jeudi 26 février 2009

Exemple, contre-exemple et la suite


De nombreux commentaires ont été faits sur les dernières péripéties de l’A400M (premières livraisons en 2014) que l’on soit européiste, eurosceptique, euro-hostile ou euro-je-sais-pas-quoi. Les retards à répétition ont posé la question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Pour la France, le Sénat a conclu que : « les rapporteurs souhaitent ardemment, dans l’intérêt de l’Europe, que les parties s’entendent dans les meilleurs délais pour assurer la réussite du programme ». Donc par rentabilité financière et pour éviter les conséquences politiques dommageables, on continue. Les autres partenaires doivent encore se prononcer.

Pourtant, il est indéniable qu’aujourd’hui l’inclusion de l’A400M dans les discours vantant les avancées de la construction et de la défense européennes n’est plus crédible. Encore le 2 décembre 2008, Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants disait que : « la projection des forces en opérations, à travers les trois composantes (terre, air, mer) est concernée par quelques programmes emblématiques de coopération communautaires. C’est notamment le cas : […] pour la flotte européenne de transport aérien (d’ici 2014) ; pour la création d’une unité multinationale d’A400M. »

Sans sous-estimer les retards et leur importance, il faut rappeler que des délais non tenus sont courants pour les programmes d’armements nationaux et multinationaux. Cela concerne aussi bien les équipements terrestres, maritimes ou aériens. Certaines versions du NH90 seront livrées avec au moins 13 mois de retard, le Tigre l’a été avec le même retard et on pourrait multiplier les exemples.

Mais l’A400M n’est pas uniquement un programme phare de la construction européenne et un possible modèle d’excellence industrielle. C’est surtout un programme structurant dont on ne peut oublier sa finalité : un emploi opérationnel au profit des armées. Les conséquences des retards dépassent les leçons à tirer d’une perte européenne de la capacité de construction d’un tel produit. En 2014, lors des premières livraisons de l’appareil, la flotte actuelle sera au pire rangée au placard de l’histoire et au mieux divisée par trois ou quatre afin de permettre à un Transall ou à un C130 de voler avec les pièces de rechange de plusieurs autres appareils. Ce n’est plus une soudure compliquée mais sans doute une rupture des capacités de projection.

Le Livre blanc avait mis en avant les capacités d’entrée sur les théâtres des groupes formées autour des bâtiments de commandement et de projection (BPC). Navires qui pourtant ne peuvent pas pallier l’absence d’une flotte de transport stratégique lourd : action limitée au littoral même avec les hélicoptères embarqués, vitesse de déplacement, etc. Ils demeurent encore plus les moyens crédibles du futur de la fonction « projection ». Encore un bon point pour la Marine. Les opérations aéroportées (car sans remonter à Kolwezi, les parachutages et les poser d’assaut sont des modes opératoires courants) seront contraintes par les capacités de déploiement. C’est donc une grande partie de la doctrine militaire et des habitudes qui sont modifiées.

Mais, rassurons-nous, nous ne sommes pas les seuls concernés. Ainsi on apprend dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung de lundi, que l’Allemagne pense à prolonger d’au moins deux ans un contrat de location d’Antonov AN-124-100. Plutôt que de se tourner vers des achats sur catalogue à l’ouest (C17 Globemaster de Boeing), elle préfère développer un partenariat (ou une sous-traitance) vers l’est. Sans en faire beaucoup de publicité, la France est aussi engagée dans cette voie, comme le montre les photos du déchargement à Kaboul des premiers VAB équipés des nouvelles tourelles téléoperées. Les Antonov et les Illiouchine sont les colonnes vertébrales du soutien des troupes en OPEX. Alors pour éviter les micro-parcs qui couteux à l’heure des réformes de la Politique d’Emploi et de Gestion des Parcs ou PEGP, ces externalisation semblent être indispensables. Même s’il ne faut pas trop le dire car l’utilisation "d’affreuses sociétés de transport", pas forcément étatiques, amènent le débat sur la privatisation de certaines fonctions militaires.

Droits: Airbus Military, A400M.

samedi 21 février 2009

L’armée française en OPINT

Un article était en préparation sur les opérations intérieures (qui s’opposent aux OPEX de l’extérieur). Mais Yves CADIOU sur le blog de François Duran m’a devancé en apportant en plus son expérience d’homme de terrain. Je me contenterais seulement d’ajouter quelques remarques.

