Il y a déjà plus d’une semaine, le "super typhon" Haiyan touchait les Philippines, avant d’atteindre, avec une puissance moindre, le Vietnam puis la Chine. Faisons l'économie de la contextualisation car la presse a massivement investi le sujet, tant il n'existe aucune autre affaire (hormis, depuis hier soir, la défaite de l'équipe de France de football en Ukraine, grande cause nationale du moment qui vaut bien une course aux reportages).
De la réaction française à cette catastrophe qui a lieu à quelques milliers de kilomètres d’un bout de terre français, il n’y aura que peu d’échos. Normal. Il y a bien peu de choses à dire sur la diplomatie humanitaire française. Ou plutôt si. Il y a une grande question à poser : existe-t-il encore une diplomatie humanitaire en France ? Définie comme une diplomatie mobilisatrice autour de causes humanitaires, autour de causes humanitaires, elle vise à faciliter l’accès aux victimes, faire accepter les différents acteurs de l’aide, coordonner sur le terrain cette aide, etc.
Nous aurions pu nous attendre à ce que le porte-hélicoptères Jeanne-d'Arc prête assistance comme lors du séisme et tsunami en Indonésie en décembre 2004. L’opération Beryx (cf. ici un retour d’expérience) mobilisait à l’époque 70 personnels de la Sécurité civile, l’équipage d’une frégate, 12 hélicoptères de transport ou de reconnaissance, 2 appareils de transport tactique Transall, 1.400 militaires environ, etc. Ah oui, où avons-nous la tête, la Jeanne-d'Arc a été retirée du service en juin 2010 et non remplacée. A vrai dire, il semblerait qu'il n'y ait pas de navires militaires français dans les environs immédiats. Pas de chance. Par contre, il y a une escadre américaine (porte-avions, bâtiments amphibies, navires-hopitaux, etc.), des points d’appui en action (Guam, Japon, voir Australie), etc. L’incarnation concrète du pivot vers l’Asie, en somme. Même les Anglais ont envoyé le HMS Daring depuis Singapour, un C-130, un C-17, etc.
Suite au typhon (qui a eu lieu la semaine dernière, rappelons-le), la Sécurité civile aurait envoyé seize (16) sapeurs-pompiers de l’UIISC1 (unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile) de Nogent-le-Rotrou via un avion-cargo affrété pour l’occasion, en attendant l’arrivée de quarante (40) autres sapeurs-pompiers en début de semaine prochaine. C'est impressionnant… Récemment, sur Twitter, sur le compte @Tsahal_IDF, nous pouvions apercevoir la photographie de cinq (5) membres des forces armées israéliennes ayant contribué à un miracle au milieu de ce maelström de drames et de catastrophes. Il est vrai que, en matière de communication opérationnelle à destination des audiences nationales ET internationales, nous avons grandement progressé en France sur l'accompagnement de l'action des forces armées dans la sphère médiatique… Encore faut-il avoir des pépites informationnelles à exploiter.
Nous sommes surpris par la faible ampleur des moyens aériens qui ont été mobilisés. Pourtant, la France a reçu 2 appareils de transport stratégique A400M. Ah, grand malheur, ils ne sont pas encore pleinement opérationnels. Ils le sont suffisamment pour que des A400M d'Airbus Military puissent transporter des cendres (et les lâcher en plein vol) ou le Président de la République, mais pas pour convoyer 30 tonnes de médicaments avec une cocarde tricolore de quatre mètres par trois posée sur la carlingue. En effet, le standard machin chose n'a pas été encore atteint. A noter que pendant l'opération Baliste en 2006 au large du Liban, le BPC (Bâtiment de projection et de commandement) Mistral n'avait pas encore été déclaré opérationnel, bien qu’employé à faire des norias pour évacuer des ressortissants vers Chypre. C'est un bien bel investissement que cet A400M, dommage que le Livre blanc de 2013 limite (en théorie seulement) son rayon d'action à 5.000 km... Heureusement, les caractéristiques demandées au programme A400M n'exigeaient pas un avion de transport intercontinental. De plus, il est si bien connu que dans un rayon de 5.000 km autour de Paris, nous atteignons les limites de la Terre. Celle-ci étant plate, nous tombons ensuite dans l'espace après en avoir atteint les limites...
Certains représentants de la France avaient pu constater lors du dialogue de Shangri-La, forum annuel international sur la sécurité, à l'été 2013 à Singapour que certains pays-riverains de la France en Asie du Sud-Est se moquaient (un peu ? beaucoup ?) de l'affirmation martelée avec force : "La France est une puissance de l’Asie-Pacifique". Notre réponse au typhon Haiyan peut-elle leur donner tort ? Aux ambitions (élevées) exprimées dans le Livre blanc, qui a fait le choix (à souligner) de ne pas négliger l’Asie et le Pacifique, manquent-ils les moyens permettant de les concrétiser ?
