lundi 26 octobre 2009

Remarques afghanes (n°2)

Nous connaissons tous l’action des 26 PRT (Provincial Reconstruction Teams), interfaces entre le monde civil et militaire visant à soutenir l’action de la Coalition et à promouvoir le gouvernement central de Kaboul dans la reconstruction de l'Etat. Pour aller plus loin, le lecteur peut se reporter à cette brève étude écrite par un ancien inséré au sein d’une PRT (les chiffres datent un peu mais l’analyse reste pertinente) qui est aussi l’auteur de l’ouvrage intitulé De la guerre à la paix : Pacification et stabilisation post-conflit (avec entre autres apports, une pertinente analyse sur l’utopie d’un quadrillage complet du territoire). Au sein du haut quartier général de la FIAS, une boutade circule sur ces PRT disant que leur objectif est de fournir in fine à chaque enfant afghan une école. Le nombre d’écoles financées ou construites serait si important, qu’il dépasserait de loin celui des autres structures ayant moins de retour médiatique sur investissement.


Stéphane Taillat a déjà signalé l’article du Washington Post (ils ont souvent souvent de bons reporters) décrivant les progrès accomplis en trois mois dans le district de Nawa (province du Helmand) par des Marines arrivés lors de l'envoi de renforts avant l’été 2009. En passant, cela illustre plus que jamais la nécessité d’analyser précisément la situation avec des "Suds afghans" bien différents entre celui des Britanniques, des Canadiens, des Hollandais ou des Américains (cf. le rapport de l’Institue for the Study of War sur cette province qui la divise en trois : le Sud qui est une zone de transfert, le Centre qui est le centre de gravité régional et le Nord qui est la zone de production d’opium). Cet article est particulièrement instructif sur plusieurs points : une situation toujours fragile et réversible, la stratégie de la tache d’huile (comment relier plusieurs taches d’huile entre elles ?), montrer le drapeau par des sorties (le journaliste parle de deux patrouilles par jour pour chaque équipe, c’est énorme…) ou encore le ratio Marines par habitant (plus intéressant que celui du nombre de Marines par km²). À ce sujet, le LCL Mc Collough qui commande le bataillon répond que « nous avons assez de Marines pour serrer la main de chacun ».

Enfin, Olivier Kempf a déjà parlé de l’article publié dans Le monde par le COL Durieux qui commande actuellement le bataillon français dans le district à l’Est de Kaboul. Sans tomber dans l’angélisme béat et triomphateur, il y aurait donc du mieux en Afghanistan et en particulier dans cette zone où faut-il le rappeler la France perdait 10 soldats en août 2008. Cela fait même dire le 7 octobre au CEMA, le GAL Georgelin lors de son audition devant la Commission de défense et des forces armées :

« À compter du mois de novembre, nous concentrerons nos moyens dans les districts de Surobi et de Kapisa pour y conduire des actions coordonnées de sécurisation des villages et de développement local. Agissant en liaison avec les forces de sécurité et les autorités afghanes, la France estime pouvoir ramener ces districts sur la voie de la stabilité dans les deux prochaines années. Je me suis rendu sur ce théâtre à plusieurs reprises pour apprécier les progrès obtenus par nos troupes dans leurs zones de responsabilité. Je ne retrouve pas toujours sur le terrain les descriptions faites dans la presse, notamment anglo-saxonne ».

Mais comme le disait le COL Durieux, « si référence historique il doit y avoir, nous sommes certainement plus proches de Lyautey [que du bourbier vietnamien] ». On en revient alors souvent à la même conclusion, Lyautey, sa tache d’huile et l'emploi de la force et de la politique sont des guides utiles pour les opérations sur le terrain. Oui, mais au service d’une stratégie que les écrits de Lyautey ne fournissent pas…

Pour finir, je signale la tenue le 23 novembre 2009 d'un colloque intitulé « Des armes et des coeurs : les paradoxes des guerres d'aujourd'hui " organisé par le CDEF et la CEIS. Le programme est disponible.

samedi 24 octobre 2009

Remarques afghanes (n°1)

Commentaires (en plusieurs parties) au sujet de récents billets publiés sur la blogosphère stratégique (lire ici et regarder + lire ici) et analyses de quelques récents événements ayant lieu au « pays des Afghans ».

Chacun son tour…

Le 27 mars 2009, Barack Obama officialise le concept d’Af-Pak montrant que la situation du Pakistan et celle de l’Afghanistan sont liées. Une des clefs pour stabiliser la région est de réduire la porosité de la frontière, véritable gruyère permettant la libre circulation des biens et des personnes pouvant soutenir les insurgés en Afghanistan. Généraux, envoyés spéciaux et ambassadeurs se succèdent pour exhorter Islamabad de lutter contre ses infiltrations. Le gouvernement américain envoie des forces spéciales formées les 50.000 grades frontières pakistanais, le Frontier Corps. Des budgets sont votés pour les équiper avec des lunettes de vision nocturne et des hélicoptères. Leurs soldes sont augmentées pour les rendre plus attractives malgré la dangerosité de leurs missions. Enfin, les tirs de missiles par des drones se poursuivent.

Le 21 octobre, le président de la commission conjointe pakistanaise des chefs d'état-major, le général Tariq Majid, demande à son tour à la FIAS de boucler la frontière afghano-pakistanaise. Sans cela, l’offensive majeure, réclamée de longue date par la FIAS, ayant cours au Sud-Waziristan n’atteindrait pas les effets escomptés. Sous la pression des opérations de l’armée pakistanaise, les Taliban pourraient librement s’échapper vers l’Afghanistan. Dans ces régions, ce sont des Taliban authentiques, ceux qui ont reçu un enseignement dans les écoles coraniques locales. Le général Tariq Majid se plaint du même coup du récent abandon de plusieurs postes frontières disséminés en Afghanistan. Ces retraites sont les corollaires de l’application sur le terrain des nouvelles directives du général Mc Crystal (avalisées d’ailleurs sans surprise par les ministres de la Défense de l’OTAN réunis à Bratislava). Ils sont jugés comme consommateurs inutiles en effectifs alors que les ressources humaines sont comptées et particulièrement intenables proportionnellement aux résultats obtenus.

Ces avant-postes sont des fragiles fortins tenus souvent par une section de Marines perdu en haute-altitude loin de tout. Ce sont de possibles forts Alamo qui ont déjà du faire face dans le passé à d’importantes attaques insurgées. Ainsi, dans la province de Kunar le 13 juillet 2008, 45 Américains et 25 soldats afghans font face à environ 200 insurgés. Plus récemment, le 3 octobre, une attaque similaire a lieu dans la province du Nouristan. Les seuls secours ne peuvent venir que du ciel (appui-feu aérien et hélicoptères de transport) et pour les assiégés, il faut tenir en attendant les renforts malgré l’ampleur des pertes. La tentation est alors forte de s’enfermer derrière des murailles et donc de limiter les patrouilles à l’extérieur. De plus, ces postes sont souvent isolés et les effectifs armant ces bastions ne sont pas au contact de la population. Or pour le général Mc Crystal, « la mission est de protéger la population et le conflit ne sera gagné qu’en persuadant la population et non en détruisant l’ennemi ». Des transferts de troupes ont actuellement lieu pour réorganiser le dispositif afin de les concentrer dans les zones habitées au détriment de zones plus faiblement peuplées.

Décider, c’est choisir. Choisir, c’est renoncer. Ainsi, le commandement de la FIAS est face à un dilemme cornélien qu’il lui faut trancher. Il est vital de rendre hermétique la frontière pour permettre une lutte en « champ clos » par la fermeture de la ligne Durand (dont les caractéristiques géo-physiques sont bien différentes de la ligne Morice). On aide mais on sous-traite aux Pakistanais (qui tentent de reconquérir le Nord puis le Sud-Waziristan). Et pendant ce temps là, les forces de la FIAS se concentrent à l'extrême sur le centre de gravité adverse, l’élément matériel ou immatériel dont l’adversaire tire sa puissance, sa liberté d'action ou sa volonté de combattre: en une expression, le soutien de la population.

jeudi 22 octobre 2009

La frontière orientale russo-chinoise, véritable trait d'union entre deux mondes?

