mercredi 18 mars 2009

L’OTAN : Transformation et interopérabilité des matériels (+MAJ)


Cartouche de calibre 5,56 mm OTAN, MRAP avec un niveau de protection 4 STANAG OTAN, sous-marin Typhoon pour les Russes et Akula pour l’OTAN, etc. Les sigles et les normes OTAN concernant les équipements sont employés couramment (une preuve de leur reconnaissance mondiale) mais leur élaboration est moins connue. Sans être forcément complet, j’ai tenté d’en savoir plus suite à l’appel du pied d’Olivier Kempf.


La normalisation des matériels est tout d’abord qu’un des piliers de cette recherche de standardisation otanienne. En effet s’y ajoute la doctrine (un peu de patience et AGS vous en parlera pour la COIN), la terminologie, les communications, l’entrainement, etc. Le but recherché est "le travail en synergie des moyens nationaux des membres de l’OTAN pour remplir les missions fixées" (définition issue de Politique OTAN d’interopérabilité de 2005). Cette interopérabilité voulue s’ajoute à celle qu'il faut atteindre aux niveaux : unités élémentaires, armes, armées, services, nations.


Déjà se pose une première question en sachant que l’Union Européenne est dotée de l’organisation FINABEL (inconnue du public qui a déjà produit 500 documents environ) et qui depuis 1953 (malgré les heurts de la construction de l’Europe de la Défense) travaille à l’harmonisation par des comités de travail. Il existe des liaisons officielles avec l’OTAN mais leurs fréquences et leurs natures me sont inconnues.


Au niveau OTAN, sur le plan pratique ces efforts se déclinent en deux types de documents. Les STANAG’s (STANdardization AGreement) sont des accords entre membres (donc autour d’un consensus a minima bien souvent) pour se doter de matériels et de procédures identiques ou similaires. Ensuite, les AP (Allied Publication) sont des "documents de mise en application" pour les utilisateurs. Ces productions sont issues du Comité OTAN pour la normalisation (affilié au Conseil de l’Atlantique Nordla France est déjà présente en permanence) qui anime le travail d’une profusion d’organisations avec des acronymes comportant au minimum NATO et Standardization puis Organization, Agency, Commitee,


Et ACT de Norfolk, devenu récemment célèbre, dans tout cela ? ACT dépend du Comité militaire de l’OTAN avec pour sous-divisions : concept et identification des besoins, développement des concepts interarmées, capacités futures, enseignement/entrainement. Des liens existent entre les structures, des avis doivent être échangés mais les distinctions ne sont pas nettes et les doublons nombreux: la recherche d’une meilleure efficacité des forces et d’une Transformation sont des expressions récurrentes à la lecture de leurs attributions respectives. ACT s’occupe exclusivement des capacités militaires (première différence) avec une vision à long terme (deuxième différence) en étant responsable de l’entrainement et de la pratique (troisième différence).


La critique récurrente d’une administration OTAN trop importante prend tout son sens à l’étude de ce processus d'adaptation et de prospective matérielle. La France va en rajouter 900 personnels et non remplacer... Pourtant, il faut noter que la distinction n'est pas si inutile puisque l’interopérabilité (travailler ensemble et avec quoi) n’est pas la même chose que la Transformation (travailler différemment et comment) même si des relations d’interdépendances fortes existent entre les deux: le résumé du grand débat actuel étant de savoir qui de la doctrine ou de la technologie détient la primauté (cf. les réflexions de Joseph Henrotin sur la "technologisation" où la technologie atteint les organes de décisions politiques).


Quelle possibilité pour la BID européenne ? Les industriels se réjouissent de la décision française mais pour la Base Industrielle de Défense, le challenge ne me semble pas être fondamentalement différent. Il leur faut continuer à rester crédible (mettre en avant la missilerie de MBDA plutôt que l’avionique de transport stratégique d’EADS..). Car avant de s’imposer, il reste toujours à proposer et surtout à convaincre.


Si l’interopérabilité se voit comme un résultat en bout de chaîne, cela nécessite en amont une compréhension, une connaissance et une entente mutuelle sur les besoins. Ainsi le développement d’une culture commune est le point de départ. Les économies d’échelles (état final recherché ?) par une recherche/production mutualisée seront alors possibles mais il faudra un vainqueur ou au moins un compromis dans la lutte entre une cohérence nationale souvent plus efficace (pour s'en convaincre étudions sur le terrain, les problèmes logistiques et matériels de coalition) et la recherche de la légitimité par le multinational.


