Si il est extrêmement restrictif de ne retenir que ce qui se passe à Kidal pour juger de la situation dans le Nord du Mali, force est de constater que cette localité concentre les attentions, influençant le regard porté sur la rémission pleine d'embûches du Mali. Espace-symbôle par excellence, Kidal est le lieu où une partie des militaires, notamment français, pourraient renouer avec des missions caractérisées par l'inefficience, l'outil militaire ne pouvant se substituer à l'absence d'avancées visibles dans d'autres domaines.
Kidal, l'exemple d'un espace symbole
Située au Nord du Mali dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, presque à équidistance entre le cercle de Gao et la frontière avec l’Algérie, la ville de Kidal est un de ces "espaces-symboles" qui cristallisent l’attention politique et médiatique des audiences locales, nationales et internationales (cf. sur Géographie de la ville en guerre). C'est un "espace-scène" de la violence symbolique où chaque acteur se donne à voir, comme l'explique Bénédicte Tratnjek.
Du fait d'une Histoire inscrite dans le temps long des populations y résidant ou de passage (Touaregs et pas seulement), elle est au coeur d'enjeux quasi existentiels pour un ensemble d'acteurs plus ou moins structurés (Gouvernement, Militaires de différents contingents, MNLA, MAA, HCUA, populations, etc.). Un événement s'y déroulant peut provoquer en cascade un nombre important de réactions (selon une extrapolation de "l'effet-papillon"). Cf. les répercussions à Bamako, par exemple.
Localité d'importance stratégique pour de multiples raisons, elle abrite un certain nombres de forces militaires, afin d’assurer la sécurité de la ville et de ses environs : des militaires français (unités conventionnelles et forces spéciales), des membres des forces armées du Mali (FAMA) depuis juillet 2013 ainsi que des unités de la MINUSMA (des militaires, notamment des Sénégalais, et des forces de police, principalement des Togolais).
Depuis l’arrivée des forces françaises à la toute fin du mois de janvier 2013, elle est le théâtre fréquent de manifestations, plus ou moins spontanées, aux revendications sociales, économiques ou politiques (indépendance de l'Azawad, départ des militaires français, etc.). Face à ces actions d'une partie des populations, les unités déployées opèrent dans un contexte opérationnel particulier, où le moindre événement peut être exploité par un ensemble d’acteurs.
Le contrôle de foules, un mode d'action par défaut ?
En phase de stabilisation les modes d'action utilisés doivent permettre une présence dissuasive et rassurante (patrouilles, rencontres des autorités, etc.), sans pour autant susciter l'exaspération des populations et des autorités locales. En cas de nécessité, il est parfois nécessaire de réaliser du contrôle de foules, une notion propre à l’armée de Terre pour l’action tactique de maîtrise de mouvements de masse hors du territoire national.
Différent du maintien de l’ordre, mission de la Gendarmerie nationale sur le territoire national comme en opérations extérieures, du contrôle de foule a été réalisé au Kosovo (pont de Mitrovica à partir de 1999 ou en mars 2004), en Côte d'Ivoire (autour du camp du 43ème BIMa à Fort-Bouet - Abidjan en novembre 2002), en RCA (en mars 2013 face à l'ambassade de France) ou en Afghanistan (devant certaines FOB en Kapisa en février 2012).
Le contrôle de foules est caractérisé par une capacité d'initiative et de manœuvre au plus bas niveau, une utilisation possible de matériels dédiés (tenues, armes à létalité réduite, équipes cynophiles, etc.), ainsi qu’un possible changement d'attitude (ou réversibilité) en cas de dégradation de la situation (passage à la guérilla urbaine). Une formation spécifique (sur 15 jours), assurée en collaboration avec des Gendarmes, est généralement conduite.
Le contrôle de foules nécessite d’assurer la maîtrise du feu, colonne vertébrale du mode opératoire de maîtrise de la violence, et qui passe par la responsabilisation des plus bas échelons (importance des sous-officiers notamment), en particulier dans l’application des règles d’engagement de l’usage de la force (qui s’additionnent à la légitime défense pour les exécutants). Cela doit permettre la reprise normale des activités et garantir la libre circulation des troupes amies et de la population.
Au final, il ne s’agit pas de rétablir la sécurité publique (mission de Gendarmerie), mais de faire en sorte que ces regroupements n’empêchent pas la force de remplir sa mission (via le contrôle d’une émeute ou d’une manifestation pacifique jusqu'à dans certains cas l’accompagnement de mouvements de réfugiés en passant par la réaction face à une tentative d’intimidation d’une unité isolée). Il s’agit donc d’une réponse très conjoncturelle et non structurelle
Se hâter lentement suffit-il à Kidal ?
Des vidéos tournées (par des sources dont l'objectivité doit être pris en compte) permettent de se rendre compte d'une partie (d'une partie seulement) du quotidien des militaires à Kidal. Elles éclairent certains événements récents, illustrant par les images l'extrême difficulté de mener une mission où la notion d'ennemi est évacué et dont les termes ne permettent pas d'appliquer des schémas simples. En effet, vis à vis de certains, les militaires français ne sont "ni pro, ni anti", selon les termes de l'amiral Guillaud. Mais ils se doivent de gagner du temps, un temps précieux à rentabiliser.
