent employée ces derniers mois ? Quelle est sa part plus spécifiquement terrestre ?

Le choix du terme de réassurance me semble très connoté, à la fois historiquement et politiquement. Avant tout, ce qui m'a frappé, c'est la quasi-décalcomanie du terme anglais "reassurance". Cela porte une signification issue du monde des assurances, où un petit acteur se tourne vers un plus gros assureur pour être certain qu'il sera protégé. II porte aussi un sens positif, en ce qu'il garantit, qu'il appuie, qu'il entoure: il rassure aussi. Il est difficile de ne pas avoir cela à l'esprit quand on travaille sur ce thème.
 
 
Historiquement, et j'ai tenté de tracer l'archéologie de ce terme, la réassurance appartient au vocabulaire de la dissuasion; d'abord, et c'est un fait qu'on oublie, la réassurance est avant tout tournée vers un adversaire. On lui garantit qu'on ne fera rien, si lui-même ne fait pas le premier pas. Il s'agit donc d'une sorte de "gentleman's agreement", d'équilibre de la terreur et donc, on voit bien les liens avec la guerre froide et la dissuasion. Au fur et à mesure, la notion a glissé pour servir aussi une politique dirigée vers ses alliés, qui sont rassurés et certains d'être aidés en cas de besoin. Au sein de l'OTAN, c'est cette tendance qui se dessine, avec les discussions sur l'article 5 et l'importance retrouvée de la défense collective.
 
La part terrestre tient sans doute à ce que l'on sait tous: la détermination, in fine, et l'engagement politique, se font à terre. Je cite un texte de Fehrenbach sur la guerre de Corée qui n'a pas pris une ride et qui dit en substance que protéger un pays, lui permettre de se développer et de s'épanouir requiert avant tout des hommes capables de s'y battre et d'y mourir. Accessoirement, quand le patron des forces américaines en Europe, le général Breedlove, décide d'envoyer des parachutistes dans les pays potentiellement menacés par la Russie, il le fait parce qu'on change de niveau. La mort d'un seul soldat américain conduirait potentiellement à un engrenage que personne n'a réellement envie de tester. C'est autrement plus tangible que déplacer des bateaux et des avions, choses que l'on fait par ailleurs mais dont la portée symbolique est bien moins forte.