Les relations russo-chinoises

Les deux masses continentales russe et chinoise ont deux sections de frontières en commun. La première de 55 km de long est située entre le Kazakhstan et l’Ouest de la Mongolie. La deuxième de 4.195 km débute à l’Est de la Mongolie, longe le fleuve Amour puis se poursuit vers la Corée du Nord.

Du discours prononcé à Vladivostok en juillet 1986 (qui annonce aussi le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan) à l’accord sur la livraison de gaz signé ce mois entre la Chine et le président de Gazprom, la région de « l’Extrême-Orient russe » est réellement devenue « une fenêtre ouverte sur l’Asie » comme le réclamait Mikhaïl Gorbatchev il y a plus de 20 ans. De la méfiance engendrée par le conflit frontalier entre la Chine et l’URSS en 1969 à l’actuel « partenariat stratégique et de coopération » proclamé au printemps 1996, bien du chemin a été fait.

Historiquement, la Russie oscille entre Orient et Occident. Elle hésite entre ses identités asiatiques et européennes, bien que sa population soit surtout concentrée à l’Ouest de l’Oural. La capitale moscovite demeure un centre qui redistribue le pouvoir (cf. un article analysant les conséquences géopolitiques de l’implantation géographique d’une capitale). Sous l’impulsion des siloviki au pouvoir (membres et vétérans de l’appareil de sécurité russe), la Russie semble aujourd’hui s’orienter vers une relation privilégiée avec l’Europe. Cela ne limite pourtant pas l’affirmation du partenariat avec l’acteur majeur de l’Asie du Nord-Est, dans une région que les analystes définissent comme le futur centre de gravité mondiale.

Des bénéfices tirés d’un rapprochement voulu à la tête de l’État

Au plus haut niveau des deux gouvernements, les initiatives se multiplient pour rapprocher deux géants qui ne peuvent s’ignorer. Le développement et le désenclavement des territoires sibériens ou des provinces chinoises passent par un rapprochement entre les territoires frontaliers. L’ouverture de ces régions permet d’ailleurs à ces deux pays de s’intégrer mutuellement dans leur environnement régional proche. La résolution du contentieux portant sur les îles du fleuve Amour va dans ce sens. Du point de vue des capitales occidentales, ces liens sont analysés comme les moyens de s’unir pour s’affirmer face à l’hégémonie américaine.

Pour la Chine, les livraisons pétrolières et gazières russes permettent de diversifier ses sources énergétiques alors que la rareté de ces dernières est connue pour être une des faiblesses pouvant à terme enrayer l’incroyable croissance économique de ces dix dernières années. La Russie est quant à elle un possible marché d’écoulement pour la production manufacturée chinoise.

L’industrie militaire russe s’en réjouit car cela lui assure la poursuite des commandes engrangées depuis 10 ans. Les 85 % des importations chinoises d’armement depuis le début des années 1990 viennent de Russie (Sukhoï-27 et 30, sous-marins diesels de la classe Kilo, etc.). Les contrats en provenance de la Chine représentent 45% des exportations russes d’armement depuis 1992 (pour plus d'informations, lire cette conséquente étude dirigée par Isabelle Facon: La coopération militaro-technique entre la Russie et la Chine ).

À travers l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) ou des exercices militaires en commun (appelés Missions de paix et joués en 2005, 2007 et 2009), les deux pays développent un partenariat portant sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, l’immigration illégale, la grande criminalité et les trafics de drogue. Même s’il est vrai, que ces accords visent surtout à stabiliser les marges proches de l’Asie Centrale.

Une frontière qui demeure un Janus à deux visages

Si les zones frontières sont des lieux d’échanges et de transits, elles demeurent aussi des lieux de confrontations et de tensions. Les principaux freins à cette politique de rapprochement russo-chinoise trouvent leurs origines surtout au niveau local (comme l'explicite en détails cette étude du CERI de Sciences Po: Le développement des relations frontalières entre la Chine et la Russie) alors que nous l’avons vu, les administrations centrales y sont plutôt favorables.

"En raison de questions territoriales et du problème de l'immigration chinoise, les autorités locales des régions frontalières russes ont bloqué les processus de coopération, contrairement à ce que souhaitaient les deux gouvernements. Si ces derniers sont intervenus pour résoudre ces blocages, qui étaient surtout motivés par des intérêts politiques et économiques, la coopération à l'échelle locale pose encore un certain nombre de problèmes".

Ainsi, des différends persistent entre les 7 millions de Russes de l’Extrême-Orient et les plus de 60 millions de Chinois vivant le long de la frontière orientale. Les plaintes concernent l’immigration chinoise considérée par la population russe comme « une invasion » incontrôlée ou plutôt contrôlée par Pékin alors même que la Russie est en chute démographique.

C’est aussi la contrebande de produits naturels pour la médecine traditionnelle chinoise, des armes, de la drogue, des métaux ou encore de la pêche dans les eaux fluviales du fleuve Amour. Cette contrebande apporte ses inévitables corollaires que sont la criminalité violente, la corruption des élus locaux et des forces de police ou de douane.

Entre revendications régionalistes (« ne pas rétrocéder à la Chine, une partie même infime du territoire russe »), récriminations contre les droits de douane jugés exorbitants et dénonciations de la mauvaise qualité des marchandises, les sujets d’exacerbations sont nombreux.

Vers un monde pas plus dangereux mais plus incertain

En conclusion, les relations entre la Chine et la Russie sont pleines de pragmatisme : pendant que chacun y trouve des intérêts, elles se poursuivent. Ensuite, nul n’est à l’abri d’un retournement d’alliance. Ainsi dans son essai de prospective asiatique pour 2025, Bruno Tertrais de la FRS n’hésite pas à proposer « un scénario mandchou inversé » pouvant engendrer un possible conflit Russie/Chine de prédation envers la Russie ou alors de réaction face à la menace du dynamisme chinois : « c’est plutôt l’affaiblissement de l’un ou l’autre des deux pays – voire des deux simultanément – qui pourrait déboucher sur un conflit ».

Article également publié sur l'Alliance géostratégique.

Crédits photographiques: www.french.xinhuanet.com

jeudi 15 octobre 2009

La bataille des derniers centimètres


Les opérations réseaux-centrées permettant de gérer et déclencher à distance des feux de précision (artillerie sol-sol, missiles mer-terre, frappes aériennes, etc.) ont rendu caduques l’importance du choc d’hommes à hommes pour l’obtention de la décision. Il est possible de l’emporter de loin sans jamais voir à l’œil nu sa cible. Le « combat indirect » prime alors sur la fonction opérationnelle « contact ». « La bataille des 300 derniers mètres » semble faire partie de l’Histoire passée à l’époque des antiques charges et assauts. Pourtant, les opérations militaires en phase de stabilisation redonnent la prééminence à l’infanterie. La période est au contact direct (en particulier la composante « combat débarqué ») au sein de la population qu’il faut convaincre et contre l’adversaire qu’il faut parfois détruire. Le modèle très irakien des embuscades en zone urbaine consacre « la bataille des 10 derniers mètres » rendue primordiale dans ce milieu clos.

La contre-rébellion étant composée de phases de haute ou de basse intensité, les militaires agissant aujourd’hui en Afghanistan font face à des situations très diverses : des tirs d’harcèlement à plus de 300 mètres par un adversaire tenant les crêtes et invisibles derrière les rochers, des embuscades où l’ennemi tente de s’imbriquer dans les dispositifs amis pour empêcher l’appui aérien lors des désengagements afin de ne pas risquer les tirs fratricides, etc. La ligne de front n’est plus face à soi, mais la menace est multi-directionnelle, pouvant venir des 360°, au près comme au loin.

