Cette dernière question est la suite de l'entretien mené avec Gregor Mathias, auteur d'une biographie extrêmement complète sur David Galula parue récemment en Français aux éditions Economica. Merci encore à lui pour le temps consacré à y répondre.
Point très intéressant soulevé dans votre travail, le rapport à l’information. Qu’est-ce que Galula mettait en place pour penser et agir dans ce domaine en termes d’opportunités plus que de menaces ?
La réflexion de D. Galula sur la guerre contre-révolutionnaire accorde beaucoup d’importance au contrôle de l’information. D’autres théoriciens, dont le colonel Lacheroy, avaient également compris l’importance de l’information dans ce type de conflit. La création des 5e Bureaux en Algérie initiée par le colonel Lacheroy avait d’ailleurs pour but d’influencer l’opinion publique par des expositions de photographies, des projections de films de cinéma, des affichages de slogans, des réunions publiques défendant l’action de la France en Algérie. Or cette action des 5e Bureaux est perçue par tous les officiers SAS et D. Galula lui-même comme extrêmement simpliste, en décalage complet avec les attentes et la mentalité de la population et donc totalement inefficace.
Crédits : ECPAD.
L’originalité de la réflexion de D. Galula concernant le contrôle de l’information se trouve dans le fait que celle-ci doit accompagner chaque étape de sa tactique de contre-insurrection et qu’elle se décline en trois cibles (les forces loyalistes, la population, les insurgés). D. Galula perçoit très vite l’influence que prend un nouveau média sur une population analphabète et très crédule : la radio. La radio a dans les années 50-60 la même importance qu’a pris Internet pour nous à la fin du XXe et au début du XXIe. L’information s’affranchit des frontières et raccourcit la distance et le temps entre l’événement et l’auditeur, d’autant plus que le récepteur radio est peu onéreux à l’achat. L’information n’est plus contrôlée par l’Etat, elle peut être manipulée par un adversaire et être rapidement amplifiée à tous les transistors et par le bouche à oreille.
Le général Ely, chef d’état-major de la Défense nationale, est conscient de la menace que représentent les radios étrangères dans la propagation de fausses nouvelles ou de nouvelles déformées, des appels à la révolte ou au meurtre en Algérie et en métropole. D. Galula va servir de 1958 à 1962 à « la division de l’information », structure politico-militaire dépendant à la fois de l’état-major de la Défense nationale et des services du Premier ministre. Ce comité fonctionne comme un service interministériel regroupant tous les ministères et les administrations intéressés par l’information : la Radiodiffusion et la Télévision françaises (RTF), le ministère de l’Information, le ministère de l’Outre-mer, le ministère de la Défense et les services secrets (SDECE). La division de l’information cartographie les menaces en fonction de la puissance de l’émetteur et du nombre d’heures de fréquence des radios « ennemies », que sont les radios des pays de l’Est, des pays arabes (l’Egypte, le Maroc, la Tunisie) et de pays africains (la Guinée, le Mali). Cette propagande radiophonique risquait de déstabiliser la métropole, l’Algérie et les pays de la Communauté (pays africains francophones souhaitant conserver des liens politiques avec la France).
Les archives nous montrent que face à des menaces de propagande virulente antifrançaise, D. Galula a un rôle de propositions de modalités d’action s’appuyant sur les leviers diplomatique, technologique (brouillage en Algérie et en métropole), d’opérations clandestines (du SDECE) et de contre-propagande (par la RTF). Il s’agit d’une réponse défensive à une menace. Comme son supérieur le général Ely, D. Galula est conscient que dans le domaine de l’information, il faut également prendre des initiatives et avoir une vision plus offensive. Mais les opportunités d’action sont restreintes en raison de la faiblesse du dispositif radiophonique.
D. Galula mène un véritable audit du matériel radiophonique de diffusion et de brouillage en Afrique de la Communauté. Il contribue à compléter le dispositif radiophonique en Algérie. Il prend rapidement conscience de la nécessité d’avoir une radio francophone internationale capable de contrecarrer l’influence de puissances rivales en Afrique francophone et d’avoir une vision française de l’information, prélude à ce que sera RFI. Il expérimente avec des ingénieurs des intrusions sur les ondes adverses : il s’agit d’émettre sur la même onde ou une onde proche de la radio visée et de diffuser des fausses informations en se faisant passer pour la radio ennemie. L’action est très délicate du point de vue technique, mais ce type d’action préfigure ce que sera la guerre électronique.
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