Plus que jamais à l’heure de l'atteinte du seuil de l’efficacité technologique, cette recherche d’une plus grande harmonie au niveau technologique est nécessaire mais pas suffisante. Car c’est bien une vision politique/stratégique qui donne la direction et le chemin à suivre. C’est ainsi que le Pacte de Varsovie, ex-adversaire de l’OTAN, peut être considéré comme un modèle abouti d’interopérabilité : doctrines communes, matériels majoritairement semblables, au minimum compatibles mais souvent complètement interchangeables, etc. La nature du régime politique en place et la prédominance de Moscou dirigeant les états vassaux y sont pour quelque chose.

lundi 16 mars 2009

Vers l'impasse...


Stratégique, opératif, tactique… Ainsi se présente la division idéalisée en trois niveaux de l’art militaire : le niveau supérieur de la conduite globale, le niveau intermédiaire du théâtre d’opérations de la déclinaison d’objectifs politiques, puis le niveau du terrain de l’affrontement entre unités ou hommes.

Le niveau stratégique doit faire la jonction entre la sphère politique (gouvernement) et la sphère militaire (armée), en prenant garde à conserver une distinction nette. Particulièrement dans le modèle des démocraties occidentales, les militaires ne doivent pas faire de politique (même s’ils peuvent en avoir les moyens). L’un (le militaire) vient idéalement après l’autre (car il est subordonné au politique). Or, aujourd’hui le militaire ne gère pas seulement des effets cinétiques (actions armées de la violence légitime wébérienne). En effet, certains chefs et exécutants ont de fait des attributions qui tendent à rendre plus trouble la séparation. La guerre est la politique par d’autres moyens, la politique est la guerre par d’autres moyens… Dans le modèle quasi paroxystique, l’insurgé/rebelle est à la fois civil et militaire, politicien et guerrier. Par désir d’imitation (à étudier certainement tout autant que la volonté de copier pour le contre-guérillero les modes d’action fétiches du guérillero), ce modèle tend à se retrouver par des hybridations SAS, PRT, etc. Et c’est un fait, que le schéma type se brouille. A se demander si une fois dans les faits, il y a eut un réel découpage : les rois de guerre, les militaires reconvertis conservant une approche corporatiste, etc.

En particulier en France, la participation des militaires à la sphère politique, autrefois courante (les députés-généraux du 19ème) est un tabou. C’est dans les imaginaires collectifs le rappel du « traumatisme des événements d’Algérie » (mai 58, retour de Charles De Gaulle puis OAS). Par jurisprudence, c’est donc à prohiber. Mais ce n’est pas un particularisme hexagonal et les expériences de régime militaristes et autres sont assez explicites pour convaincre des possibles dérives d’une immixtion trop importante des militaires en politique.

Aujourd’hui, on parle de victoire militaire non exploité par un échec politique, d’échec militaire conclu par un échec politique ou un échec militaire sauvé par une victoire politique (plus rare), rarement de victoires des deux… Récemment, les déclarations sur le succès de l’opération EUFOR-Tchad/RCA rendent mal à l’aise quant à la définition d’une victoire pour l’application d’une capacité de projection, le maintien de lignes logistiques ouvertes, une sécurisation intermittente, etc. L’UE de la Défense a réussi sans doute bien mais peu, il est vrai avec peu. Car sans avoir de grandes prétentions (utopiques durant ce joyeux temps de crise), la recherche de micro-avancées qui en s’additionnant donneront la victoire est possible que par la concentration organisée et non le cumul anarchique de succès. Si pour l’UE de la Défense, c’est une nouvelle démonstration d’efficacité, il faudrait aussi regarder sur place, pour parvenir à une approche complète de la condition du succès. Et là, plus de scepticisme…

Ainsi, pour revenir au sujet, il est souvent inconcevable que les militaires fournissent même des solutions politiques. Ont-ils d’ailleurs les moyens de le faire réellement : en France, la Direction des Affaires Stratégiques du MinDéf fourni avec une grande visibilité des analyses à « je-sais-pas qui ». Ces derniers temps, les succès militaires des puissances occidentales sont rares et la recherche de solutions face aux adversaires monopolise de l’énergie. Or s’il n’y a rien au bout, avant et pendant, il a été montré que cela était vain. Et finalement, on entendra inlassablement en cas de succès ou de défaite militaire, la sempiternelle phrase : « il ne peut y avoir de solution militaire seulement une solution politique ». Oui, et alors ?