Les fondamentaux tactiques enseignés aux combattants intègrent ces caractéristiques. Ainsi, les Britanniques font un effort particulier sur les transmissions lors des mises en condition avant une projection dans le Helmand. À la maxime « chaque soldat est un capteur » montrant l’importance de la collecte de renseignements en contre-insurrection, ils ajoutent que « chaque soldat est aussi un transmetteur ». Ils multiplient donc les compétences de base afin qu’un maximum de soldats puisse guider un tir d’artillerie ou une frappe aérienne en cas de contact avec l’ennemi. Agissant dans une zone en partie couverte par une végétation dense (surtout dans la « Green zone » humide le long du fleuve), les Britanniques prennent des mesures adaptées pour des opérations où la visibilité est réduite, les champs de tirs non dégagés et les possibilités de sa cacher nombreuses. Ainsi, l’ensemble des patrouilles à pieds se font avec la sélection « rafale » est enclenchée sur les fusils d’assaut. Ceci est nécessaire pour pouvoir répliquer par réflexe avec un tir saturant la zone de départs de coups et qui fait immédiatement baisser la tête à l’adversaire.

De plus, si les combats au corps à corps ne sont pas fréquents, ils ne sont pas non plus inexistants. « La bataille des derniers centimètres » (pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu cf. l’étude du colonel Goya) est une réalité vécue. Ainsi, il n’est pas rare que les patrouilles se fassent la baïonnette au canon comme en témoigne les nombreuses photos des correspondants de guerre. Un lieutenant du Royal Regiment of Scotland a récemment reçu la Military Cross pour avoir tué à la baïonnette en juillet 2008 un insurgé qui fonçait sur lui avec sa mitrailleuse. Il explique lucidement sa réaction et son geste, montrant l’impact du drill et des « forces morales » du combattant.

Depuis la bataille des Faklands en 1982, les forces terrestres britanniques ont plusieurs fois eu recours à la baïonnette lors de combats au corps-à-corps. Le centre d’analyse américain sur la guerre urbaine (UWAC) revient sur un épisode se déroulant en mai 2004 en Irak. Une patrouille d’une vingtaine de Britanniques est prise en embuscade par une centaine de miliciens chiites de l’armée du Mahdi. Quand les munitions commencent à manquer et que les secours tardent, ils décident de charger pour se désengager, tuant 20 à 35 insurgés sans aucune perte du côté britannique. L’UWAC relève que cette démonstration de force fut couronnée de succès malgré le déséquilibre des forces car la surprise fut totale chez l’adversaire peu habitué à ces méthodes non-conventionnelles de combat et croyant les Occidentaux lâches et incapables de mener un combat au corps-à-corps.

Si les Français cherchent dans leur doctrine plutôt à se protéger d’une mauvaise surprise adverse qu’à la créer, la culture militaire britannique consacre la surprise comme un élément de l’art de la guerre qui permet de gêner l’adversaire et de contourner ses attentes. Contournement, règle éternelle de la guerre…

PS : pour alimenter l’actuel débat créé par l’article du Times (n’apportant rien de nouveau pour ceux qui se sont penchés sur cette tragique embuscade…), je conseille la lecture de l’étude et du manuel du Center of Army for Lessons Learned sur « l’argent comme une arme en COIN ».

jeudi 8 octobre 2009

En Afghanistan, ils ne sont pas à l'abri des mêmes débats que chez nous


Ni la situation sécuritaire, ni l’état des Forces nationales afghanes de sécurité (ANSF) ne sont comparables, mais de récentes prises de position pourraient sous-entendre l’apparition d’un débat bien de chez nous. Ce serait la version afghane des débats sur la pertinence d’accoler « intérieure » ou « extérieure » à « sécurité » ou « défense », sur l’emploi des trois armées sur le territoire national, de la Gendarmerie nationale en OPEX, etc.

Ayant eu la possibilité d’écouter un officier américain sur la doctrine US de contre-insurrection (COIN), j’ai été frappé par quelques points qui tranchent avec une vulgate (sans doute un peu MA vision) trop caricaturale. Il s’agissait du colonel Roper qui dirige le COIN Center (à Fort Leavenworth) crée en 2006 sous l’impulsion des généraux Petraeus et Mattis. Cet organisme a pour mission d’améliorer la capacité des forces à agir dans un environnement de COIN (en s’appuyant sur les FM 3-07 et 3-24).

Rien de révolutionnant dans sa présentation du tryptique : « clear an area (Offense) AND hold with security forces (Defense) AND build support and protect the population (Stability) » et non « clear THEN hold THEN build ». Rien non plus de nouveau d’annoncer que cela ne sert à rien de nettoyer une zone si on ne possède pas les moyens de tenir et reconstruire.

Par contre, ses déclarations sur l’importance de faire un effort sur les POMLT sont intéressantes. Les POMLT (Police Operational Mentoring and Liason Team) ont pour mission de conseiller, entrainer et soutenir les unités de la Police nationale afghane (ANP) afin de les amener à un niveau d’efficacité opérationnelle leur permettant de prendre en compte de manière autonome leurs missions. S’il a aussi parlé de l’intérêt des OMLT et des ETT (qui ont la même mission mais pour l’Armée nationale afghane ou ANA), cette insistance pour les POMLT est plus rare et peut être analysée de différentes manières.

Un important effort a été fait (avec plus ou moins de résultats) pour une montée en puissance de l’ANA mais la Police nationale afghane (ANP) ne bénéficie pas du même taux d’encadrement donc « envoyez plus de mentors ». Cela tombe bien, l’arrivée sur le terrain des premières POMLT françaises de la Gendarmerie mobile est imminente. Rejoignant ainsi la cohorte des policiers norvégiens ou finlandais insérés dans les PRT, des POMLT étrangères (principalement US), de la mission EUPOL à partir de 2007 de formation (avec des instructeurs principalement allemands mais aussi canadiens), etc. Particulièrement dangereuse (les policiers afghans sont la cible de la majorité des attaques des insurgés), cette mission manque de moyens alors que dans son récent rapport le général Mc Crystal souhaite le doublement des effectifs de l'ANP (pour atteindre 160 000 hommes sans date précise) avec hausse du "partnering" plus que du "mentoring" (j'y reviendrais dans un autre billet).

Mais le cas français est aussi significatif d’une autre problématique. Les gendarmes envoyés en Afghanistan ne sont pas comptabilisés dans le nombre de militaires en OPEX (mesure politicienne pour ne pas faire enfler les chiffres, mais pas uniquement). La Gendarmerie nationale est de plus dans une période assez floue quant à son avenir avec son récent rattachement organique au ministère de l’Intérieur sans perte du statut militaire pour ses membres. En Afghanistan, les POMLT ne seront pas sous la même structure de commandement (car sous commandement militaire pour des « missions militaires ») que les gendarmes déjà déployés au sein des GTIA pour des missions de Police militaire (la Prévôté) ou scientifique.

Mais surtout, faire effort sur l’ANP est le signe d’une réflexion américaine plus profonde et en évolution permanente sur la nature de l’insurrection. Faire appel aux policiers pour rétablir et maintenir la sécurité démontre que les Américains tendent à analyser l’insurrection aux milles visages comme découlant principalement d’une instabilité économique ou sociale interne bien plus que d’un terrorisme armé par des éléments extérieurs. Ce qui n’est pas une mince évolution. Le colonel Roper employant la conclusion de Bernard Fall : “When a country is being subverted it is not being out-fought; it is being out-administered”. Face à cela, la priorité est donc de répondre par le développement des « forces du dedans » en anticipant aussi sur un long terme positif où l’armée (les « forces du dehors ») sera en deuxième rideau sur le territoire national. Pour reprendre la distinction du comte de Guibert en 1790 dans son Traité de la force publique. Même si ce dernier préconisait « les deux forces doivent être réunies quand leur combinaison peut plus efficacement apaiser le trouble ». Une étude comparée des doctrines (rédigées par des consultants de SMP pour la petite histoire) de l’ANA et de l’ANP gagnerait à être réalisée pour connaitre leur champ d'intervention respectif.

En conclusion, je souhaite retranscrire une réflexion de l’Inspecteur Générale des Armées-Gendarmerie (ce qui interpelle autant que cela donne un poids certain à sa réflexion !) lors de la récente Journée d’études de l’IRSEM : « Si les armées (Terre, Air, Mer) sont exclusivement réservées pour l’action à l’extérieur du territoire national, c’est le moyen le plus sur de les couper de la Nation dont elles sont issues. Alors même que leur mission n°1 est de défendre l’intégrité de ce territoire (sur place par les MISSINT ou hors des frontières) ».

jeudi 1 octobre 2009

Des Afghanistans, des insurgés, etc.