Ces manifestations (allant jusqu’à plusieurs centaines de personnes) ont lieu généralement en périphérie ou hors de la ville, non loin du camp français situé au Sud-Ouest de la ville. Les interactions entre les manifestants (dont des femmes, des enfants en bas âge, plus rarement des hommes adultes) et les militaires se résument, pour le moment, à des bousculades, cris, feux de détritus, plus rarement des caillassages. Des téléphones équipées de caméras enregistrent à chaque fois la scène, prêts à exploiter des dérapages.
Les militaires français (350 hommes environ sont déployés sur Kidal, et une petite cinquantaine environ sont généralement visibles « au contact » des foules) par une attitude dissuasive (via les gestes, la voix, le port visible de leur armement ou encore l’usage de blindés type VAB) tentent de repousser ces foules. Des négociations en parallèle sont menées avec les meneurs identifiés afin de garantir la dispersion des foules.
Lorsque les contingents maliens ou de la MINUSMA sont au contact, ils sont généralement conseillés par des militaires français que cela soit via des officiers insérés (dont l'un est visibles sur cette vidéo en béret bleu) ou par des détachements de liaison et d'appui (DLA qui permettent de coordonner l'action d'ensemble des contingents sur zone et de fournir certaines capacités aux contingents africains: aide sanitaire, déminage, etc.).
Des militaires placés en zone d'instabilité
Quelques jours après un événement dont le déroulé exact est toujours aussi peu clair, plusieurs questions se posent, d'ordre tactique comme politique : quelles sont les compétences détenues par certains contingents, autres que français, pour faire face à ce type de situations (cf. le communiqué de la MINUSMA, par exemple) ? Qu’est-il fait pour traiter de manière pérenne les causes profondes de la situation dont les manifestations ne sont que des conséquences ? Etc.
Alors que la mission actuellement menée par les militaires consiste dans ce cas là à subir pour apaiser (ne pas renvoyer la violence reçue), elle s’avère bien loin de la logique intrinsèque de l’action militaire et de l'emploi de la force où subir, c’est mourir. Espérons donc que dans la poudrière qu’est Kidal, l’abaissement des tensions à un seuil minimal conduise à garantir aux militaires y opérant un contexte opérationnel qui ne dégénère pas et qui soit en cohérence avec leur raison d'être.
En effet, en extrapolant un peu, il s'agit de ne pas retourner à des missions d'interposition aux contours flous qui ont été durant des années une des caractéristiques des mandats confiés aux forces armées françaises par les autorités politiques. Les exemples sont nombreux du Liban au Rwanda, en passant par la Bosnie, le Kosovo ou le Rwanda. Le risque est bien d'avoir des pertes où il sera nécessaire d'expliquer que des militaires ont été tués ou blessés ni par des amis, ni par des ennemis...
La clarté des ordres de la 1ère phase des opérations (destruction des groupes terroristes et reprise du territoire) a été saluée, gage de réussite et garantie que les risques seront assumés. Il doit en être de même aujourd'hui, dès lors que des événements localisés peuvent avoir des répercussions sur toute la Force. Il s'agit bien de ne pas replonger dans la spirale de l'inefficience militaire, où l'emploi des armées est vue comme un outil imparfait de substitution ou de temporisation face à des avancées politiques qui se font attendre.
Parfois, qu'importe la teneur de la politique (sur les questions de développement du Nord, de représentativité de certaines composantes, de décentralisation de l'autorité politique, que sais-je) menée en coulisses. Elle sera jugée "bonne" que si son volet communication est une réussite. Alors, en absence d'ambiguïtés et du fait de sa clarté, elle sera comprise. Dans le cas contraire, les risques perdureront d'une dégradation de la situation. Personne, acteurs locaux ou français, n'aura à y gagner.
MAJ 1 : dans cette perspective, l'entretien avec le Premier ministre malien, Oumar Tatam Ly, est à lire. Il a le mérite de la clarté et du volontarisme.
La clarté des ordres de la 1ère phase des opérations (destruction des groupes terroristes et reprise du territoire) a été saluée, gage de réussite et garantie que les risques seront assumés. Il doit en être de même aujourd'hui, dès lors que des événements localisés peuvent avoir des répercussions sur toute la Force. Il s'agit bien de ne pas replonger dans la spirale de l'inefficience militaire, où l'emploi des armées est vue comme un outil imparfait de substitution ou de temporisation face à des avancées politiques qui se font attendre.
Parfois, qu'importe la teneur de la politique (sur les questions de développement du Nord, de représentativité de certaines composantes, de décentralisation de l'autorité politique, que sais-je) menée en coulisses. Elle sera jugée "bonne" que si son volet communication est une réussite. Alors, en absence d'ambiguïtés et du fait de sa clarté, elle sera comprise. Dans le cas contraire, les risques perdureront d'une dégradation de la situation. Personne, acteurs locaux ou français, n'aura à y gagner.
MAJ 1 : dans cette perspective, l'entretien avec le Premier ministre malien, Oumar Tatam Ly, est à lire. Il a le mérite de la clarté et du volontarisme.
2 commentaires:
Ne faut il pas pondérer tout cela par des facteurs politiques et financiers qui ne sont pas du ressort des armées et surtout pas du ressort des forces projetées? Si les forces mettent en oeuvre des modes d'actions, en fonction de leurs moyens et de la situation locale, ceux ci sont souvent limitée et celle ci est "imposée" au sens des impératifs et des contraintes.
Bien d'accord, il est injuste de ne citer que les militaires comme des acteurs de cette inefficience militaire. Dans certains cas, force est de constater qu'ils le sont. Dans d'autres, ils ne sont pas les seuls acteurs
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