Qui aujourd’hui participe au rayonnement de l’armée de Terre et à l’élaboration d’une véritable culture stratégique terrestre auprès des décideurs et des opinions ? Où est le rayonnement passé du Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (CDEF) ? Ne faudrait-il pas mettre en place (enfin) une stratégie d’influence pour promouvoir les capacités "Terre" ?
Sans être omniscient par ma vision des choses et sans être au courant de tous les projets, j’ai comme l’impression que sur ces points quelque chose ne tourne pas rond depuis quelques mois. A la veille de grandes décisions, est-ce vraiment sain ?
Alors reprenons par le début.
Après une période d’intense influence, en particulier porté par le durcissement de l’engagement en Afghanistan, l’intérêt porté à l’armée de Terre semble en déclin. A ce rythme, cette absence d’attention (médias, opinions, décideurs) pourrait rompre l’équilibre nécessaire à une action en symbiose des différentes composantes des forces armées françaises.
Le propos n’est pas de faire jouer et de raviver les querelles de chapelles interarmées. Ces rivalités ne doivent pas avoir raison d’un intérêt supérieur qui est l’efficacité opérationnelle et l’atteinte optimale des objectifs fixés. Chaque composante a ses atouts, se doit de les conserver, pour arriver aux buts.
Or aujourd’hui, moins l’opinion entend parler de l’Afghanistan mieux les autorités (politiques certainement, militaires sans doute…) se portent. Or l’Afghanistan était la vitrine sur laquelle l’armée de Terre, sans doute parfois à l’excès, appuyait son argumentaire pour faire prévaloir son utilité. Elle faisait enfin sur ce théâtre ce pourquoi elle était destinée.
Or ce silence imposé arrive à un mauvais moment. Il arrive à l’heure des choix que sont les discussions budgétaires, les débats avant les présidentielles, les réflexions portées sur le Livre Blanc, etc.
A cela s’ajoute l’effet Harmattan en Libye, opération qui consacre l’action du volet le plus aérien de l’armée de Terre, les hélicoptères de l’ALAT, et surtout l’apport de l’armée de l’Air et la Marine. Une sorte de « Air-Sea battle » à la française dans lequel l’armée de Terre serait absente du faite de la sous-traitance du volet Terre à des forces armées locales.
Se joint à ces points conjoncturels, la difficulté, pour ne pas dire autre chose, d’un des organismes auparavant les plus influents de l’armée de Terre. Les études du CDEF étaient citées par les universitaires et les think-tank comme des références, reprises et commentées sur la blogosphère stratégique, des officiers du CDEF intervenaient dans la presse, etc.
Aujourd’hui, vu de l’extérieur et comme observateur qui suit un peu ces questions, le CDEF semble renfermé sur lui même, n’assurant que les missions (et elles ne sont pas simples déjà à assurer) destinées à l’interne, aux forces terrestres.
Le CDEF (en charge du retour d’expérience, de la doctrine et de la simulation au sein de l’armée de Terre) avait participé par son rayonnement au développement d’une culture « Terre » dans les esprits d’une certaine frange de l’opinion publique. Il avait même sans doute touché un certain nombre de leaders d’opinions et de décideurs.
Hélas (ou tant mieux pour certains), aujourd’hui l’heure n’est plus à la contre-insurrection (même si après l’avoir porté sous les projecteurs, il ne faudrait pas non plus entièrement en rejeter tous les apports). Le CDEF avait bâti, en partie, sa réputation comme agitateur d’idées par des réflexions à ce sujet. Or, aujourd’hui, le recyclage post ère de la COIN n’a pas été faite.
Or seuls ceux qui s’adaptent survivent. Ce qui est vrai pour les becs des oiseaux de Tonton Darwin est dans une large part aussi exact pour les institutions et les organisations. Et ce mouvement de sélection est d’autant plus violent dès lors que des coupes draconiennes sont à l’ordre du jour sous l’effet de restrictions budgétaires.
Je ne sais pas où en sont les projets de fusion entre le CESAT (autre organisme participant au rayonnement de l’armée de Terre) et le CDEF ? Où en est l’interarmisation de la fonction doctrine sous l’égide du CICDE ? Du retour d’expérience uniquement réalisé par l’Etat-Major des Armées ? De la composante rayonnement par armée au sein de l’IRSEM ?
En attendant cela, où est la véritable stratégie d’influence « Terre » ? Comme bloggeur, je reçois toutes les semaines des mails émanant des organismes quasi similaires de l’armée de l’Air (le CESA) et de la Marine (le CESM). Mais rien du CDEF. Les dernières mises à jour sur le site de ce dernier datent de je ne sais plus quand. La dernière étude qui s’intéresse au CDEF n’est pas faite par le CDEF mais par l’IFRI (qui bien qu’ayant des liens établis avec le CDEF n’en a pas à être le porte flambeau non intentionnel).