Pour décrire facilement la situation en Afghanistan, des simplifications sont employées dans la presse, les analyses scientifiques, les conversations privées, les discours politiques, etc. Ainsi pour aller vite, les conditions sécuritaires, de développement et de gouvernance aux pays des Afghans (pour reprendre les 3 anciennes lignes d’opérations de l’ISAF avant que le général Mc Crystal ne rajoute celle de la Communication stratégique) ne s’améliorent pas, l’emprise des Taliban sur la population est grandissante. Aucun observateur sérieux ne peut affirmer le contraire, mais…

Sans proposer une grille d’analyse exhaustive, il est néanmoins possible de « découper » le pays selon différents critères qui permettent de mieux rendre compte de la diversité des situations. Le morcellement peut se faire selon des critères géographiques (un Sud et des Nords), physiques (des hautes plaines et des plaines arides ou semi-arides, etc.), ethniques (Pashtouns, Hazaras, Ouzbeks, Tadjiks, Kirghizes, etc.), etc.

Rien qu’au niveau des zones de déploiement des soldats français, le district de Surobi (à l'Est de Kaboul) n’est pas semblable à la province de Kapisa, (au Sud de Bagram) à celles où sont déployés les OMLT (Operational Mentoring Liason Teams) ou à la ville de Kaboul.

Dans la capitale, le processus de transfert des responsabilités aux forces nationales afghanes de sécurité est bien avancé : toutes les opérations (de la planification à l’exécution) se font conjointement avec les forces afghanes en première ligne quand elles ne sont pas elles-mêmes autonomes. Le BATFRA (Bataillon français) intervient pour apporter son expertise dans un domaine particulier (la neutralisation d’explosifs) ou lors d’événements nécessitant des effectifs importants (sécurisation des commémorations, recensement pré-électoraux, etc.).

Dans de nombreuses vallées en Surobi (là même où il y a plus d’un an, 10 militaires trouvaient la mort à Uzbeen), les TIC (Troops in Contact) se raréfient. Même les EEI (Engins explosifs improvisés parfois du baroud d’honneur des insurgés) tendent à disparaitre. Les inaugurations de nouvelles écoles, de dispensaires, de postes de police ou de plantations se multiplient. Le CIMIC (Civil-military cooperation) bat son plein. Ce qui faisait dire au général français commandant le Commandement Régional-Centre : « Le défi en Surobi est en passe d’être relevé ».

En Kapisa (surtout dans le Sud de la province où agissent les Français), la situation est différente comme le prouve les derniers chiffres publiés par le très « Galulesque » patron de la Task Force Korrigan. Après que la TF Tiger est donnée un coup de pied dans la fourmilière lors de l’opération « Diner out », les insurgés se ressaisissent et multiplient les embuscades, les harcèlements de positions ou les EEI. Seuls les officiers et quelques spécialistes du CIMIC, des PSYOPS ou du RENS osent s’aventurer tête nue tout en portant en permanence le gilet pare-éclats (question d’assurance mais aussi de sécurité).

Pour les OMLT agissant plus dans le sud de l’Afghanistan (dans les provinces de l’Oruzgan, du Wardak et du Longwar avant leur regroupement en Kapisa et en Surobi), les EEI sont toujours aussi nombreux surtout le long de l’axe principal Kandahar-Kaboul. Les COP (postes de combat avancés où vivent les OMLT avec les unités de l’armée nationale afghane) sont harcelés principalement la nuit par des tirs de roquettes, etc. Si la guérilla est de faible intensité, elle n’en demeure pas moins réelle et permanente.

Plus globalement, il en est de même dans tout le pays : une Three Blocks War à petite et à grande échelle ? Au niveau local et du théâtre d’opérations ? Pas de périphrase possible, dans le sud de l’Afghanistan c’est LA guerre au quotidien. Malgré les efforts pour ne pas s’enfermer dans leurs Platoon-houses, les patrouilles britanniques et des Marines se font toutes accrocher dans les étendues vertes le long du fleuve Helmand comme dans les étendues steppiques arides où surgissent quelques fermes fortifiées (ou compounds). Kandahar semble être tombé aux mains des Taliban (les vrais par ceux des raccourcis simplistes !) et la frontière irano-afghane ou afghano-pakistanaise restent des zones poreuses d’infiltration. Jusqu’alors relativement épargnés, même les Allemands au Nord « redécouvrent la guerre » : bérets contre casques lourds, renforcement des blindages, difficultés des Provincial Reconstruction Teams à travailler, etc.

Que dire ensuite de l’emploi abusif et récurrent de la dénomination de Taliban (pour rappel, un Taleb pour un étudiant en religion et des Taliban sans « s » car cela est déjà au pluriel). Mais les insurgés qui s’opposent par les armes au Gouvernement de la République Islamique d’Afghanistan (GIRoA) et aux forces de la Coalition sont plutôt : le HiB (Hezb-i-Islami dirigé par Gulbuddin Ekmatyar.), les réseaux de Jalaluddin Haqqani, les Taliban de la shura de Quetta et du mollah Omar, le HiK (Hezb-i-Islami Khalès dirigé par Yunus Khalès), les trafiquants d’opium, les petits délinquants de droit commun, les volontaires étrangers d’AQAM (Al-Qaeda et ses mouvements associés), l’Afghan prenant le maquis pour venger la mort de son fils tué par un « warning shot » intempestif, le chômeur voulant survivre en gagnant 10$ en lâchant une rafale d’AK 47 sur un convoi et j’en oublie. Cette disparité engendre une multitude de modes d’action, de recrutement, de financement, de motivations.

Si penser, c’est faire des globalités alors essayons de penser mieux en en faisant moins.

dimanche 20 septembre 2009

Finance islamique et arnaque à l'italienne

Alexandre Guérin poursuit ses chroniques régulières portant sur l'actualité du Moyen-Orient. Le Hezbollah est lui aussi touché par la crise économique mondiale... Avis de tempête au Liban et grise mine au Hezbollah.


Après sa semi-défaite face à la coalition du 14 mars lors des élections nationales libanaises de juin 2009, le Parti de Dieu se retrouve impliqué dans un scandale financier de grande ampleur. Salah Ezzeddine, homme d’affaire chiite libanais, a été appréhendé à la suite d’une faillite frauduleuse. De nombreux épargnants ont perdu l’intégralité de leurs avoirs et les sommes évaporées s’élèveraient à 1,6 milliards de $. Plusieurs hauts responsables du Parti de Dieu figureraient parmi les victimes de l’escroquerie[1], ce que semble confirmer la participation de l’appareil sécuritaire du Hezbollah à l’arrestation de Mr. Ezzeddine.

Surnommé le “Madoff libanais”, Salah Ezzeddine avait la réputation d’être un homme pieux (il possédait une agence de voyages organisant des pèlerinages et une maison d’édition pour enfants relayant la propagande du Hezbollah, Dar al-Hadi), investi dans de nombreuses activités caritatives et entretenant des relations amicales avec de hauts responsables du Hezbollah. À l’instar de Bernard Madoff, il a usé de cette image pour gagner la confiance des nombreux Chiites du Liban, d’Afrique et du Golfe qui lui ont confié leur épargne.

La bulle Ezzeddine : origines, mécanismes et dénouement

La technique employée pour attirer fonds et investisseurs, appelée chaîne de Ponzi, fut mise au point par Luigi Zarossi dans les années 20 aux États-Unis, puis reprise par Charles Ponzi. En promettant une rémunération exceptionnelle (en général deux fois le taux moyen du marché), un investisseur attire nombre d’épargnants. Il honore généralement ses promesses de rémunération au moyen de fonds empruntés auprès d’autres épargnants. La nouvelle se répand vite qu’il existe un placement lucratif et relativement sûr, ce qui entraîne un afflux de fonds toujours plus important qui permettent de rémunérer les épargnants des vagues précédentes. Le système s’effondre lorsque l’escroc part avec la caisse ou que trop d’épargnants retirent leurs avoirs en même temps.

