En complément de notre dissuasion nucléaire (notre futur calvaire budgétaire du fait de la renouvellement à venir d'une des 2 composantes et de la rénovation à mi-vie de certains porteurs...), l'intimidation stratégique vise à amener un adversaire à renoncer à initier, développer ou poursuivre une action agressive, en affectant sa détermination par la crainte des conséquences qu'il aurait à supporter s'il persistait dans son entreprise.
Non appelée "dissuasion conventionnelle" pour ne pas venir empiéter sur la rhétorique de la fonction stratégique "dissuasion nucléaire", cette intimidation stratégique offre aux décideurs politiques et militaires des modes d'actions conventionnels progressifs et complémentaires, entre action diplomatique et action militaire, influence douce et emploi de la force via le triptyque : montrer la force / menacer / contraindre (cf. la réflexion doctrinale à ce sujet du CICDE de janvier 2012).
En Syrie, aujourd'hui, nous sommes dans ce cadre, que nous le souhaitons ou non (plutôt mon cas). Et, pour résumer, "certains passent pour des cons". Après un discours offensif ("punir"), le chef des armées est ensuite obligé de temporiser du fait, notamment, du fait d'un couplage action politique/action militaire pas clair et de préalables non remplis. C'est le cas de la légitimité internationale bancale et de l'attente, un minimum oublié par certains, de l'enquête de l'ONU.
Sans doute, est-il aussi alerté de la persistance de lignes de rupture à prendre en compte au sein de la société, en plus de réticences internationales légitimes, si ce n'est de la sage prudence de certains. Le calme des vieilles troupes ne s'improvise pas (cf. la discrète présence du président américain, qui, en retrait, attend, laissant ses secrétaires, pour le moment, en première ligne, avant sans doute de repasser devant au moment adéquat. Quelle différence...).
Cette rhétorique parfois balbutiante avec des objectifs critiquables, dans un agenda pour le moment mal maîtrisé, fait perdre en crédibilité, donnant l'impression d'une impréparation et/ou d'une faiblesse sur la définition des buts et des voies. Or, dans le même temps, la dialectique des volontés avec l'adversaire, qui pourrait avoir rajouté de l'intolérable à ce qui avait été toléré jusque là, est pleinement engagée.
Afficher sa détermination est le premier préalable, la question de disposer des moyens matériels de sa politique pour représenter une menace crédible venant après. Cette question est aujourd'hui largement débattue, cf. les propos de Michel Goya (profitez-en avant qu'il ne puisse plus parler...), Joseph Henrotin ou Jean-Marc Tanguy.
Il y a donc une combinaisons de possibles via notamment :
- l'apport de nos forces prépositionnées, que certains voulaient voir réduites dans le LBDSN... Contrairement à ce qu'indique RFI, il n'y a rien d'inhabituelle à la présence de 6 Rafale (avec des capacités air-air en cas de zone d'exclusion aérienne) à al-Dhafra aux EAU. Ils pourraient être même positionnés plus prêts, notamment en Arabie Saoudite, en janvier 2012, un exercice ayant permis de découvrir la base de Tabouk à l'Ouest ;
- l'apport des sous-marins (SNA), cela doit grenouiller dans les fonds, et le canal de Suez, la Mer Noire comme le détroit de Gibraltar doivent être scrutés avec soin pour observer les possibles renforcements des capacités des uns et des autres (la Russie annonce ainsi l'envoi d'un navire anti-sous marin et d'un navire lance-missiles) ;
- les capacités de renseignement, notamment satellites (cf. cet article sur les perspectives françaises dans le domaine). La présence de forces spéciales, annoncée ici ou là ne repose, pour le moment sur aucun faisceau d'indices fiables (cela rappelle le cas libyen où les premières images sur Al Jazeera n'arrivent qu'en juin) ;
- évidemment, le groupe aéronaval. Alors que le porte-avions n'a toujours pas quitté Toulon, il lui faut plusieurs jours de montée en puissance, 2 à 3 jours de mer pour rallier le théâtre (+/- 2700 km pour Toulon-Tartous), etc. Ne chipotons pas, c'est dans la combinaison des moyens qu'il peut-être utile, non en lui-même (message aux ayatollahs du Charles de Gaulle) ;
- les capacités cybernétiques et de guerre électronique (brouillage des signaux, localisation des émissions, influence informationnelle, mises hors d'état d'opérer de systèmes, etc.), défensives comme offensives. Toutes les opérations (voir toutes les activités humaines) ayant aujourd'hui des répercussions dans ce champ ;
- les capacités de commandement et de protection anti-aérienne d'une coalition. Si il est confirmé, l'envoi de la frégate Chevalier-Paul s'inscrit dans ce cadre et on relira la claire présentation de ses capacités. La France, ayant pris l'alerte de la composante maritime de la NRF otanienne début janvier, ces capacités de commandement sont rodés;
- les missiles Scalp dans le cadre du ciblage, armements déjà employés par la France en Libye et permettant de tirer hors de portée des défenses anti-aériennes syriennes (cf. sur cette question : A French way to SEAD (suppression of enemy air defense)?). 1 missile possible sous les ailes d'un Rafale Marine (question de poids au catapultage), 2 pour un Rafale Air (qui nous dit que le groupe aérien embarqué est la panacée ? ...) ;
A ce sujet, et malgré la doctrine d'emploi différente quant à la frappe dans la profondeur (une des priorités du Livre blanc) - frappe de saturation pour les USA et frappe de précision pour la France, un chiffre est éclairant. En Libye, lors des frappes préliminaires, 191 missiles de croisière Tomahawk (US et UK) avaient été lancés, soit guère moins que les missiles de croisière (250 Scalp et MdCN) qui sont prévus d'être livrés à la France sur toute la période la LPM 2014-2019...