Preuve de la défaite des élites dirigeantes ? Il n’y a qu’un pas que je n’oserais franchir entièrement en ayant confiance en la remise en cause de l’après 1870, de l’après 1939, de l’après Surobi, etc. Beaucoup de questions, de réflexions peu claires, peu de réponses et une charge immense sur les épaules de certains. Car sinon, il y aura toujours des dindons de la farce et l’enfermement dans une impasse logique non rassurante.


P.S : je ne suis pas revenu ce soir sur la scandaleuse disproportion de traitement émotionnel et officiel entre la mort d’un artiste (même s’il mérite peut être le nombre dithyrambique de messages de condoléances) et celle de Nicolas Belda qui en Afghanistan ne jouait pas de la guitare et ne chantait pas « l’amour »… Ainsi, ce caporal-alpin aura bénéficié de la parution d’un « quasi unique » communiqué bien formaté et impersonnel pour montrer, de mémoire, « la vive émotion » de la Nation… Au prochain, on changera peut être de formule !

Droits: Opérations du 27ème BCA en Kapisa, EMA.

mercredi 11 mars 2009

Chroniques de relations mouvementées entre voisins


Début août 2008, la Russie et la Géorgie sont en guerre. L’armée géorgienne entrainée par des instructeurs américains recule, l’OTAN réfléchit, hésite peu et finalement ne bouge pas. Les capitales occidentales s’agitent plus, la Présidence française de l’Union européenne se démène, les relations avec la Russie se raidissent et perdent de leur intensité. Les tensions diplomatiques engendrées par le possible déploiement en Europe de l’Est du système américain anti-missiles (radars de détection et moyens d’interception principalement en Pologne) entretenaient depuis quelque temps les relations non-courtoises entre voisins. Venant parachever la dispute, Moscou annonçait le 6 novembre l’envoi à Kaliningrad de lance-missiles Iskander pour contourner le système américain. Des professionnels du raccourci parlaient alors du « grand bond en arrière » et du retour de « la guerre froide ».


Et puis en quelques semaines, les retrouvailles semblent à nouveau possibles et les nouvelles d’une réconciliation de raison se succédaient. Le 28 janvier, les lanceurs mobiles ne rejoindront pas l’enclave russe. Depuis la semaine dernière, les relations entre l’OTAN et la Russie sont officiellement et entièrement rétablies et un convoi ferroviaire logistique (ne comportant ni munitions ni armements) a traversé le 3 mars le territoire russe d’Ouest en Est pour que sa cargaison parviennent aux forces de l’OTAN en Afghanistan. Jamais complètement interrompues depuis l’épisode géorgien, les relations OTAN-Russie semblent de nouveau moins tendues. Pourtant, sans négliger les avancées et en soulignant la réversibilité possible et rapide de la situation, tout n’est pas parfait : l’orgueil des partis (trouvant ses racines dans l’histoire ancienne d’un monde bipolaire) empêche la résolution sereine des problèmes :

  • l’élargissement de l’OTAN doit impérativement éviter un nouveau containment qui peut être analysé comme une attitude agressive. ;
  • la proposition du Président russe Medvedev d’un traité paneuropéen doit être considérée avec plus d’attention que d’autres projets déjà rejetés…
  • les discussions doivent mener à une coopération où l’intérêt national russe (pour ne pas parler de nationalisme) sera pris en compte ;
  • quant à la Russie, il est nécessaire qu’elle joue carte sur table en réussissant à lever tous les soupçons sur ses réelles motivations vis-à-vis de son versant européen ;
  • un intérêt utilitariste, tronque souvent la mise à plat des différents. Par exemple, la Russie est analysée comme un espace de transit de matériel (pour diversifier les voies d’approvisionnement) mais n’est pas ou très peu consultée sur la stabilisation de l’Afghanistan (alors même qu’elle y a été avec plus ou moins de succès).

Ces retournements et ces relations agitées font dire à Dimitry Rogozin, ambassadeur permanent de la Russie auprès de l’OTAN, que « d’une guerre froide », les relations actuelles Russie-OTAN ont lieu dans le cadre « d’une paix froide ». A l’étude du temps long, il est notable de remarquer qu’à la fin de la guerre froide, les discussions entre les deux étaient nombreuses, elles sont aujourd’hui globalement restreintes.