Salah Ezzeddine aurait recouru à ce montage afin de se renflouer suite à de lourdes pertes. En raison de l’effondrement du cours des matières premières, ses activités dans la métallurgie et les hydrocarbures (principalement en Europe de l’Est) ont enregistré d’importants déficits dès le début de la crise économique. Sa réputation d’homme intègre indiquerait, selon certains de ses soutiens, qu’il a imaginé ce système de cavalerie financière sans volonté délibérée d’escroquer ses épargnants. Il serait donc plus un Nick Leeson[2] qu’un Bernard Madoff. D’autres encore y voient la main du Mossad en raison de ses relations privilégiées avec le Hezbollah.

Quel impact pour le Hezbollah ?

Le Parti de Dieu n’est pas directement impliqué dans ce scandale financier en dépit des liens amicaux entre Salah Ezzedine et certains de ses membres. Plusieurs fondations proches du Hezbollah ont cependant investi chez Ezzeddine, de même que nombre de leurs obligés, rassurés par la bonne réputation et les amitiés du financier. Tandis que les fondations devront trouver un moyen de se renflouer, certains petits porteurs pourraient tenir le Parti de Dieu pour en partie responsable de leur mésaventure.

Il est peu probable que le Hezbollah soit très affecté par les retombées financières de cette affaire : en dehors de la perte d’un donateur et de certains actifs (dont le plus significatif reste Dar al-Hadi, dont l’avenir reste incertain), son réseau d’aide sociale et ses capacités militaires sont toujours opérationnels. Il ne peut cependant compter sur une aide extérieure exceptionnelle. L’Iran est en proie à l’agitation politique, et l’envoi d’une aide exceptionnelle alors que le pays est confronté à des difficultés économiques persistantes pourrait accroître le mécontentement. La Syrie est, quant à elle, incapable d’apporter la moindre aide financière. Il pourrait retourner la situation en sa faveur en lançant une opération comparable à la Bataille de la Reconstruction[3] et en indemnisant les victimes les plus touchées ou démunies au Liban. Mais en a-t-il les moyens financiers ?

L’impact de ce scandale est avant tout d’ordre politique. Ezzeddine entretenait des liens avec les dirigeants du Parti de Dieu, pas avec l’establishment clérical iranien. On peut donc supposer qu’en tant que millionnaire, il faisait partie des sources de financement “autonomes” (indépendantes de l’Iran) du Hezbollah. L’arrêt des versements consécutif à sa faillite pourrait renforcer la dépendance du Parti vis-à-vis de Téhéran. De plus, le ressentiment des petits porteurs floués et l’image désastreuse de hauts responsables[4] impliqués dans un tel scandale pourraient rebuter certains Chiites jusqu’alors séduits par l’image de piété et de défenseur des petites gens que s’était forgée le Parti de Dieu. Bien que l’ampleur potentielle de telles déconvenues soit relativement modeste, elle viendrait couronner une série de revers pour le Hezbollah : son incapacité à rallier en masse les Chrétiens comme en témoigne le score de la coalition d’opposition aux dernières élections nationales, son alignement sur la position extrêmement dure et clivante de Khamenei vis-à-vis des manifestants de l’opposition iranienne, et enfin les rumeurs de la présence d’armes chimiques dans l’une de ses caches d’armes détruites le 14 juillet dernier par une explosion accidentelle.

[1] Le nom de Hajj Hussein, l’un des députés du Parti de Dieu, a été cité à plusieurs reprises.
[2] Le trader responsable de la faillite de la banque Barings en 1995.
[3] Il s’agit de la vaste campagne d’indemnisation des victimes du conflit de 2006 et de reconstruction des bâtiments détruits par les bombardements israéliens
[4] Au mieux, ils seraient taxés d’imprévoyance, au pire d’immoralité et de violation de la charia qui prohibe l’usure et le prêt à intérêt.

jeudi 3 septembre 2009

Rentrée très progressive


Maintenant de retour au travail depuis une dizaine de jours et sur les ondes depuis peu, la rentrée est bien là.

Néanmoins, le rythme de publication sur Mars Attaque ne va pas pour autant reprendre normalement. La masse de travail professionnelle est en effet trop conséquente (travailler sur l’Afghanistan n’est entre autres pas de tout repos ces derniers temps…) pour que je puisse consacrer du « temps libre » (quesako?) à Mars Attaque. Et pourtant, j’ai plusieurs billets en cours de finalisation qui ne demande qu’un peu de relecture pour être finaliser.

En relation avec le thème du mois de l’Alliance Géostratégique "Grande guerre contre guerre au sein des populations", je signale la parution il y a quelques semaines d’un de mes articles intitulé « Gagner cette guerre sans perdre la prochaine » qui traite peu ou prou de ces questions. Le forum Taktika est tenu par les officiers (des commandants principalement) de l'armée de Terre suivant les cours du Cours supérieur d’état-major avant leur rentrée au Collège Interarmées de Défense.

dimanche 19 juillet 2009

"Low baterry" à recharger!


Chers lecteurs,

Quand vous lirez ce message, j’aurais sans doute déjà gagné la calme verdure d’un coin de campagne française installé dans une maison non connectée à Internet et où le Wifi ne marche pas. Déjà absent durant ces dernières semaines, je le serais encore plus pendant cinq longues semaines. Un bon moyen de s’aérer l’esprit, de lire pour préparer des fiches de lecture à la rentrée, de quitter l’incessant mouvement de l’actualité, … En un mot, repos pour mieux repartir ensuite.

Bonnes vacances à ceux qui en ont. Certains camarades d’AGS contenteront les lecteurs en proposant le lot de saines réflexions. Et pour tous, rendez-vous à la rentrée vers le 24 août environ.

F. de St V.

jeudi 16 juillet 2009

Un schisme? Des chiismes?

Deuxième partie de l'analyse sur la situation actuelle au Moyen Orient suite aux récents événements. Des rapports de forces mouvants et des lignes qui bougent, cela existe aussi au sein des communautés religieuses...

Alors que le camp conservateur semble avoir repris le contrôle de la situation en Iran (bien qu’il ne puisse faire entièrement appliquer son interdiction de toute manifestation), c’est à présent le milieu clérical qui doit faire face à une profonde division. Celui-ci n’est en effet pas monolithique et ne soutient pas uniformément le camp conservateur du guide Khamenei. La prise de position publique de l’Ayatollah Hussein Ali Montaeri, suivi par la puissante association des enseignants et chercheurs de Qom, démontre qu’au-delà du fantasme qui voudrait faire des Chiites au Moyen-Orient et dans le monde un réseau aux ordres de Téhéran, cette branche de l’Islam est plus diverse qu’on ne veut bien le croire.


Les principaux acteurs

Le chiisme duodécimain n’est pas le Komintern : les Chiites suivent en effet les enseignements et recommandations de différents marja. Un marja[1] est un clerc de haut niveau, qualifié pour interpréter le texte sacré et répondre aux interrogations des fidèles sur divers aspects de la charia. Sa désignation se fait par cooptation de ses pairs et par l’approbation de ses disciples (qui doivent naturellement être suffisamment nombreux), généralement après de nombreuses années d’études théologiques. Aujourd’hui, plusieurs marji sont partie prenante à la crise iranienne, dont les conséquences dépassent les frontières de la République Islamique.

Ali Khamenei était un clerc relativement méconnu jusqu’à son adoubement par l’Ayathollah Khomeyni et le Conseil des Gardiens. Il est désigné guide suprême dès la mort de Khomeyni bien que n’ayant pas encore le statut de marja[2], qu’il acquiert finalement en 1994. Sa reconnaissance comme tel ne fait pas l’unanimité, et plusieurs clercs refusent de l’accepter, dont l’ayatollah Montazeri. Depuis son accession à la charge suprême, il s’est tenu à une stricte réserve en dehors d’occasions exceptionnelles (ses interventions publiques sont rares) et semble avoir adopté une ligne oscillant entre le « socialisme dans un seul pays » prôné par les bolchéviques après la Guerre Civile Russe et la « voie chinoise » associant développement économique et autoritarisme politique. Depuis les années 1990, Khamenei a renoncé à étendre la révolution hors de l’Iran et a mis en place plusieurs mesures visant à promouvoir le développement technologique (autorisation de la recherche sur les cellules-souches) et économique (programme de privatisations). Parallèlement, il reste marja pour les Chiites en dehors d’Iran. Commandant en chef des forces armées et de sécurité, disposant d’un veto de fait sur toute décision politique, chef spirituel transnational, il ressemble à une combinaison entre le Secrétaire Général du PCUS et le chef du Kominform. Et ceci d’autant plus qu’il semble mettre son aura religieuse au service du régime iranien, et non l’inverse.