Pour conclure, les dilemmes propres à cette stratégie d'intimidation stratégique puis, si nécessaire à la stratégie d'intervention, sont loin d'être résolus (cf. l'article très inspiré d'Olivier Kempf sur les postures de chacun et l'ensemble des mauvais choix qui se présentent).
Il est bon de garder à l'esprit le jugement nécessaire pour désigner les objectifs. Cela est notamment le cas pour éviter une montée aux extrêmes clausewitziennes qui, en plus de ne pas être souhaitable, nous ne serions pas en mesure de contrôler, et pour mener une action qui prendrait vraiment en compte nos intérêts, nos valeurs et les autres (selon un ordre à déterminer).
Il est bon de garder à l'esprit le jugement nécessaire pour désigner les objectifs. Cela est notamment le cas pour éviter une montée aux extrêmes clausewitziennes qui, en plus de ne pas être souhaitable, nous ne serions pas en mesure de contrôler, et pour mener une action qui prendrait vraiment en compte nos intérêts, nos valeurs et les autres (selon un ordre à déterminer).
Le calcul (cf. check-list) de nos intérêts (en dehors du nécessaire mais pas suffisant : "faire du bien à notre conscience") doit développer une vision globale prenant en compte (et indiquant clairement nos choix), notamment, sur la question des minorités et la question djihadiste (qui pourrait conduire à frapper certains objectifs, action conforme à nos intérêts).
En somme, expliciter l'après-guerre via une action permettant de poursuivre par d'autres moyens, notamment politique, donnant des portes de sortie et ne conduisant pas au final à ce que l'emploi possible des armes n'entraîne des maux plus graves que la situation actuelle. Elle l'est déjà assez comme cela.
En somme, expliciter l'après-guerre via une action permettant de poursuivre par d'autres moyens, notamment politique, donnant des portes de sortie et ne conduisant pas au final à ce que l'emploi possible des armes n'entraîne des maux plus graves que la situation actuelle. Elle l'est déjà assez comme cela.
Sinon, le scepticisme de certains, notamment le mien, sur ce qui semble se préparer demeurera.
PS : dans le cadre d'une stratégie de moyen terme, le Hezbollah, contrairement à ce qui est souvent dit, peut avoir des intérêts à ne pas voir les opérations contre le régime syrien, son tuteur, comme un "casus belli". Laisser passer l'orage (ou assurer une aide/riposte minimale) pour ne pas
mettre en cause sa survie. On espère ce calcul, surtout pour nos militaires présents au Liban via la FINUL...
MAJ 2 : Une lectrice (merci LB) me transmet un commentaire pas dénué d’intérêts pour préciser le mécanisme à l’œuvre, le voici.
« La définition de l'intimidation stratégique (« vise à amener un adversaire à renoncer à initier, développer ou poursuivre une action agressive, en affectant sa détermination par la crainte des conséquences qu'il aurait à supporter s'il persistait dans son entreprise ») mélange deux choses que le général Poirier a eu, à mon avis, raison de distinguer. C'était dans son ouvrage « Des stratégies nucléaires », si ma mémoire est bonne. Il y distingue donc la « dissuasion » de la « persuasion ». Dans le premier cas (dissuasion), il s'agit d'inciter un adversaire qui a potentiellement l'initiative à ne pas mettre en œuvre son projet par la menace de représailles. On ne « dissuade » donc que quelqu'un qui n'a encore rien fait. Dans le second cas, (persuasion) on a potentiellement l'initiative, et il s'agit d'inciter un adversaire à renoncer à une action dont il a déjà débuté la mise en œuvre, toujours par la menace de représailles. La différence peut paraître un machin d'intellectuel, mais psychologiquement, les données du problème sont assez différentes. Il est beaucoup plus difficile de persuader que de dissuader : quand une dissuasion fonctionne, il ne se passe... rien, et donc celui qui s'est plié à la volonté de l'autre peut s'en sortir la tête haute (il peut toujours dire que s'il n'a rien fait, ce n'est pas parce qu'il y a été contraint, mais parce qu'il n'avait pas envie...). Par contre, la persuasion, dans la mesure où elle vise à interrompre une action en court, manifeste de façon plus évidente l'éventuelle soumission de celui qui a été menacé ».
MAJ 3 : deux articles qui développent plus en avant cette question :
- La Syrie et les défis de la dissuasion (par Corentin Brustlein)
- De l'intimidation stratégique et de son rapport à la dissuasion, quelques réflexions (par Joseph Henrotin)
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