Si hier la défense était territorialisée face à l’Est, aujourd’hui l’OTAN doit faire aux menaces d’où qu’elles viennent (déclaration du sommet de Prague en 2002). Les Russes regarderont toujours l’OTAN comme un bloc militaire étranger (issu d’une autre époque) tant qu’ils seront les seuls à ne pas y avoir accès. L’inverse demanderait un changement radical des mentalités des deux camps… Si « tout empire périra », certaines organisations internationales issues de la guerre froide font toujours de la résistance.


Droits: Iskander-SS 26 Stone, www.army-recognition.com

samedi 7 mars 2009

Il faut sauver le soldat OTAN

Cette semaine, l’IRIS organisait un colloque intitulé : La France, l’OTAN, l’Europe : quelles perspectives de sécurité ? Présent seulement le premier jour, ce compte-rendu ne prendra pas en compte les interventions du mercredi. Ainsi, en négligeant les discours politiques très « langue de bois » ou les présentations mercantilistes d’industriels face aux futures parts de marché, les débats ont été particulièrement riches. Si les tables rondes ne portaient pas directement sur l’adaptation d’une organisation à son contexte, c’est bien cette problématique qui était centrale.

L’Alliance atlantique, pilier inégalé (et victorieux par abandon) de la sécurité collective transatlantique au temps de la guerre froide, demeure un des acteurs des relations internationales. Un monde nouveau, hérité de l’opposition bipolaire, a depuis consacré le multilatéralisme, la déterritorialisation des menaces qui peuvent venir de partout, la défense qui ne se conçoit pas uniquement sur le territoire national, etc. Depuis la chute du mur de Berlin, l’OTAN s’est déjà adapté : Nato Response Force (NRF), restructuration des commandements et forces permanentes anecdotiques. Aujourd’hui, à l’époque d’une crise financière ayant des conséquences sur les budgets militaires, à l’aube de la nouvelle diplomatie américaine du « smart power », à la veille du retour de la France dans un des comités de Défense, l’OTAN des 60 ans, a-t’elle pris le bon chemin pour rester en adéquation avec son temps ?

Le discours justifiant le retour complet de la France, geste anodin matériellement mais politiquement fort, met déjà en avant une adaptation entre l’effort consenti en moyens par la France et les leviers d’influence effectifs à l’OTAN. En effet, la France est aujourd’hui le 4ème contributeur en hommes et en budget mais, comparativement, son poids dans les structures de planification et de décision est faible. En rejoignant le comité des Plans de Défense, quitté en 1966, la France sera alors présente dans 37 des 38 comités du commandement unifié, ne participant pas au groupe des Plans nucléaires. Cette réintégration devrait permettre de mieux peser dans la transformation de l’OTAN et d’avoir plus d’influence dans la prise de décision en espérant pouvoir s’appuyer sur l’Europe de la Défense.

Sur la question de l’élargissement à de nouveaux membres ou de sa zone d’action, deux approches doivent être privilégiés. La première, c’est une analyse pragmatique pour favoriser un « multi-multilatéralisme » avec d’autres organisations : OSCE, UA, etc. Comme il y a plus de crises que de moyens d’y faire face, les moyens indéniables de la somme de potentiels militaires doivent servir une approche politique et non l’inverse. Ensuite, il faut rappeler que l’élargissement, qui conduit à une plus grande zone de responsabilités, s’arrête lorsque la crédibilité cesse. Cet été, la Géorgie dans l’OTAN aurait-elle obligée le recours à l’article 5 ? Pierre angulaire de la défense collective, cette article du Traité de l’Atlantique Nord stipule qu’en cas d’agression armée d’un des membres, l’OTAN doit, par solidarité mutuelle, défendre la victime.

Alors, l’OTAN doit-elle prendre en compte les multiples nouvelles menaces (crimes, cyber-attaques, proliférations, terrorismes, …) ou se concentrer sur le cœur de métier (en faisant le pari que le conflit de haute-intensité reste possible) ? C’est un dilemme entre un risque de marginalisation (si l’OTAN n’agit pas) et d’engrenage (si elle agit trop). Un recentrage sur « une alliance militaire défensive » permet sans doute d’éviter une « dérive des objectifs » mais néglige certains risques menaçant ses membres. En tout état de cause, les difficultés en Afghanistan (épiphonème dans le temps long ou exemple type des futures opérations de l’OTAN ?) met en exergue que l’OTAN, préparée à la défense, ne l’est pas encore pleinement à la gestion de crises qui nécessite la coordination d’un volet civil et de capacités militaires.