Dès 1790, le comte de Guibert (« le stratège des Lumières ») prônait la réunion « des forces du dedans et du dehors ». Cette mission de soutien aux pouvoirs publics est pérenne et elle le restera tant que l’armée disposera en quasi-exclusivité d’aptitudes utiles. En effet, elle a des moyens adaptés pour rétablir les infrastructures ou les réseaux de communications, des savoirs-faire, des capacités de planification, de commandement et de conduite au sein des État-major. Certaines unités sont plus aptes à répondre aux besoins comme le Génie, l’ALAT ou les moyens de lutte NRBC. Une autonomie structurelle, une disponibilité des effectifs, un sens partagé de l’intérêt commun et une organisation disciplinée en fait un acteur efficace. Mais ces interventions nécessitent souvent une faible technicité: des mains, des muscles et de la volonté.

Ces missions récurrentes ne sont pas sans avoir des conséquences négatives. Aujourd’hui, signe de difficultés, le discours des organismes militaires de recrutement est : « oui nous dégraissons drastiquement, mais cela ne veut pas dire que nous ne recrutons pas. Venez à nous et rester chez nous… ». La fidélisation des contrats et la qualité du recrutement sont des problématiques contemporaines. Si on met cela en parallèle avec les conséquences de l’opération de nettoyage des plages (une quarantaine de départs), ce n’est pas très rassurant. Le quotidien exaltant n’était pas à la mesure de l’exigence d’entrainement du métier.

Dans le LBDSN, le fameux contrat de 10 000 hommes est prévu à l’horizon 2020 dans le cas de possibles crises majeures décrites p. 14 : « elles résultent aussi bien de phénomènes globaux, tels les atteintes à la biosphère ou les risques pandémiques, que des menaces directes que font peser sur la France les réseaux terroristes, les conséquences à terme de la prolifération balistique autour du continent européen et les attaques visant les systèmes d’information et de communication ». Un de mes premiers billets portait sur le jonglage arithmétique pour dégager ces effectifs. Ainsi dans le cadre de cette vision catastrophique, l’armée aurait pour priorité de sécuriser les points vitaux du territoire, les flux et les réseaux ainsi que protéger la population face aux troubles engendrées par la crise.

Enfin, si le fameux lien « Armée-Nation » en ressort généralement grandi, ce n’est souvent pas le seul. Avec pessimisme, je ne peux m’empêcher que l’envoi de militaires lors des ces situations est un fameux bouclier pour le gouvernement. En cas de crise, la population traumatisée veut tout et tout de suite. Elle s’en prend en priorité aux politiques. Envoyer l’armée est, à mon sens, un bon moyen de se protéger des critiques en montrant que l’on prend le problème « à bras le corps ». Les JT du 20H répercuteront ces initiatives et les sondages ne descendront pas. Mais s’il faut « répondre vite, puis dans le temps répondre bien », les forces doivent se désengager progressivement pour permettre le retour de la primauté d’agents de l’État.

En conclusion, je ne peux m’empêcher de raconter l’anecdote suivante. Le 19 novembre 2008, le général IRASTORZA, actuel CEMAT, clôturait un colloque intitulé Urgence sur le territoire, civils et militaires, s’unir pour secourir. Il a fait part de son expérience comme capitaine commandant d’une compagnie du 8ème RPIMa de Castres. En 1980, le sud-ouest subit une épidémie de peste porcine. Les services vétérinaires préconisent l’abattage systématique des bêtes contaminées. C’est ainsi que la compagnie du capitaine IRASTORZA a enterré plus de 1 000 porcs préalablement tués au MAS 49 par les Gendarmes mobiles. Passionnant… ! Quelques mois avant, il était au Tchad pour l’opération Tacaud qu’Yves Cadiou connait bien.

Droits : Ministère de la défense, Tempête Klaus.

mercredi 18 février 2009

Ajustons donc notre vision…


Pour poursuivre (et terminer) le compte-rendu de la conférence à l’IFRI, le deuxième axe pertinent portait sur le Hamas.