Et pourtant des sujets d’études, ils n’en manquent pas à proposer à la critique et à la lecture de tous. Où sont les réflexions sur les sujets égrenés par les différentes autorités militaires ? La formation des armées étrangères ? Les différents impacts du combat info-centré ? Les guerres hybrides ? Les capacités de remontée en puissance ? Les actions sur le territoire national ? Etc.
Nul besoin de faire des études 70 pages dessus, mais simplement de proposer des hypothèses sous un format d’une dizaine de pages, des tours d’horizons pas plus imposants.
Les outils de communication (Web 2.0 pour ne citer qu'eux) et les ressources existent. Une main d’œuvre nécessaire doit encore exister du côté d’une certaine division du CDEF pour alimenter le débat, montrer que l’armée de Terre peut servir à quelque chose. Et qu’elle mérite que l’on s’y attarde car elle est d’une réelle utilité.
L'armée de Terre peut être à l'avenir un véritable effecteur efficace et utile.
La lapalissade auto-justificative déclamée ad nauseam et qui dit que « toute guerre se commence et se termine à terre » se doit d’être développée et illustrée. Seulement après cet effort d’importance, la plus-value et l’importance du volet « Terre » seront garanties. Car sinon, dès demain, c’est, entre autres, à ses budgets alloués que l'armée de Terre sera attaquée.
La diffusion d’une culture Terre est donc à développer par les Forces, pour les Forces et pour préparer demain. Est-ce par le CDEF ? Si ce n’est plus en partie par cet organisme, encore en faudrait-il un autre pour prendre le relais.
Et ainsi, le rayonnement en berne d’une organisation à qui il échoit une très lourde tâche ne sera plus le symptôme d’un mal touchant, à mon avis très personnel, plus largement une institution.
Et vous qu'en pensez vous ?
NB : aucun des propos précédents n’est une attaque ad hominem. Le CDEF a été une maison à laquelle je dois beaucoup et auquel je reste attaché. J’y ai passé presque deux années vraiment exaltantes sur le plan personnel et professionnel. Et cela je ne peux l’oublier, malgré la teneur de ce point de vue que certains pourraient croire acerbe.
4 commentaires:
Votre commentaire est trés vrai. mais comment faire autrement quand l'expression des militaires se réduit à de formidables études sur la manoeuvre de la phalange grecque ou tout autre évènement datant d'au moins 200 ans? Il suffit pour cela de se souvenir du cas Général Desportes avant son départ de l'institution sans évoquer celui d'autres officiers encore en service. Quand les stagiaires de l'Ecole de Guerre publient dans le cadre de leurs études, l'institution rappelle aussitôt que ces articles n'engagent que leurs auteurs. Bref, le droit d'expression des militaires s'est réduit à des sujets certes intellectuellement gratifiant mais déconnectés des affaires du moment. Comment voulez-vous alors que l'armée de terre intervienne dans le débat? Comment évoquer l'adaptation de l'outil terrestre sans évoquer les politiques d'équipement et les choix politiques qui les guident? Il est sûr que si le débat se concentre sur l'assault du groupe d'infanterie sur un poste tenu par un trinôme ennemi, il y aura peu à redire. Encore que cette discussion nous amènerait à évoquer un possible ennemi, et là on entre dans un champ qui nous est désormais interdit!
Mon commandant,
Merci pour votre commentaire.
Sur les contraintes qui pèsent sur la prise de parole, elles sont à mon avis de plusieurs ordres. Une pression des supérieurs (militaires et/ou politiques si ce distinguo peut être pertinent…) qui encouragent à la prise de parole mais seront les premiers à rappeler à l’ordre si des bornes (lesquelles d’ailleurs ?) sont dépassées.
Une pression de corps (il est mal vu de prendre la parole car si on le fait c’est par carriérisme, c’est par corporatisme, etc.).
Et une pression, que, à mon avis, les militaires se mettent eux-mêmes (c’est cette dernière qui est la plus simple à se défaire). En gros, je suis persuadé qu’il existe des niches et des marges à saisir pour prendre position (sans faire exploser le statut général du militaire). Cf., par exemple, les cas de commentaires, de publication sur le web. Pas simplement par « les grandes figures » connues.
D’ailleurs, plus il y aura de prises de parole, plus elle sera facilitée. Autant, il est simple de faire taire une figure de proue (qui se sent bien seul), autant il est complexe de faire taire plusieurs voix… Cela sonne « un peu » appel à la dissidence et à la révolution ces propos, mais ce n’est pas le propos et je pense qu’il y a moyen de le faire intelligemment.
Sur le contenu, par la nature de la guerre, même « les questions tactiques » sont politiques. Donc toute pensée pourra être brimée au nom de ce facteur « politique ». Ecrire, c’est aussi prendre en compte le facteur « risque » (pour sa carrière, entre autres). Pour une publication et pour toute action.