Finalement aucun des deux camps défendant une OTAN resserrée ou élargie n’a remporté une franche victoire et c’est sans doute à l’Allied Command Transformation de Norfolk (commandement promis en coulisses à un général européen et peut être à un français) que se trouve une part de la réponse. Or quelques rues plus loin se trouve l’US-JFCOM, le Joint Force Command. C’est un commandement américain sans responsabilité géographique mais dont la fonction est aussi de transformer les forces armées. Cette grande proximité est un bien mauvais symbole à l'heure où l'indépendance d'esprit de la doctrine européenne (pour ne pas dire contre-américaine) est défendue. Pour les sceptiques, on peut au moins donner une chance à ce pari, de s’appuyer sur l'UE pour apporter une « European touch » au processus de transformation de l’OTAN. A l'inverse, cette possibilité ne doit pas être vue comme une consécration par les convaincus mais bien comme une vitale obligation d’émulation collective.

Billet simultanément publié sur Alliance géostratégique.

mercredi 4 mars 2009

Du danger des lois éternelles

A travers un « coup de gueule » sur l’emploi de raccourcis historiques pour appuyer une thèse fataliste, Stent met en exergue l’emploi abusif de « lois éternelles ». Utilisées comme un argument non-critiquable, ces redondances historiques sont employées, à tort, comme des vérités qu’il faut pourtant utiliser avec précaution.

Aujourd’hui, il est donc courant de rappeler que « les Afghans (ndlr : lesquels d’ailleurs dans le patchwork tribal ?) sont fiers et ont toujours repoussé les envahisseurs et cela depuis la nuit des temps ». Mais hier, c’était des vérités inébranlables qui faisaient des Alpes un obstacle infranchissable pour les troupes de Napoléon en mai 1800 face aux troupes autrichiennes, des Ardennes, un facteur limitant des attaques de Panzer allemands en juin 1940, etc. Ainsi, de prestigieux succès militaires ont été rendus possibles par l’enfermement de l’adversaire dans un schéma fondé sur une loi éternelle. La ligne Maginot française protège le flanc Est, les sapins des Ardennes autour de Sedan protègent le Nord de l’Hexagone : on connait la suite !

A cette obnubilation sur la capacité d’arrêt d’obstacles physiques contraignants mais surmontables (fleuve, désert, forêt, montagnes, …) s’ajoute la science du stratégiste militaire qui recherche l’effet de surprise pour contourner le dispositif adverse (loi pérenne du combat). Ainsi, en évitant de se laisser enfermer dans des schémas restrictifs et des raccourcis analogiques, le stratège use de la réflexion. Calquer ce principe à l’Afghanistan peut paraitre très optimiste et sans doute militant, j’en conviens. Néanmoins, ne laisser aucune porte de sortie et clore le débat, c’est négliger un des piliers (expérience/connaissance ET réflexion) de la recherche stratégique.

Alors quel usage de l’Histoire dans le domaine militaire ? L’historien, que j’essaye de devenir, ne fera pas le procès de son sujet d’étude. Ainsi, si l’Histoire du passé peut permettre un éclairage sur le présent et même sur le futur, il ne faut pas ignorer certains principes. Le premier est la place de « l’évolution » dans l’analyse. Pour le domaine militaire, l’évolution technologique est celle qui semble la plus fondamentale. Mais l’évolution des mentalités, des méthodes, des structures et des hommes ne peut être ignorée. L’approche globale des faits militaires est à étudier comme l’agencement complexe d’un ensemble de systèmes.

Le second, déjà mentionné, est la place accordée à la réflexion. Alfred de Vigny disait que "l’expérience seule et le raisonnement qui sort de nos propres réflexions peuvent nous instruire". Ainsi afin de ne pas répéter des schémas, pas forcément heureux (cf. les Israéliens face aux oppositions asymétriques…), la réflexion est un profond moteur de changement. Si aujourd’hui dans les armées, le pilier technologique est contraint par un épuisement financier, la pensée et la culture permettront de manière encore plus criante de conserver la supériorité. Car l’Histoire, au risque d’être considéré exclusivement comme un éternel recommencement, est l’addition du neuf et de l’ancien.

Les dangers de l’emploi d’une « Histoire positive », où des modèles jugés éternels sont plaqués à tout prix, ont été dénoncés. En effet, c’est généralement la guerre d’hier qui a été préparée par ses méthodes et non la guerre de demain...