Quoique difficilement comparable, l’objet d’étude que représente Israël et son armée, est plus familier à nous Occidentaux que la compréhension d’un acteur irrégulier, quasi-étatique comme le Hamas. Ainsi au cours du conflit, plusieurs éditorialistes ont appelé à « un ajustement de notre vison déformée du Hamas ». C’est dans cette perspective que Jean-François LEGRAIN a brillamment présenté le Hamas en revenant sur quelques fausses lapalissades. Chercheur à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée de Lyon, il est spécialiste des élites palestiniennes. Sur sa page personnel, on pourra trouver de nombreuses interventions consultables en ligne.

La première inexactitude est l’opposition faite entre la nature laïque de l’OLP (dont le Fatah est membre) et la nature islamique du Hamas (qui pourrait à nouveau en devenir membre). Or les organisations partagent une vision commune de l’Islam comme religion officielle ayant une place au sein des institutions politiques par la charia, une des sources de la législation. Le terme de laïc est non utilisé et même prohibé par les organisations. S’il y a une opposition à faire entre l’OLP et le Hamas, elle pourrait se faire entre nationalistes et islamistes.

La deuxième erreur serait de faire du Hamas, le bras armé de l’Iran. Or l’Iran est chiite et le Hamas se réclame du courant sunnite. Il est vrai que par « realpolitik », ils pourraient oublier ces différences. Mais le Hamas n’est pas un mouvement groupusculaire si manipulable. On peut rappeler que le Hamas trouve son origine en 1987 dans la branche gazaouite des Frères musulmans d’origine égyptienne. Le refus de ces derniers de donner de l’importance au sentiment anti-israélien est la cause de la scission (ndlr : encore aujourd’hui, le soutien affiché des Frères musulmans à leurs « frères palestiniens » est timide).

Alors comment définir le Hamas ? Pour l’intervenant, c’est « un mouvement de sociabilisation religieuse ». Le but recherché est la réislamisation de la société en passant par des activités politiques et s’il le faut un volet militaire. Le Jihad n’est déclaré que s’il apporte des bénéfices à la communauté religieuse (ndlr : la résistance militaire active peut être nécessaire mais sous la forme d’une manifestation de résilience aux agressions plus que dans une posture offensive). De son origine, le Hamas a conservé la nécessité de la charité et une vision restreinte de la politique étrangère. AU contraire de l’OLP et du Fatah qui sont de véritables organisations de libération nationale avec une vision mondiale.

Comme socle de futures discussions, l’ancienne position du Hamas est pérenne. De facto, le Hamas se contente de la coexistence de la Palestine selon les frontières de 1967 avec pour Israël, la fin des colonies et le retrait de Jérusalem Ouest. Mais de jure, le Hamas refuse un état non islamique sur une terre islamique. Et alors on rentre au cœur de problématiques complexes même si il existe peu de réticences entre les acteurs pour discuter. Si l’Egypte a souvent servi d’intermédiaire, la Turquie pourrait être une alternative pour relancer la résolution sur de nouvelles bases. Encore que la Turquie devra trancher entre un penchant européen (hier très prégnant, aujourd’hui en sommeil) et un penchant asiatique dont on aperçoit quelques balbutiements.

Les autres interventions présentaient les proches perspectives. Elles se sont trouvées majoritairement invalidées ces derniers jours car, à mon sens beaucoup, trop idéalistes et positives. Sans prendre au premier degré les actuelles gesticulations diplomatiques (tenter de faire monter les enchères est au cœur des processus de négociations), il est notable de remarquer que rien de définitif n’a émergé : les raids se succèdent aux roquettes et inversement, la trêve est un rêve pieux, les échanges de prisonniers sont au point mort en attendant de fixer un ratio entre le nombre de palestiniens et Gilad Shalit, la levée du blocus et la réouverture des points de passage ne sont même plus abordées, la mise en place d’un « gouvernement politico-technocratique » pour préparer les élections palestiniennes semble une aberration… Si l’espoir était permis, il y a encore une semaine, le désaccord inter-palestinien et les fermes positions des protagonistes ne présagent rien de bon.

samedi 14 février 2009

L’intervention à Gaza dans l’histoire de Tsahal.

Samy COHEN, professeur à l’IEP de Paris, est revenu jeudi soir sur certains aspects militaires de l’opération « Plomb durci ». Spécialiste des questions de politique israélienne et des relations entre militaires et civils, auteur d’un ouvrage à paraitre très prochainement sur Tsahal face aux conflits asymétriques, il était particulièrement compétent pour parler de ce « sujet maudit ».

