jeudi 13 février 2025

Helsing - Industrialiser et opérationnaliser l'intelligence artificielle embarquée à des fins militaires

Avec les annonces faite par la société fondée en Allemagne Helsing, quelques grandes problématiques industrielles et capacitaires semblent donc avoir trouvé des débuts de solutions, à encore confirmer sur la durée.

- Embarquabilité de l’intelligence artificielle : il s’agit de mettre sur des drones d'une vingtaine de kilos pour moins d'1 m de long et d’envergure : plus de 4 kg de charge explosive, des batteries pour la propulsion et l’alimentation des systèmes, 4 moteurs électriques à hélices, des larges gouvernes (cf. ci-dessous), une partie liaison de données, des capteurs optroniques jour/nuit « pas forcément d’une excellente qualité » (donc avec des coûts pas les plus élevés) mais dont les performances de détection, reconnaissance et identification sont fortement augmentées grâce à des algorithmes qui tournent sur des central processing units (CPU) de taille réduite qui sont installées à bord pour faire du traitement en embarqué. Tout cela doit tenir dans un volume relativement réduit, supporter les contraintes aéronautiques et être convenablement alimenté en énergie.
 

Crédits : Helsing.

- Intégration hardware / software : du fait des profils d'attaque recherchés de la munition télé-opérée (haute vitesse, virages serrés...) pour réduire les possibilités d’être neutralisé de manière cinétique avant de faire but et du fait de l’optimisation nécessaire de la charge utile embarquée, une architecture dédiée a été développée, plutôt que de repartir en se basant sur des designs existants de drones (en propre ou via des compétences extérieures internalisées). L'empennage arrière en forme de croix de Saint André et les 4 moteurs à hélices placés à l’arrière garantissent la possibilité d’avoir ces profils de vol adéquats, notamment pour la phase terminale des vols. Sur le plan des ressources humaines, cela nécessite évidemment de s’ouvrir à des profils autres, alors que la société était jusqu’à présent surtout composée de data scientists, de développeurs, etc. Il s'agit en plus d'avoir pour la société qui développe ce produit une gestion plus maitrisée des coûts et des tarifs, en n'étant pas uniquement sous-traitant d'un fabricant de la partie hardware, quand la part software et algorithmique est généralement plus complexe à chiffrer, à la fois au moment de l'achat, mais encore plus dans la prise en compte contractuelle de l'amélioration continue (A quel rythme ? A quels coûts ? Avec quelles assurances ? Etc.).

- Apprentissage des algorithmes : la génération de munitions télé-opérées HX-2 s'appuie sur l'expérience d'un premier batch de drones d'architecture ukrainienne pour le coup, qui sont employés en conditions réelles et "combat proven" depuis l’automne 2024, et qui embarquait les premiers algorithmes développés par Helsing (sur la partie communication, navigation et observation/frappe). Dans le cadre de l'accord de partenariat pour cette première génération de drones, les données issues des vols et les cadres d'emploi des vols étaient partagés par les utilisateurs finaux et ces industriels ukrainien et allemand. Point clé pour atteindre une performance satisfaisante, il s’agit d’améliorer les algorithmes à un rythme régulier, en favorisant l'apprentissage sur des données non pas générées artificiellement mais opérationnelles et réellement représentatives. Des algorithmes installés à bord des HX-2 sont issus de ces efforts, et des versions améliorées seront installées entre les premières livraisons qui auront lieu sous peu (alors que la production est lancée) et les dernières prévues d’ici quelques semaines. De plus, avec une architecture software pensée pour cela, les premières générations seront rétrofitables avec les algorithmes les plus récents.

- Une production de masse : la maitrise par un seul intervenant de l'architecture du drone et de l'intégration software/hardware offre certaines garanties pour optimiser la partie production, qui est anticipée dès le début. Cela permet d’atteindre de plus un vrai coût différenciant (avec une gamme de prix largement en dessous de 100.000€) et des cadences de production satisfaisantes par rapport aux besoins émis. Les livraisons du premier batch de plusieurs milliers d'HX-2 (de l’ordre de 5 à 10.000 drones) sont prévues pour être réalisées en moins de 6 mois, selon les annonces et si les paiements sont bien réalisés. Le choix d’avoir des spécifications optimisées (par exemple, en termes de vitesse maximale atteinte, suffisante mais pas forcément en poussant au maximum des possibilités) permet également de faire des choix de matériaux et d’équipements à des coûts réduits. Il s’agit de ne pas sur-complexifier.

- Juste autonomie : dans le même ordre idée, et plutôt que de partir dans des choix technologiques parfois radicaux, il s'agit d'allier plusieurs solutions pour à la fois garantir des liaisons de données renforcées et résistantes au brouillage autant que possible et également des phases d'autonomie de navigation (en cas de pertes de signal ou dès que la partie identification de la cible est réalisée pour réaliser la phase terminale d’attaque). Dans ce domaine notamment, la lutte éternelle épée/bouclier est intense, et demande une adaptation permanente, en mixant les réponses. C'est à suivre dans la durée, tant les réponses apportées aux défis demandent une adaptation rapide (de l'ordre de toutes les 3 à 5 semaines).

Ces efforts en cours, non limités à un seul acteur, sont évidemment à suivre, à la fois en termes de produits mais également en termes d’organisation des outils industriels, et d'équilibre entre les acteurs industriels d'une "BITD augmentée", car nécessitant d'associer les acteurs plus traditionnels et les nouveaux acteurs (spécialisés défense ou de secteurs d'activités connexes).
 
L'IA à usage militaire (aux multiples usages) apporte son lot de questions aussi pour la séparation des rôles État/industrie, surtout avec certains organismes (type Agence Ministérielle pour l'IA de Défense - AMIAD, qui rejoindra prochainement le Commissariat au Numérique de Défense) qui peuvant être à la fois prescripteur, acheteur et en partie producteur de produits IA. Entre co-opétition (ou concurrence), collaboration  et arsenalisation, des choix pas si simples sont à réaliser pour atteindre une vraie efficacité (avec des produits à la fois robustes, adoptables et rapidement disponibles). Surtout en prenant en compte les questions de temps long ou de temps court, d'économie des moyens et concentration des efforts (notamment financiers), et des forces armées censées être "data-driven" mais appelées à l'être bien plus (pour générer, collecter, qualifier, stocker, et parfois partager des données de qualité...).
 
La maitrise de l'intégration software/hardware, dans les phases de développement comme dans la production (à l'image d'autres acteurs, au premier rang desquels évidemment Andurill), offre des pistes pour d'autres capacités et d’autres produits (type pods, capteurs, senseurs...). Avant de chercher à mettre partout de l'intelligence artificielle (et faire fi des sujets d'adoption et d'intégration dans des environnements existants, et dans le niveau de maitrise des utilisateurs finaux), il s’agit de déterminer avant tout là où l’intelligence artificielle embarquée à des fins opérationnels peut vraiment apporter une plus-value différenciante, et non uniquement apporter quelques points de plus en termes de performance. 

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