P.S. : pour revenir sur l’exemple de l’occupation de l’Afghanistan par l’empire mongol. Vers 1220, les cavaliers venus du Nord de Gengis Khan ravagent plusieurs villes de l’Afghanistan alors sous contrôle d'un califat musulman. L’Afghanistan est séparée ensuite en deux khanats (royaume dirigé par un khan) un au Nord et un au Sud. Les moghols ont alors entrepris de contrôler le « pays utile » de l’Afghanistan (zones autour des villes et vallées) en établissant de manière très fine un « équilibre afghan ». Les prétentions hégémoniques des chefs de tribus étaient rapidement combattues et l’autorité moghole gardait un rôle de justicier efficace puisque l’éclatement des dynasties n’a été possible que par la décadence des dirigeants.

dimanche 1 mars 2009

Alliance géostratégique

Le débat stratégique est en grand renouvellement, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en France. L’atlantisation des esprits règne, même si la saveur européenne, due à une richesse culturelle évidente, permet des expressions moins radicales que celles d’outre-Atlantique. Il faut bien constater que seule la France produit une pensée stratégique à peu près autonome, même si elle se détermine aussi par rapport aux débats américains. Est-ce pour autant satisfaisant ?

Le débat stratégique en France

Non, car la question est celle des lieux de débat. Ils s’avèrent finalement assez limités et ne tiennent pas assez compte du public.

La première scène regroupe les institutions propres au ministère de la Défense.Les quatre instituts (IHEDN, CHEAr, IHESI, INHES) vont donc être regroupés en deux piliers (l’un défense, l’autre sécurité intérieure), et incorporeront le CEREM, qui s’était construit peu à peu ces dernières années et produisait un excellent travail. Peut-on dire amicalement que ces institutions tiennent autant du centre de recherche que du club d’initiés qui permet la constitution de précieux réseaux : ils sont assez fermés.

Autre lieu, et sans être exhaustif les laboratoires d’idées : Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Institut des Relations Internationales & Stratégiques (IRIS) connaissent une notoriété certaine et justifiée. Mais le premier est totalement étatique, quand les deux autres dépendent dans une très large mesure des subsides de l’Etat. Cela n’affecte pas la qualité de leurs travaux, mais rétrécit le champ de leurs recherches. Les sociétés privées de sécurité (Géos, Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique,...) ont certainement des analyses judicieuses : mais comme elles sont privées, elles sont payantes. C’est d’ailleurs le défaut des lettres d’information (TTU, La Lettre A, La lettre du Continent,...) : intéressantes, mais confidentielles.

Revues et médias

Ces instituts publient des revues, espace évident de partage des idées. La diffusion est plus ou moins large : le « RAMSES » est devenu une institution automnale, et la « Revue de l’IRIS » a trouvé son public. D’autres revues existent, et tout d’abord « Défense Nationale et Sécurité Collective », qui a su depuis une dizaine d’années échapper à la seule présentation des thèses institutionnelles pour devenir un espace d’expressions diverses et contradictoire. Citons en passant « Défense » (revue de l’IHEDN), « Géopolitique », « les Cahiers du CHEAr », « Les Cahiers de Mars », etc. Encore plus confidentiels mais indépendants, citons entre autres « AGIR » (du général de La Maisonneuve), « Stratégique » (de l’Institut de Stratégie Comparée, dirigé par H. Couteau-Bégarie). Les revues universitaires existent également : à tout seigneur tout honneur, « Hérodote » a conquis un public fidèle. Signalons enfin deux initiatives privées qui ont su conquérir le grand public : « DSI » (qui revendique 120 000 lecteurs) et « Diplomatie » (bimensuel) : la diffusion peut accompagner la qualité.

L’audio-visuel permet des diffusions intéressantes : on citera « Le dessous des cartes », excellente émission de géopolitique animée par J.-Ch. Victor sur Arte, ou « Les enjeux internationaux », de Thierry Garcin sur France Culture. Mais il faut bien constater qu’on trouve peu d’émissions stratégiques, hors les enquêtes particulières suscitées par l’actualité.