Replaçant ces événements dans la longue durée de l’histoire de Tsahal, il les définit comme une opération en zone urbaine brutale mais pas si meurtrière que cela (vision partagée par Joseph Henrotin dans des interviews trouvables ici). Les pertes civiles et militaires sont sur ces théâtres d’opérations obligatoires. Cette idée-maitresse lui a valu des interpellations de colère et des départs précipités de certaines personnes choquées par de tels propos. Dans la continuité historique de la stratégie israélienne, Tsahal a été le bras armé d'un état qui a encore une fois refusé de céder à la terreur des frappes aveugles de roquettes Qassam. La réponse a été faite par la « force disproportionnée » en essayant de créer un effet dissuasif sur l’adversaire. L’accalmie dans le déroulement des opérations, entre la phase 1 de bombardements aériens et la phase 2 d’offensive terrestre, ne serait qu’un temps d’analyse de la réaction du Hamas. Les tirs de roquettes ne cessant pas, la deuxième phase a été lancée.

De retour de Gaza, Mireille DUTEIL (journaliste à l’hebdo Le Point) décrit les signes visibles de l’intervention de « deux armées ». Par cette expression, elle met en avant les résultats de deux modes opératoires : des frappes aériennes de précisions surtout à partir d’avions soufflant certaines habitations ou commissariats et des destructions massives par des bombardements ou de gigantesques bulldozers rasant des quartiers entiers.

Les généraux ce seraient enfermés dans une doctrine de riposte violente qui ne peut, au minimum, que convenir à court et long terme face à des armées conventionnelles. Et encore, la destruction du potentiel militaire n’est pas le seul préalable à une paix durable. Après « Plomb durci » et comme après de nombreuses autres opérations (au Liban comme « Paix en Galilée » en 82, « Raisins de la colère » en 96 au Liban, ou « Changement de direction » en 2006), la situation n’aura fait qu’empirer. La persévérance des militaires est quasiment une énigme pour lui. Les nouvelles tactiques plus subtiles employées lors de l’Intifada Al-Aqsa en 2000 ne sont que des parenthèses dans la doctrine israélienne. Ainsi les techniques de contournement par le percement de murs, les raids d’enlèvements quotidiens par les Sayeret (FS), les tirs de roquettes depuis les drones et les hélicoptères sur les véhicules des membres du Hamas ne sont que des épiphénomènes d’emploi de la force minimale.

Analyse personnelle

Pour ma part, la persistance de la manière forte est assez déconcertante. Les États-Unis ont remplacé la France auprès d’Israël comme partenaire militaire numéro 1. Les incessantes et nombreuses livraisons d’armes entre les deux pays se multiplient. Les échanges immatériels seraient moins nombreux. C’est ainsi que les militaires israéliens sont soit ignorants des débats contemporains ayant lieu au sein des armées américaines (US Air Force comprise) sur la contre-insurrection, soit peu convaincus. Ainsi ayant posé la question à Samy COHEN sur l’existence de voix militaires discordantes vis-à-vis de cette doctrine, il m’a répondu que les quelques publications d’officiers sur des révisions doctrinales ne recevaient pas une large approbation. La faiblesse de la riposte face à des oppositions que l’on peut croire plus faibles, n’est pas permise. D’autant plus que la solution militaire peut paraitre crédible. En effet, il n’existe pas de vision politique à long terme depuis l'échec des accords d’Oslo en 1993.

Cette sous-estimation par les militaires des menaces asymétriques va à l’encontre de l’histoire même de Tsahal. Il est vrai que les conflits contre les armées syriennes, jordaniennes et surtout égyptiennes se sont relativement bien déroulés. Pourtant les armées israéliennes d’aujourd’hui sont issues de forces armées qui sont passées, avec succès, par tous les stades de développement de la « guerre révolutionnaire » maoïste : au début, le néant puis ensuite quelques agitateurs spécialistes du harcèlement, des unités d’irréguliers puis des forces hybrides réguliers/irréguliers réfugiées dans des sanctuaires et enfin un corps de bataille complet. L’indépendance a été conquise comme cela mais les leçons ont été depuis oubliées. Hier, le David de la Haganah et de l’Irgoun se battait contre le Goliath britannique. Mais aujourd’hui le Goliath de Tsahal fait face au David palestinien à multiples facettes.

mercredi 11 février 2009

Une solution à deux ou à trois.