Hossein Ali Montazeri fut l’un des artisans historiques de la Révolution Islamique de 1979. Ayant rejoint Ruollah Khomeyni dès les années 1960, il participa activement à la rédaction de la constitution de la république islamique. Successeur pressenti de Khomeyni (bien que lui non plus ne soit pas marja à la fin des années 1980), il tombe en disgrâce après avoir vivement critiqué la politique répressive du régime et la conception khomeyniste du Velayat-e-faqih (gouvernement du théologien-juriste) bien plus absolutiste que celle qu’il défend encore aujourd’hui. Placé un temps en résidence surveillée, il est aujourd’hui domicilé à Qom, l’une des grandes villes saintes du Chiisme avec Nadjaf.

Ali al-Sistani est sans conteste la grande figure du Chiisme dans le monde. Domicilié en Irak, il fut longtemps contraint au silence par le régime de Saddam Hussein, extrêmement méfiant vis-à-vis du risque de contagion révolutionnaire depuis l’Iran. L’intervention américaine de 2003 a redonné une certaine marge de manœuvre à ce clerc, qui reste toutefois discret mais très actif. Il avait notamment poussé les Américains à accepter une trêve avec l’Armée du Mahdi de Moqtada al-sadr, alors réfugié avec quelques fidèles de la mosquée de Nadjaf. Issu du prestigieux séminaire de Nadjaf, il jouit au sein des Chiites de par le monde d’une légitimité incontestée et plus importante que celle de Khamenei. Il a observé depuis le début des élections en Iran une prudente réserve, et n’a pas manqué de se distancer du candidat Ahmadinejad lorsque ce dernier a sollicité une entrevue.


Entre querelles d’individus et opposition de doctrines[3]

On trouve à la base de la rivalité plus ou moins forte entre les principaux marja de la région un antagonisme d’ordre politique. En effet, les disciples sont aussi bien un capital humain mobilisable à des fins politiques qu’une manne financière grâce aux dons et impôts religieux dont ils s’acquittent et qui financent les bonnes œuvres du marja en question. De ce point de vue, il est logique que Qom et Nadjaf, les deux hawza (séminaires coraniques) les plus influentes du chiisme duodécimain se livrent une lutte d’influence personnifiée par l’opposition entre Khamenei et Sistani. À cette dimension politique s’ajoute peut-être une composante plus affective. En effet, Hussein Montazeri a été écarté de la charge de guide suprême en 1989 au profit d’Ali Khamenei, ce qui peut expliquer une certaine volonté de revenir sur le devant de la scène à la faveur des récents évènements.

La rivalité entre les principaux marja impliqués de près ou de loin dans la crise en Iran est l’occasion de souligner de profondes divergences entre clercs quant au concept du velayat-e-faqih (gouvernement du théologien-juriste). Digne successeur de l’ayatollah Khomeyni, Ali Khamenei s’en tient à la ligne de son prédécesseur : le Guide jouit de prérogatives dans les sphères spirituelle et temporelle, il est de plus partie intégrante de l’appareil d’État. Il dispose d’un réel pouvoir d’imposition. Hossein Montazeri s’est fait l’avocat d’une conception plus souple du velayat-e-faiqh, dans laquelle le Guide détient une fonction de conseil et de supervision du gouvernement sans détenir un pouvoir absolu[4]. L’Ayatollah Sistani prône quant à lui un contrôle limité aux domaines non litigieux, principalement financiers, religieux, et ayant trait à la vie sociale des fidèles. Enfin, l’ayatollah Fadlallah (dont la sphère d’influence est limitée au Liban) estime que le théologien-juriste doit avoir des prérogatives temporelles et spirituelles, mais sans pour autant faire partie des institutions.


[1] Vient de marja e taqlil, signifiant « source d’imitation ».
[2] La constitution iranienne fut réformée à cette occasion. Jusqu’alors, seul un marja pouvait occuper la charge de guide suprême.
[3] Une étude plus approfondie a été publiée par l’IRIS et traite notamment de ces questions théologiques.
[4] Il s’est dernièrement prononcé pour que le contrôle des forces de sécurité soit transféré du Guide au Président.

mardi 7 juillet 2009

Au Levant, rien de neuf. Quoique…

Observateur attentif qu'il est du Moyen Orient, l'auteur de l'étude sur le Hezbollah nous livre la première partie de son analyse personnelle des répercussions sur les grands équilibres régionaux des événements qui ont secoué la zone.


Alors que le Liban semble s’orienter vers un gouvernement sinon de coalition, du moins consensuel, et que le camp conservateur en Iran sort victorieux de la confrontation avec la rue, l’heure est au bilan pour le principal relais d’influence de la République Islamique au Pays du cèdre, le Hezbollah.

Le bilan des élections : un échec à relativiser

L’opposition n’a pas été en mesure de remporter suffisamment de sièges pour s’assurer une majorité parlementaire. Cependant, les partis Amal et Hezbollah ont remporté d’incontestables victoires électorales dans les zones de peuplement chiite, leurs fiefs traditionnels. Le Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun n’a lui pas été en mesure d’emporter la décision dans plusieurs districts chrétiens stratégiques, comme Zahlé ou Achrafieh. Le CPL n’a donc pas pu fournir à l’opposition le complément de voix chrétiennes nécessaire à une victoire électorale. Globalement, le Hezbollah jouit toujours d’une solide popularité au sein de la communauté chiite. Le Parti de Dieu semble accepter ce nouvel équilibre et a fait savoir qu’il était prêt à travailler avec le nouveau gouvernement pourvu que celui-ci fasse consensus et, surtout, qu’il ne remette pas sur la table la question de l’arsenal du Hezbollah. À l’heure actuelle, seule la question du veto sur les décisions gouvernementales dont jouissait de fait le Hezbollah lors de la législature précédente divise encore majorité et opposition. Le Hezbollah se retrouve somme toute dans une situation qui lui convient tout à fait, à savoir celle d’un acteur politique protestataire néanmoins incontournable. N’étant pas dans le gouvernement, il peut maintenir une ligne très critique du gouvernement sans avoir à assumer des choix difficiles potentiellement impopulaires. Cependant, il reste assez puissant pour briser toute velléité gouvernementale de s’en prendre à ses intérêts fondamentaux.

La dimension régionale : statut quo

Le Hezbollah tire sa puissance du soutien que lui apportent les Chiites libanais (et les Libanais dans leur ensemble, jusqu’à un certain point) et de l’appui de la Syrie (qui laisse transiter par son territoire les armes, matériels et « conseillers » destinées au Parti de Dieu) et de l’Iran (qui fournit une aide matérielle, technique et financière non négligeable). En 2008, la normalisation des relations syro-libanaises et les pourparlers entre la Syrie et Israël par Turcs interposés pouvaient laisser entrevoir un changement d’attitude de Damas vis-à-vis du Hezbollah en échange de la restitution du plateau du Golan[1]. Peu importe que de telles négociations aient été ou non vouées à l’échec[2], l’opération « Plomb Durci » a de toute manière interrompu tout contact entre les deux parties. Du côté de l’Iran, la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ne laisse pas beaucoup d’espoir à ceux qui tablaient sur une révision à la baisse du soutien iranien au Hezbollah, fort improbable même dans le cas d’un changement de président[3].