Les supports existent donc, mais pâtissent des défauts d’un modèle univoque : le média parle, le lecteur achète. Ce n’est pas le courrier des lecteurs (qui est d’ailleurs la plupart du temps absent de toutes les revues citées) qui permet le débat. Tout juste a-t-on, parfois, un article qui répond, trois numéros plus loin, à l’article précédent qui présentait une thèse iconoclaste. Lent et engoncé. A l’heure de l’ultra-communication, ce n’est évidemment pas suffisant. Le public n’y trouve pas son compte : il n’est que consommateur, et non acteur du débat. Cette logique appartient au passé.

L’internet

Il y a internet, nous dit-on. Allons justement y faire un tour. Des sites institutionnels existent : par exemple, et sans souci d’exhaustivité, celui de DNSC, celui des laboratoires précédemment cités, parfois celui d’autres revues. Mais ce transfert sur la toile de productions originellement imprimées n’utilise pas vraiment les ressources de ce nouveau « media », notamment les aspects interactifs de l'Internet « social » (ou web 2.0). Car l’Internet permet également d’heureuses innovations : ainsi, « l’ISC » est désormais intégralement sur Internet et met en ligne énormément de ressources, mais de manière très irrégulière. Signalons également l’excellent « Courrier des Balkans », de J. A. Derens, ou le « Centre d’études transatlantique », jeune laboratoire d’idées fondé par A. Le Parmentier. Les Cahiers du RMES paraissent uniquement sur la toile, deux fois l’an. Le site de la « Société française d’études militaires », créée par Y. Boyer justement pour créer un espace alternatif de débat, peine à s’animer. « Diploweb », dirigé par J. Verluysse, a une certaine surface mais selon un mode propriétaire qui ne favorise pas le débat.

Tout cela est finalement assez figé : on transpose sur Internet le fonctionnement habituel des revues : il ne s’agit que de revues en lignes qui maintiennent la hiérarchie entre l’auteur et le lecteur, ce dernier étant en position toujours subordonnée et captive. Il n’a qu’une seule alternative : lire, ou ne pas lire.

Alors, comment Internet peut-il apporter quelque chose de nouveau ? Surtout, qu’est-ce qui est « nouveau » et qui échappe aux limites constatées ci-dessus ? La nouveauté serait d’avoir de nouveaux critères : une certaine spécialisation autour des thèmes stratégiques et géopolitiques ; un rythme fréquent de publication (au mieux quotidien, mais en tout état de cause plus rapide que le mensuel) ; une diversité de points de vue ; une diversité de sources ; une exigence d’écriture qui dépasse la seule opinion et favorise l’analyse ; une possibilité de réaction immédiate des lecteurs ; l’indépendance par rapport à l’Etat, aux doctrines propres à chaque institut, ou par rapport à des intérêts privés.

La blogosphère

Cet outil existe : c’est le blog. Il y en a de plusieurs types. Regardons ce qu’il en est.

Le moins intéressant, à coup sûr, est le blog promotionnel : sous couvert de publication de billets, selon un rythme aléatoire, l’auteur promeut ses activités ou ses conférences. Ce n’est pas parce qu’on a un blog qu’on est moderne, et qu’on a quelque chose à dire.

Beaucoup plus intéressant est le blog journalistique : citons à cet égard le blog de J.-D. Merchet, spécialiste de défense à Libération ; celui de J. Guisnel, du Point ; celui de N. Gros-Verheyde sur la PESD ; celui de V. Jauvert sur l’actualité internationale ; ceux du Monde Diplomatique ; celui de P. Rousselin , celui de J. Quatremer sur les coulisses de Bruxelles, etc. Intéressant, certes, mais très institutionnel, et pour deux raisons : la première tient à ce qu’il s’agit de blogs hébergés, la plupart du temps, par les journaux employant ces journalistes. Il s’agit pour ces journaux, de trouver leurs lecteurs au moyen d’Internet. Surtout, les journalistes qui écrivent ces blogs estiment souvent que grâce à leur professionnalisme, ils sont seuls autorisés à être le truchement de l’expression médiatique.

Eux seuls présenteraient les garanties déontologiques pour transmettre de l’information. Cela est en partie vrai : mais c’est très discutable à l’heure d’Internet puisque chacun devient un peu journaliste ; puisque chacun peut être le reporter de l’événement auquel il a assisté ; puisqu’en fait, les journalistes n’ont plus le monopole de l’information, même s’ils en demeurent des acteurs essentiels. En fait, leur rôle a changé et s’ils continuent de trouver et diffuser l’information (la fonction d’enquête demeure), ils doivent aussi l’analyser ce qui deviendra, de plus en plus, leur plus-value.