Depuis quelques jours les tirs de roquettes en provenance de Gaza sont plus sporadiques et l’attention médiatique est focalisée sur le résultat des élections israéliennes. On attend la fin du dépouillement du vote de quelques 200.000 militaires pour avoir un peu plus de précision sur le futur Knesset. Avec le jeu des alliances et l’écart minime (une place) qui sépare le Likoud de Kadima, la situation n’est pas clarifiée. Prévue par les sondages, la droite nationaliste a bien réalisée une percée importante. Pour eux mais aussi pour les autres formations politiques d’ailleurs, la sécurité et l’intégrité d’Israël sont non-négociables. Ainsi sur le fond, pas de changement radical juste peut être sur la forme. Les mouvements pacifistes n’ont pas encore le poids qui permettrait d’espérer un virage radical. Sans parler de faucons, et comme le prouve la multiplication des photos montrant des soldats de Tsahal se recueillant kippa sur la tête, les militaires ne sont pas tous devenus des « refuzniks » ou des colombes.

Les prochaines élections palestiniennes (s’y elles se déroulent en temps voulu) seront utiles pour connaitre le ressentiment des habitants par rapport aux deux grands partis qui les dirigent. Plusieurs scénarios sont possibles :
  • une baisse électorale du Hamas dans son fief de Gaza par lassitude des gazaouites, qui profiterait au Fatah jugé plus modéré
  • une hausse du Hamas en Cisjordanie face à un Fatah jugé trop attentiste et ne représentant pas une résistance crédible
  • ou un statuquo avec un maintien des deux formations à leur niveau actuel dans les deux territoires ce qui entérine encore plus la fracture.

Aujourd’hui, sans bénéficier de sondages précis, il est possible d’émettre quelques éléments de réponse. Le Hamas (sur le modèle du Hezbollah) s’est approprié les actions de charité, en s’attaquant même aux humanitaires. Elles visent les populations démunies ou ayant subies des pertes durant « Plomb durci ». Ainsi son capital de sympathie peut grimper encore plus dans la bande de Gaza. Entre règlements de comptes, répressions de manifestations et refus de s’engager, le Fatah et le Hamas paraissent de plus en plus irréconciliables.

Alors même qu’en coulisses les pourparlers menés par différents intermédiaires se déroulent, la solution ne serait-elle pas à rechercher non pas avec deux mais trois entités étatiques ? Bien cantonnés dans deux territoires distincts, qui ne bénéficient d’aucun lien direct de l’un à l’autre, la fracture entre Gaza et la Cisjordanie est nette. La réunification au moins géographique est improbable : Israël ne se laissera pas à son tour couper en deux. La disparition d’un des trois protagonistes n’est guère plausible à court terme. Et à moins d’espérer cette solution, c’est peut-être bien avec trois acteurs qu’il faudra traiter. L’histoire, souvent bonne conseillère, nous a prouvé qu’un état coupé en deux a rarement survécu bien longtemps. Je n’ai pas une liste exhaustive mais nous pouvons nous rappeler de Berlin ouest enclavé en Allemagne de l’est avant la réunification complète. Lors de son indépendance en 1947, le Pakistan est coupé en deux par l’Inde avec une partie orientale et une partie occidentale. Aujourd’hui, la partie orientale est devenue indépendante, le Bangladesh. Des exceptions existent comme l’état de l’Alaska pour les Etats-Unis. Mais les transferts au moins par la mer rendent possibles une liaison directe sans avoir à passer par le Canada. L’enclave russe de Kaliningrad (un des rares ports russes non prisonniers des glaces en hiver) voit aujourd’hui sa flotte décliner.

Alors bien sur, la reconnaissance mutuelle des acteurs comme partenaires crédibles par les différents partis est un préalable. Il en est de même des intentions assez apaisées pour espérer une coexistence pacifique. Mais finalement cette solution (qui n’est pas une solution miracle) à deux états anciennement palestiniens, est-elle si utopique ? Elle ne peut pas être aussi brute que cela. Mais, l’entendant régulièrement ces derniers jours, elle devrait peut être un peu mieux étudiée. La conférence de demain à l’IFRI sur « L’après Gaza » me fera peut être revenir sur cette piste de réflexion !