Donc parler de modèles de Défense, de budgets, d’équipements, d’organisation demande de proposer habillement et non d’affirmer (qui peut prétendre détenir LA vérité ?), de sous-entendre et de faire comprendre, et d’indiquer en toute modestie que cela n’a rang que de propositions.
Positionnement sacrément complexe (et suffisant, je ne sais ?) qui demande sans aucun doute une forme de courage, d’agir pour des résultats (non personnels mais collectifs) à long terme et non à court terme.
Dans ce fouillis de propos qui tient lieu de réponse, soyez sur mon commandant, que je suis loin d'être convaincu de détenir la vérité et de penser que cela est simple à mettre en œuvre.
Ce billet est un ressenti. Est-il vrai et nécessaire ? Je ne sais… Avec mes vingt-quatre printemps, je n'ai pas cette prétention. Je l’ai encore moins en étant bien tranquille, derrière mon écran, et en ne portant pas l'uniforme.
Alors sincèrement bon courage à vous
Florent
PS : la mention sur le fait que les propos prononcés n'engagent que les auteurs est aussi surréaliste... A mon avis. Je ne suis pas sûr qu'une phrase prononcée en début d'un colloque ou écrite en début d'un article suffise pour faire perdre le marqueur "Institution" à l'orateur ou à l'écrivain...
Sinon, il suffit d’écrire quoique ce soit dans un journal ou sur un blog, de ne pas mentionner son grade et son unité, et de mettre en gros « cela n’engage pas l’Institution … ». Vraiment bon courage.
Mon cher Florent,
ne voyez pas dans mon commentaire une quelconque critique à votre encontre. Je ne fais qu'exposer des faits qui, à mon sens, expliquent en partie l'absence de débat au sein de l'AdT sur son rôle dans le guerre. Je n'ai pas non plus la prétention de détenir la vérité.
Pour revenir à votre sujet initial, je pense être un convaincu de l'interarmées. A ce titre, je crois fermement que le débat sur la part que chaque armée possède dans une intervention est totalement dépassé. Dans un monde idéal, seul le but final à atteindre guiderait cette répartition des tâches, sans arrière pensée du type tout ce qui vole m'appartient, tout ce qui flotte t'appartient et la gloire de la victoire me revient, car l'actuel débat se situe bien à ce niveau là. Je pense que les armées n'ont rien à gagner à s'opposer les unes aux autres pour des parts de budget, cela ferait trop facilement le jeu des fonctionnaires de Bercy qui seraient amenés alors à "tailler" dans les programmes. En tant que terrien, je m'inquiète autant du manque de rafales constaté dans l'opération HARMATTAN que de celui d'hélicoptères tigre ou encore du trop faible taux d'unités d'infanterie que de la nécessité d'aligner plus de frégates. Dans son dernier ouvrage, Xavier Raufer met l'accent sur l'absence coupable de débat autour de la question "quel ennemi pour demain". Cette question me semble cruciale et la seule à pouvoir alimenter celle des capacités interarmées à détenir, permettant alors de se demander: des armées, pour quoi faire, quel rôle pour l'AdT.
Sur l’interarmées et le besoin (ou non) d’unités spécialisées par milieu, c’est en fait le point faible de mon propos.
J’avais décidé de publier en me disant que la grande révolution de la suppression des limites Air/Terre/Mer n’était pas pour demain.
Déjà que nous ne sommes pas passés aux GTIA permanents, les unités interarmées de bout de chaine (de contact et non de commandement, de soutien ou de différentes spécialités) ne seront pas pour demain.
Et pourtant, des régiments cohérents fonctionnaient dans le passé avec artillerie du colonel, escadrons montés, sections de génie-combat, etc. Mais bon, c’était avant.
Aujourd’hui, puisque nous avons encore du mal à penser « système », à chaque fois la spécialité distinctive reviendra dès lors que l’on aura besoin de catégoriser par spécialités.
Evidemment que l’interarmées est une nécessité (depuis des lustres d’ailleurs). Mais, dieu sait (il est sait beaucoup de choses) que la tentation sera d’agir si possible en autonomie dès lors que cela sera possible. Dès lors que des unités constituées seront sécables par milieu.
Aujourd’hui pouvons-nous passer sans perte des savoirs propres à chaque milieu de la structure actuelle à une structure « réellement » interarmées aux plus bas échelons ? Grande question. J’aimerais lire des avis là-dessus, des propositions. J’ai bien quelques modestes idées là-dessus mais qui se heurte aux champs des possibles, des habitudes, etc.
Après pour la question de l’ennemi comme point de départ de la réflexion, je ne sais pas. Ne serait-ce pas trop limitant pour les missions possibles des armées ?
J’aurais tendance à partir du « ce que je veux faire » (mon projet) et à définir l’ennemi que comme un facteur limitant de la réflexion (une contrainte plus qu’un absolu).
Vision peut être très « impérialiste » pour certains. Est-ce applicable aujourd’hui, je ne sais.
En tout cas, merci de passer par ici pour stimuler la réflexion
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