Ceci explique que les blogs de journalistes ne présentent pas l’esprit « blog » qui est en usage ailleurs, constitué de liens et de débat. Ils sont ainsi très spécialisés (MM. Merchet et Guisnel ne produisent que de l’information sur la chose militaire, et jamais sur les débats stratégiques) ; les réactions sont donc très dispersées et parfois excessives ; enfin, ils ne mettent en lien que des blogs « professionnels » de journalistes comme eux, selon une logique presque corporatiste, et qui court le risque d’être pontifiante. Ce sont donc des blogs très utiles (surtout qu’ils répondent à une demande profonde d’information du public), mais pas totalement satisfaisants pour l’amateur de débat stratégique.

C’est depuis juin 2007 que se constitue, peu à peu, une véritable blogosphère stratégique francophone. Et qu’elle vient de créer une plateforme commune : Alliance géostratégique.

Alliance fait référence à la vieille « alliance française », premier instrument de la francophonie. Le mot, presque désuet, revêt justement une certaine fraîcheur ; surtout, il s’agit d’un portail de blogs francophones (français, belges, canadiens). Pour tout dire, nous ne nous sommes pas beaucoup attardés sur le sens véritable du mot géostratégique. Il nous convient, à cause de son imprécision, car il est au centre de nos propres préoccupations : certains sont plus intéressés par la stratégie, d’autres par la géopolitique. C’est justement cette diversité et cette complémentarité qui fait notre intérêt.

Quatorze auteurs de blogs, d’origine et d’âge bien variés : des jeunes étudiants et des actifs établis (de 19 à 45 ans), des spécialistes de défense ou des amateurs exerçant dans un tout autre champ… Bref, nous sommes à l’image de notre public.

Le public, justement, parlons en : en cumulant nos audiences, nous arrivons à 2500 visites quotidiennes pour 5000 pages vues en moyenne.... Et 10 % des accès proviennent déjà de pays autres que la France et la Belgique. Déjà, nous sommes lus par des professeurs d’université, des chercheurs, des décideurs politiques, des journalistes, des officiers supérieurs, des hauts-fonctionnaires d’administrations nationales ou internationales, d’Europe, d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie, des industriels, des spécialistes d’intelligence économique,… mais aussi et d’abord par des citoyens intéressés par la stratégie.

Signalons la qualité de ce public : lors de l’offensive israélienne sur Gaza, en janvier, nous avons bien sûr publié de nombreuses analyses : mais nous n’avons eu à déplorer aucun commentaire déplacé, à la différence des échanges publics le plus souvent injurieux qui se déchaînaient ailleurs sur la toile. C’est que ces billets ont permis un débat entre nous qui nous a permis collectivement de nous enrichir. Car une motivation partagée par la plupart d’entre nous, quand nous nous lançâmes dans l’aventure personnelle, était justement de trouver des gens avec qui parler, au lieu de rester dans notre coin, comme des consommateurs inactifs.

Ce qui est vraiment nouveau, c’est que le débat vient du bas vers le haut : cette origine n’entraîne pas une moins bonne qualité, au contraire. Le débat est extrêmement réactif à l’actualité, grâce au format de blog que n’ont pas les institutions. Dès lors, en additionnant touts les billets écrits, l’alliance met en ligne chaque mois plus de pages que la plupart des instituts.

Cet enrichissement, nous voulons le partager. C’est pourquoi nous avons créé cette plate-forme commune, qui est une étape supplémentaire dans l’organisation du débat stratégique en général, et de la blogosphère en particulier.

Il fallait en effet conserver la richesse des blogs individuels, mais il fallait en même temps un espace partagé, qui permette à la fois une meilleure visibilité, mais aussi un meilleur débat. Nous aurons ainsi chacun notre identité (et donc notre responsabilité) éditoriale, tout en ayant un espace commun. Celui-ci servira non seulement à apercevoir, d’un seul coup d’œil, la production de tous les blogs « alliés », mais aussi à lire la partie rédactionnelle propre : éditoriaux, débat du mois, comptes-rendus de colloques ou de lecture, …

Alliance géostratégique n’entre donc pas en concurrence avec les autres acteurs du débat stratégique et géopolitique : c’est simplement un nouvel acteur, qui tire profit des facultés d’Internet.

Ni concurrents, ni alternatifs, juste complémentaires.

Cet outil ne peut être que le vôtre.

Les membres de l'Alliance géostratégique