La dimension religieuse

La situation est moins évidente quant à la dimension religieuse. Le référent en dernier ressort du Hezbollah est Ali Khamenei, non en tant que Guide Suprême iranien mais comme Marja, haute autorité spirituelle du chiisme duodécimain. Sa prise de position très affirmée en faveur de Mahmoud Ahmadinejad lors des troubles qui ont agité l’Iran ces derniers jours tranche avec la neutralité que doit observer le Marja. On a pu constater en cette occasion le silence, voir la réprobation d’autres autorités majeures du Chiisme duodécimain, comme l’Ayatollah Ali al-Sistani de Nadjaf (qui aurait selon le Wall Street Journal refusé de rencontrer Mahmoud Ahmadinejad lors de sa venue en Irak) ou encore l’Ayatollah Hossein Ali Montazeri (lui-même marja qui a vivement critiqué le Guide par le passé et successeur présumé de Khomeiny avant l’ascension de Khamenei). Au Liban même, le Hezbollah a bien repris la version officielle iranienne de désordres orchestrés par des puissances étrangères, tout en soulignant qu’il s’agissait d’une affaire interne à l’Iran, manière de se démarquer quelque peu du faqih. Cependant, les Chiites libanais, s’ils soutiennent dans l’ensemble le Hezbollah, n’adhèrent pas intégralement pour autant à sa conception du velayat e faqih (gouvernement du théologien juriste). Des figures libanaises importantes de cette confession, comme Ali el Amine ou Hussein Fadlallah entretiennent des relations complexes ou ambigües avec le Parti de Dieu. Bien que ce dernier tire sa popularité de facteurs autres que sa doctrine politico-religieuse, son alignement sur la doctrine khomeyniste du velayat e faqih pourrait revenir sur le devant de la scène à l’occasion des manifestations de Téhéran, et entacher quelque peu sa popularité dans un pays où le pluralisme religieux est partie intégrante de l’identité nationale.

[1] Malgré le retrait opéré en 2000, le Liban considère qu’Israël occupe toujours une partie de son territoire (les fermes de Chebaa, que l’ONU et Israël considèrent comme syriennes). La normalisation des relations syro-libanaises ouvrait la voie à leur restitution officielle par la Syrie et éventuellement à un retrait israélien.
[2] Le Hezbollah, considérant visiblement que ces pourparlers avaient une chance d’aboutir, avait alors tenté de se fabriquer une cause alternative sous la formes de villages chiites libanais annexés en 1949 par Israël.
[3] Les organismes d’État iraniens soutenant le Hezbollah sont tous liés aux Pasdarans et au ministère du Renseignement, eux-mêmes placés sous l’autorité du Guide Suprême Khamenei.

dimanche 5 juillet 2009

Un an après


Il y a plus un an et quelques jours, l’aventure « Mars attaque » démarrait sur un coup de tête parce qu’il fallait occuper intelligemment le temps libre laissé par des études universitaires peu prenantes. Mais aussi pour l’envie de se confronter à de vrais spécialistes, d’éclairer le débat sous un angle différent, de se forcer à mettre en forme plus ou moins convenablement sa pensée, etc.

C’était une petite pierre apportée à l’édifice de la naissante « blogosphère stratégique francophone » dominée alors par quelques « poids lourds » qui bien inconsciemment m’ont motivé et guidé : En Verité, EGEA, Théâtre des opérations, Athéna et moi ou Secret Défense pour n’en citer que certains. Merci à eux comme aux fidèles lecteurs. (la grosse centaine quotidienne quand je publie régulièrement...). Cela serait mentir que de dire que je ne regarde pas parfois avec envie la fréquentation du blog en espérant faire de bons chiffres. Dans une activité très vite chronophage, c’est une motivation bienvenue pour poursuivre.

Avec des premiers mois très denses au niveau du rythme de publication et quelques 145 billets en un an, j’ai du drastiquement réduire le nombre de billets mensuels. Je ne suis plus l’étudiant ayant du temps à occuper (et non à perdre…). Donc le soir, les heures manquent du fait de l’activité professionnelle et de quelques complications quant à l’avenir.

Cahin-caha, je continuerais à publier au gré des idées et de la disponibilité. Ce blog m’apporte et m’a déjà trop apporté, pour que l’on ne poursuive pas l’aventure. Encore plus quant elle est couplée avec celle de « l’Alliance géostratégique ». Dans un an, j’espère pouvoir entamer le billet anniversaire des « deux ans » par cette phrase : « Ayant repris depuis plusieurs mois, un rythme bi ou même tri-hebdomadaire, le défi est relevé ! ».

lundi 29 juin 2009

Ahmadinejad fan inconditionnel de Mickael Jackson


« La révolution est comme une bicyclette : quand elle n’avance plus elle tombe ».

Célèbre phrase attribuée au « révolutionnaire romantique» Che Guevara, elle pourrait bien s’appliquer à la situation actuelle en Iran. Même si le terme de « révolution » est sans doute mal à propos : on pourra y préférer contestation populaire.

Après plusieurs manifestations d’ampleur, les rassemblements dénonçant de possibles fraudes dans le décompte des bulletins de vote se raréfient, se faisant plus informels ou étant aussitôt réprimés et disloqués. Répression violente et lassitude semblent, en partie, avoir eu de la motivation des partisans pro-Moussavi. N’oublions pas d’ailleurs que ce dernier a hérité, d’une patate chaude en étant désigné et reconnu par la rue comme le chef de file du mouvement de contestation : adoubement reçu plus que demandé. Car préalablement, s’il a reçu l’autorisation de se présenter aux élections, c’est bien qu’il a été jugé assez « homme du régime ».

À mon sens, les médias ont laissé espérer avant les élections que l’Iran était un régime ouvert et qu’un changement était possible. C’était faire, entre autres, l’impasse sur une population rurale vivant sous perfusion des subsides de la manne pétrolière (même si cela ne les empêche pas de vivre dans la pauvreté) et donc peu à même de voter pour le changement. Mais surtout que le gouvernement pouvait permettre la contestation. Il n’en est rien. Face à cet espoir d’évolution de l’Iran vendu par les médias, les violences qui ont caractérisé les contestations des résultats sont devenues encore plus insupportables.

Twitter, célèbre plate-forme de messagerie sur Internet, a été un important espace informatique de diffusion des lieux de rassemblement, d’organisation des manifestations et d’accès à l’information pour des médias traditionnels chassés de l’Iran. Ainsi, plus de 5% des messages échangés concernait la situation en Iran. Les articles (certains de grande qualité) se multipliaient sur l’impact grandissant de ces moyens d’information libre.

Les médias et les outils de communication par la couverture des événements ont été les petites roulettes placés de chaque côté du vélo de la « révolution iranienne ». Depuis une petite semaine, ces roulettes ont été enlevées et le vélo est tombé en partie à cause de cela. En effet, selon la même agence de veille sur Internet (dont je n’arrive pas à retrouver le nom), aujourd’hui 15% des messages échangés concernent la mort de Mickael Jackson.

Avec l’imagination qui les caractérise, les amateurs du complot pourraient voir dans la mort du roi de la pop la main des services spéciaux iraniens. Le tapage médiatique autour du décès de la star américaine détourne en effet l’attention de l’Iran et permet de réprimer sans que les protestations de la communauté internationale ne trouvent un trop large écho médiatique.

Plus qu’à l’origine, le régime de Téhéran profite du changement des gros titres des journaux par opportunisme. Déjà en voie d’essoufflement, la contestation en Iran se meurt. Au milieu des watts du passage en boucle des tubes de Mickael Jackson, les protestations des défenseurs de la cause réformatrice en Iran sont inaudibles. Néanmoins si le silence se fait dans la rue et les campus, les slogans et affrontements devraient laisser des traces indélébiles.

Moins préoccupé par la situation interne, l’Iran pourrait s’intéresser à nouveau à sa politique extérieure. Le président Obama ne sera d’ailleurs pas le dernier à en profiter à l’heure où en Irak et Afghanistan rien n’est réglé. Acteur régional, l’Iran détient une partie des solutions de la résolution de ces crises.

samedi 20 juin 2009

La mer pour des pays qui n'en ont pas


En 2007, quarante trois pays dans le monde étaient des « pays sans accès à la mer », c’est-à-dire sans littoral et n’ayant aucun contact avec un océan ou une mer. De plus, un seul de ces pays, le Liechtenstein, a la particularité d’être entouré uniquement par d’autres pays sans accès à la mer. Cette spécificité géographique n’empêche pas tous ces pays de développer une stratégie au plus haut niveau pour être présent sur les mers ou les océans. D’ailleurs, bien plus que pour des questions de puissance militaire, cette stratégie se fait généralement au nom de considérations économiques, de prestige diplomatique ou sportif, etc.