P.S: Thomas Friedman (éditorialiste au New York Times) propose une solution à cinq états (ou participants).

samedi 7 février 2009

Géostratégie et discussions de comptoir.

Repensant à un ancien billet de Victor Fèvre défendant que la zone d’intérêt de l’Allemagne a été, est et sera orientée vers l’Est, tout en écoutant distraitement des remarques pertinentes d’un amiral à la retraite, j’émis hier une « fumeuse » théorie. Que cela soit par les événements historiques ou dans les imaginaires collectifs, que l’on en soit un habitant ou que l’on habite « en province », que sa reconnaissance soit l’incarnation de valeurs partagées ou alors la représentation de contre quoi on se rebelle, la ville capitale d’un Etat est pour tous un symbole.

Ainsi, le cœur du pouvoir allemand (malgré la distribution des pouvoirs d'un état fédéral), surtout en ce qui concerne la politique étrangère, se trouve dans la capitale : Berlin. Venant corroborer, ce que dit Victor Fèvre, la ville est excentrée géographiquement et se situe plutôt à l’Est du territoire. Ainsi cela peut expliquer cette tendance d’aller s’intéresser en priorité à ses voisins orientaux jusqu’à la Russie. Une sorte de déterminisme géographique selon la localisation de la capitale.

Paris est située au Nord de l’Hexagone. L’implication ancienne de la France dans la construction européenne avec les pays frontaliers Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Allemagne ne fait que confirmer le grand intérêt pour son glacis Nord-est. Mais la façade maritime et terrestre Nord/Atlantique ne suffit pas à définir sa zone d’intérêt. En effet, la forte densité de population (les importantes agglomérations lyonnaise et marseillaise) des régions proches de la Mer Méditerranée favorise une dualité géostratégique de la France. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les tentatives présidentielles de jongler entre l’UE et une Union pour la Méditerranée. Ce que l’Allemagne, peu impliquée au Sud, ne peut comprendre.

Pour la Russie, je n’ai malheureusement pas trouvé de chiffres mais une écrasante majorité (+ ou – 80%) de la population habite dans le tiers ouest de l’immense territoire. Moscou, la capitale d’un état central fort, y est aussi. Pourtant la politique russe hésite en faisant pencher la balance entre son Est avec les lumières de l’Asie et son Ouest européen. Cela peut aider à comprendre les péripéties des crises gazières comme des tentatives de choisir définitivement. Les immensités désertiques sur le plan démographique de l’Est russe seront certainement des facteurs restrictifs aux tentatives développement orientale.

Pour toute personne qui s’intéresse un peu aux relations internationales, le résumé de la prospective des prochaines années prévoit un déplacement du centre de gravité mondial vers une zone encore mal définie de l’Asie du sud. Or même si les études parient pour cet état de fait à l’horizon 2020-25, plusieurs centres disputent ce monopole.

Sans négliger un « effet de mode », l’extrémité Nord du globe prend un intérêt chaque jour plus important (voir l'excellente étude ici sur Quindi ou les remarques sur EGEA ici ou ici). Futur lieu à court terme d’un partage (et de disputes) de richesses peu exploitées, zone de rencontre de plusieurs continents aux frontières ambigües, le Nord fait parler de lui. Malgré tout, par son emplacement géographique, ce "centre" ne concerne que directement un bon tiers de la planète.

Enfin les actualités récentes au Proche et Moyen-Orient ne me semblent pas être les derniers soubresauts d’une ancienne tendance lourde d’instabilités. Le renouvellement des problématiques, l’accentuation de certaines ou les impasses pour de nombreux problèmes ne permettront pas de sous-estimer ce centre de gravité. Le fait même que l’on entende beaucoup plus des acteurs extérieurs aux problèmes que les principaux intéressés ne peut en rien aider à trouver des solutions durables. Les opinions publiques chauffées à blanc par les récentes opérations de Gaza ne feront pas retomber leur colère de si tôt.

Ainsi pas de quoi révolutionner la pensée stratégique française, mais cela permet au moins de s’évader quand un participant d’une conférence tente de convaincre un respectable intervenant de la réalité de je ne sais plus quel complot. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de chercher si ce que je viens d’écrire a déjà été défendu par d’autres, car sinon j’ai encore perdu une bonne occasion de me taire.