Heureusement, aujourd'hui, la perspective a été renversée... Un BPC a débarqué des moyens au plus près des victimes avec sa batellerie. L'armée de Terre a réussi le tour de force extraordinaire de convoyer une demi-douzaine d'hélicoptères de manœuvre en état de marche sur ce navire. L'aide humanitaire française a été convoyée par les deux A400M qui ont donné de leur précieux temps d’essais en vol pour montrer qu'ils servaient à quelque chose. Depuis nos îles du Pacifique, des appareils Transall sont arrivés et participent au transport des personnes qui sont accueillis dans notre hôpital de campagne, le Service de Santé des Armées n'étant pas en surchauffe... Sur place, l'ambassadeur de France, accompagné d'un officier général et d'un haut-responsable de la Sécurité civile, coordonne l'arrivée de l'aide française et le travail des associations et organisations humanitaire. La communication sur l'évènement est assurée via un compte Twitter dédié (émettant en Français, Anglais et Filipino), avec un hastag pour l’opération.
Nos partenaires notent alors avec intérêt notre présence dans la zone en ces heures si difficiles. La continuité de l’opération leur paraît évidente avec notre actuelle diplomatie militaire d’échanges bilatéraux, de coopérations structurelle et opérationnelle par la formation des forces armées locales, avec nos récentes escales dans les ports de la région faisant partie de notre diplomatie navale, avec les fréquents passages sur certains aéroports de la région lors de transits depuis la Métropole ou d’exercices, incarnations de notre diplomatie aérienne, avec les partenariats politiques et industriels tissés hier, aujourd'hui et demain lors de prospections pour des contrats d’armement, etc. Tous s’accordent à dire, « oui, vraiment, la France est bien une puissance de l’Asie-Pacifique ».
Au final, est-ce que les quelques lignes ci-dessus sont une fiction sur une occasion (en partie) manquée ou le compte-rendu d'une réalité de demain ? Une illustration d'un rôle de la France en Asie-Pacifique s'appuyant sur des choix très clairs comme peut le sous-entendre la lecture du Livre blanc qui cite particulièrement l'Indonésie, la Malaisie, Singapour et le Vietnam (un des pays touchés) mais pas les Philippines, ainsi que la stabilité de la zone et la liberté de navigation comme priorités, mais non le soutien en cas de crises humanitaires ? Ou alors est-ce une illustration de notre difficulté à définir notre puissance à la lueur de nos moyens disponibles pour ce grand jeu asiatique, qui, il faut le reconnaître, nous dépasse un peu ?
Au final, est-ce que les quelques lignes ci-dessus sont une fiction sur une occasion (en partie) manquée ou le compte-rendu d'une réalité de demain ? Une illustration d'un rôle de la France en Asie-Pacifique s'appuyant sur des choix très clairs comme peut le sous-entendre la lecture du Livre blanc qui cite particulièrement l'Indonésie, la Malaisie, Singapour et le Vietnam (un des pays touchés) mais pas les Philippines, ainsi que la stabilité de la zone et la liberté de navigation comme priorités, mais non le soutien en cas de crises humanitaires ? Ou alors est-ce une illustration de notre difficulté à définir notre puissance à la lueur de nos moyens disponibles pour ce grand jeu asiatique, qui, il faut le reconnaître, nous dépasse un peu ?
Article écrit à 4 mains et 2 claviers avec Le Fauteuil de Colbert
Les propos tenus ne représentent que l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas les institutions ou sociétés pour qui ils ont été ou sont employés...
4 commentaires:
Bonjour,
Je trouve votre critique de l'A400 assez ridicule. Bien évidemment cet avion pas plus qu'aucun autre ne peut transporter 20-30t sur 10000km en un seul vol. Est ce pour autant que c'est un mauvais avion ne répondant aucunement à nos besoins ?
Nous avions le C-160, nous commençons à avoir le A-400 c'est un saut qualitatif énorme. Ces appareils arrivent (lentement) en service (2) et les équipages apprennent à l'utiliser, est ce utile de vouer aux gémonies cet investissement. Eussions-nous posséder des C-17 cela aurait-il changer quelque chose ?
@Montaudran :
Aucune critique fondamentale sur l'appareil en lui-même (encore moins une demande pour que techniquement il puisse faire des milliers et des milliers de kilomètres, soit un nouveau mouton à 5 pattes in-développable), mais bien sur l'impasse dans laquelle la France est actuellement vis à vis de son action souhaitée et possible dans cette région du monde.
Le Livre blanc rappelle une zone de déploiement théorique de 5.000 (ou 3.000 km dans le nouveau LB, de mémoire) qui correspond dans certaines directions à aucune réalité géostratégique. Les remarques étaient bien pour souligner cette notion toute théorique des 3.000 (ou des 5.000).
En effet, vivement (doublement même) qu'ils arrivent dans les forces, ils sont plus que nécessaires.
Bonjour,
En fait plus que la distance franchissable de l'avion ce que vous pouvez critiquer c'est notre manque de force pré-positionnées sur une zone où nous nous affirmons une puissance.
Si nous avions moulte A-400 on pourrait avoir des avions à demeure sur des bases à la Réunion ou mieux en nouvelle Calédonie et nous pourrions effectivement être réactif et efficace dans cette zone. Il n'est pas possible d'être une puissance à 10000 km de la métropole sans relais.
En effet, les quelques CN-235 Casa présents dans la zone permettent sans problème d'aller d'île en île, moins de passer facilement du Pacifique à l'Asie du Sud-Est pour se projeter comme une puissance que nous entendons être.
Enregistrer un commentaire