Ne pas avoir d’accès à la mer est historiquement considéré comme un désavantage pour le développement économique d’un pays. En effet, il ne bénéficie pas des ressources maritimes (pêche, gaz, pétrole, etc.) ni d’une entrée pour les voies commerciales maritimes. C’est pour cela que des états, principalement en voie de développement, se coordonnent pour faire respecter à l’ONU l’accès à la mer comme un droit universel. Selon la Banque mondiale, plus de la moitié des pays en voie de développement n’ayant pas en plus d’accès à la mer sont parmi les pays les moins avancés (pour reprendre une classification ONU). C’est pour éviter cet enclavement que certains pays défendent avec acharnement leurs quelques kilomètres de côtes : l’Irak (golfe Persique), la RDC (entre le Congo et l’Angola), la Jordanie (la mer Rouge), etc. Néanmoins, les cas de pays prospères comme la Suisse ou le Liechtenstein permettent de relativiser la relation entre non accès à la mer et retard dans le développement. L’essentiel étant d’être intégrés et connectés régionalement par les réseaux de communications.

Posséder une marine militaire

Si une dizaine de ces pays possèdent une marine militaire, elle a surtout vocation à surveiller les fleuves ou les lacs, servant parfois de limites frontalières, ainsi qu’à déplacer plus rapidement des moyens par les cours d’eau.

Depuis l’indépendance du Monténégro en 2006, la Serbie n’a plus de littoral et s’est résignée à vendre sa petite dizaine de frégates, ses quelques petits sous-marins et ses patrouilleurs. On se souvient du déploiement en Adriatique d’une importante Task Force (en partie avec des sous-marins) au début de l’année 1999 afin de dissuader la marine serbe de se lancer dans une attaque en pleine mer durant la campagne de bombardements aériens.

Si la Bolivie a perdu un accès à la mer depuis la guerre du Pacifique en 1879, elle continue à entretenir des forces navales. L’armée bolivienne possède une centaine de navires de patrouilles fluviales pour lutter contre les trafics de stupéfiants, l’immigration illégale, etc. Mais elle a aussi fait l’acquisition en 1986 d’un navire de haute mer, le Libertador Simón Bolívar, qui a pour port d’attache Rosario en Argentine.

Développer une marine marchande

Le cas suisse est intéressant comme exemple d’un pays sans accès à la mer réfléchissant et mettant en place une stratégie quasi globale au plus haut niveau institutionnel. Souvent méconnue et parfois moquée, la marine commerciale suisse n’en est pas moins une composante du rayonnement internationale du pays. Sa flotte compte 33 navires sous la direction de six armateurs suisses. Néanmoins, seulement six des 606 marins sont suisses.

Si les considérations économiques ne sont pas étrangères au maintien en bon état de cette flotte de transport maritime, c’est bien au nom du devoir d’approvisionnement que le Parlement vote d’importants crédits pour sans la maintenir en état. Ce devoir est inscrit dans la Constitution au nom de la défense de la neutralité et de l’autonomie stratégique de la Suisse. L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique est en charge de coordonner les mesures permettant de garder les stocks de carburants et de vivres nécessaires en cas de crises, de guerres ou de catastrophes. C’est aussi pour cela que des crédits émanent des services de sécurité nationale. Comme d’autres nations, la Suisse a récemment pris en compte la menace des actes de piraterie pouvant visés leurs navires. Plus que les capacités techniques et de savoirs-faires, les problèmes juridiques sont les principaux freins à l’embarquement de soldats suisses sur les navires battant pavillon helvète.

Les deux victoires successives (2003 et 2007) du bateau suisse Alinghi lors de la Coupe de l’America (même si seulement 6 Suisses font partie d’un équipage international) viennent consacrer sportivement le tropisme maritime de ce pays de lacs et de montagnes. Comme quoi, l’automaticité du déterminisme géographique est plus que jamais à relativiser dans l’analyse de considérations géopolitiques.

Cet article est aussi publié sur l'Alliance géostratégique.

samedi 13 juin 2009

Raisons et conséquences d’une petite décision


Une centaine d’hommes, c’est sans doute peu au final, mais en amont ce n’est pas rien.

Lors de la récente réunion des ministres de la Défense de l’OTAN, l’ambassadeur géorgien a confirmé l’imminent envoi d’un contingent géorgien en Afghanistan. Aujourd’hui, seulement quelques civils et médecins géorgiens participent à la reconstruction du pays. La Géorgie n’est pas étrangère à l’action civile et militaire dans un environnement sécuritaire dégradé puisque elle a maintenu (et maintient ?) un contingent de plusieurs centaines de soldats en Irak. De 400 à l’origine, le contingent monte à 2000 avant d’être brutalement réduit par le rapatriement en urgence de soldats lors du conflit de l’été 2008.

Cette offensive de charme vis-à-vis de l’OTAN intervient alors même que le général Craddock (SACEUR orientant l’action des forces de l’ISAF) s’emporte publiquement du manque de troupes pour le théâtre afghan. Pour donner des gages de bonne volonté afin d’obtenir un droit d’entrée au sein de l’OTAN, l’agenda respecté est parfait. Pour Tbilissi, il est aussi important de se remettre sur le devant de la scène alors même que les discussions entre leur ennemi, la Russie, et leur ami, les USA, sont fréquentes sans forcément être cordiales : désarmement nucléaire, situation régionale en Afghanistan, partenariat avec l’OTAN, etc. Cette compagnie envoyée en A-Stan suffira t’elle pour conserver l’œil bienveillant de Washington ? Pour le bouillant ambassadeur russe auprès de l’OTAN, Dimitri Rogozine, cette annonce lui aura au moins permis d’élever la voix sur le double jeu de Washington et la politique de la main tendue sans discernement.

Ce contingent géorgien sera « stationnée près de Kaboul et placée sous commandement français ». Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix. En 2008, la diplomatie française a multiplié les initiatives pour obtenir un accord signée avec la Russie pour qu’elle n’envahisse pas toute la Géorgie. S’il est difficile de dire si c’est au nom de la présidence française de l’UE ou par les rapports traditionnellement amicaux (envoi de formateurs sur la guerre en montagne et accueil de stagiaires dans les Alpes), la France a été sur le devant de la scène. Ce souvenir peut expliquer le choix de cette tutelle.

Bien plus que pour des raisons strictement d'urgence opérationnelle : les renforts de l'ISAF sont habituellement envoyés dans le Sud ou à l’Est de l’Afghanistan. Actuellement, la RC-C de Kaboul (Regional Command-Capital) est encore sous commandement français (et devrait le rester). Malgré une situation qui s’améliore et le transfert de la sécurité de plusieurs zones (à part la Surobi à l’Est) aux forces afghanes, le commandement de la RC-C doit pourtant voir un bon œil la future arrivée de renforts : seulement une compagnie en plus et c’est la possibilité d’augmenter le nombre d’opérations et d’éviter la surchauffe en bénéficiant d’un pion tactique en réserve. Encore faut-il que les règles d’engagement ne soient pas trop contraignantes. A la différence de certains contingents qui ne peuvent patrouiller en dehors de l’aéroport, qui ne peuvent porter secours à des unités prises à partie hors de leur zone, qui ne peuvent déclencher de tirs d’appui sans en référer à leur plus haute autorité sur le théâtre, etc. C’est tout cela que le général Craddock déplore en s’insurgeant contre l’existence et la disparité des restrictions d’engagement des différents contingents : elles « pèsent lourdement sur la flexibilité des commandants ».

Affaire à suivre donc, car cette décision est lourde de conséquences à différents échelons : des salons de réunion de l’OTAN au camp de Warehouse à Kaboul avec des ramifications passant par le quai d’Orsay, la rue saint Dominique et le Kremlin.